Un an après les vifs débats sur l'absence de contreparties demandées aux entreprises aidées en pleine pandémie, la mission d'information de l'Assemblée sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises a rendu son rapport. Les députés qui ont travaillé sur le sujet formulent 23 propositions pour mieux les contrôler et les encadrer.
Parmi les champions mondiaux de l'impôt, la France est aussi l'un des pays qui aide le plus ses entreprises. Environ 2000 dispositifs d'aides publiques cohabitent actuellement, pour un total évalué à 140 milliards d'euros en 2018. Un montant qu'il faudrait drastiquement revoir à la hausse depuis la crise sanitaire, en comptant les exonérations de charges, les prêts garantis et le chômage partiel consentis par l'État pour mettre l'économie sous perfusion.
Lors du deuxième Collectif budgétaire, en avril 2020, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire avait promis de mettre des "conditions". "Cela ne sera pas un chèque en blanc", avait-il assuré à propos du plan de sauvetage massif d'Air France, évoquant des impératifs de "compétitivité" et "une politique environnementale ambitieuse", sans que cela ne se traduise concrètement dans la loi. Quelques mois plus tard, alors que l'exécutif proposait lors du Budget 2021 de baisser les impôts de production de 10 milliards d'euros, le même ministre de l'Économie avait refusé de poser toute "condition à cette baisse". Hésitante sur le sujet, la majorité n'avait finalement adopté qu'un amendement à la portée très limitée sur les contreparties demandées au secteur privé, alors que la gauche exigeait une interdiction des licenciements pendant toute la durée de la crise.
Lancée en octobre 2020, la mission d'information sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises devait apporter de nouvelles pistes pour mieux assujettir la distribution d'argent public à des impératifs sociaux (par exemple le maintien de l'emploi), sociétaux (l'égalité des sexes) et environnementaux (le respect d'une trajectoire carbone). Ses quatre rapporteurs LaREM Saïd Ahmada, Barbara Bessot Ballot, Dominique Da Silva et Laurianne Rossi, ainsi que son président LR Stéphane Viry ont présenté mercredi leurs conclusions aux commissions des finances, des affaires économiques, des affaires sociales et du développement durable.
Parmi les 23 propositions, deux portent justement sur les licenciements, démontrant que la majorité est prête à évoluer sur le sujet. "Il est immoral de fermer une usine, comme Bridgestone l'a fait avec son site de Béthune après avoir reçu 20 millions d'euros de CICE et 620 000 euros d'aides régionales", a fait valoir Dominique Da Silva, précisant "qu'aucune législation ne lui imposait de rembourser de telles aides".
Les rapporteurs préconisent d'abord de renforcer la loi Florange de 2014, qui prévoit l'un des rares cas de remboursement d'une aide publique. Il s'applique à une entreprise aidée qui "n’a pas accompli tous les efforts nécessaires en vue d’une reprise" d'un site qu'elle ferme. Aujourd'hui, la loi vise les entreprises de plus de 1000 salariés. Les députés veulent baisser ce seuil à 500 salariés, ce qui aurait permis de toucher Bridgestone et ses 850 salariés.
En parallèle de cette évolution législative, le quatuor de rapporteurs plaide pour systématiser la signature d'un contrat lors du versement d'une aide à l'installation ou à l'extension. "À défaut du respect de cette condition, la collectivité publique disposerait ainsi d’une base juridique pour demander le remboursement de l’aide", lit-on dans leur rapport. Et, face aux restructurations intempestives de certaines multinationales, le remboursement pourrait être mis à la charge de la société mère en cas de faillite d'une filiale.
Les députés veulent aussi se pencher sur la politique salariale des firmes bénéficiant de l'argent public. Les aides dont "l'objectif est de maintenir l'existence d'une entreprise" pourraient être conditionnées à l'interdiction temporaire de toute hausse de la rémunération des dirigeants de cette entreprise, part fixe comme part variable. La même interdiction pourrait concerner la distribution d'actions gratuites à ses mandataires sociaux.
Le rapport plaide aussi pour que les entreprises attestent, par une déclaration sur l'honneur, remplir toutes leurs obligations fiscales et sociales. Dans le même esprit, les firmes condamnées pour non-respect de l'égalité professionnelle, pour discrimination, ou qui ne respectent pas l'obligation légale de négocier les salaires pourraient se voir priver de subventions.
Enfin, les députés imaginent de nouvelles "conditionnalités environnementales" en affichant comme principe, qu'"une aide publique ne doit pas conduire à ce que l’entreprise récipiendaire aggrave son bilan d’émission de gaz à effet de serre". Cette "écoconditionnalité" pourrait s'appliquer à partir de 250 salariés et viser en priorité "les secteurs économiques les plus polluants".
Jugées plutôt consensuelles par les députés de tous les groupes, ces propositions doivent maintenant trouver une opportunité législative pour se concrétiser. À part le prochain projet de loi de finances, les possibilités sont désormais rares, à un an de la fin du quinquennat, pour réaliser "ce nouveau modèle des aides publiques", comme l'a baptisé Barbara Bessot Ballot. Dominique Pottier (PS) a regretté la série d'occasions selon lui manquées par la majorité : "J'ai une peine profonde entre l'accueil des propositions socialistes et d'autres oppositions qui évoquaient la conditionnalité lors du débat sur le plan de relance ou des budgets rectificatifs, (...) et les bonnes intentions partagées aujourd'hui."