Dans la 4e circonscription de Paris, Astrid Panosyan-Bouvet, candidate investie par Ensemble !, la coalition qui soutient Emmanuel Macron, part à la conquête de ce bastion de droite où la députée Les Républicains, Brigitte Kuster, est candidate à sa réélection. Un match au résultat incertain dans lequel Garen Shnorhokian (Reconquête !) et Natalie Depraz (Nupes) tentent de faire entendre leur voix en espérant mobiliser les abstentionnistes.
En fin de journée, mardi 7 juin, sous le préau de l’école Ampère située dans le 17ème arrondissement de Paris, militants et sympathisants Les Républicains ont remplacé les écoliers. Des sièges en bois installés tout autour de la candidate et députée sortante, ainsi que des tapis de gym en mousse empilés dans un coin, servent d’assises aux 60-70 personnes qui assistent à la réunion publique. "Il y a du monde, ça fait plaisir !" entend-on au fond de la salle. La 4e circonscription, qui couvre une partie des 16e et 17e arrondissements de la capitale voit 13 candidats s’affronter.
Du premier au dernier rang, l’assemblée est attentive. La plupart des habitants venus écouter Brigitte Kuster ont quitté les bancs de l’école depuis longtemps, mais une dizaine de jeunes sont aussi présents. Avant la députée et candidate, Geoffroy Boulard, actuel maire LR du 17ème arrondissement, puis Gérard Gachet, suppléant de Brigitte Kuster, défendent l'action de celle-ci au cours du mandat écoulé en distillant quelques slogans : “Cette circonscription n’est pas de gauche !”, “Dimanche, voter utile, c’est voter Brigitte !"
Après avoir mené une campagne “de terrain”, alternant tractage, porte à porte et réunions publiques, l’ancienne maire du 17eme arrondissement et conseillère de Paris mise beaucoup sur son ancrage local pour être réélue. A propos des 12 autres candidats, "nous n’avons que des parachutages” estime-t-elle. Un point sur lequel ses partisans insistent : “C’est très important d’être connu dans la circonscription. Avoir un relais local ça permet de faire avancer les dossiers.” D’un ton ferme et assuré, la députée sortante prend la parole et motive ses troupes "C’est capital que vous alliez voter (…) ceux qui vont gagner sont ceux qui vont le plus se mobiliser".
A moins d’une semaine du premier tour, l’enjeu pour Brigitte Kuster est important : ne pas céder l’un des deux derniers bastions de la droite dans la capitale - l’autre étant la 14eme circonscription - à Ensemble ! et à Emmanuel Macron, arrivé en tête au premier tour des législatives en 2017. Si au second tour, Les Républicains avaient finalement réussi une "remontada", en remportant de peu (51,51%) la quatrième circonscription, personne ne se risque, cette fois, à anticiper le résultat du scrutin. “Nous devons être les Gaulois parisiens, ironise la candidate applaudi par la salle dans un éclat de rire alors que, souligne-t-elle, "ces deux circonscriptions [la 4e et la 14e de Paris] ont été pointées du doigt comme étant des circonscriptions de conquête" par le camp du Président.
Malgré l’incertitude liée au scrutin, tout le monde y croit. “La campagne est réussie à fond ! Je ne suis pas inquiète", lance une militante convaincue qui ajoute : "On est là, à ses côtés et cette fois-ci au premier tour, elle sera en tête !”. Le parti Reconquête ! d’Eric Zemmour, qui pourrait ravir quelques voix à la droite n'effraie pas les partisans de Brigitte Kuster. "Il ne nous font pas de mal, ce n’est pas un parti de droite, c’est un parti d'extrême droite”, indique un militant. “On est surtout concentrés sur Brigitte, sur les LR". L’un d’eux relativise : “Eric Zemmour est arrivé deuxième" à la présidentielle dans cette circonscription, "il faut le prendre en compte. Il ne faut pas fermer les yeux, il y a des sujets sur la sécurité, l’immigration, qui doivent être traités par les Républicains." Au premier tour de l'élection présidentielle, Emmanuel Macron est arrivé en tête dans la circonscription 4e circonscription de Paris (45,9%), devant Eric Zemmour (16,8%), Valérie Pécresse (12%), puis Jean-Luc Mélenchon (11,8%). Et au second tour, le Président est arrivé très largement devant Marine Le Pen (83,3%).
Pour mobiliser les électeurs en sa faveur à quelques jours du premier tour des élections législatives, Brigitte Kuster met en avant son action de députée. Elle cite notamment “sa grande fierté de parlementaire”, la mission d’information sur la restauration de la cathédrale Notre-Dame, qu'elle a présidé, et qui avait notamment mis lumière la lourde taxe d’occupation du domaine public réclamée par la mairie de Paris. Elle souligne également ses combats pour la sécurité et contre les squatteurs. Après son intervention, beaucoup se bousculent pour discuter et prendre une photo. "Bravo Madame Kuster, vous allez y arriver, il faut s’accrocher !" lui glisse-t-on entre deux embrassades et quelques poignées de mains. “On va y arriver, le 17ème c’est un peu la famille”.
Certains n’hésitent pas à poser des questions franches : “Je vous ai écouté et vous ne mentionnez pas Les Républicains. C’est bien votre parti ?” Réponse de Brigitte Kuster : “Bien sûr, que je suis avec LR, regardez, le logo est là”, “Ah oui, il est tout petit.” Mais, même si elle a obtenu un meilleur score ici qu'au niveau national, la lourde défaite de Valérie Pécresse à la présidentielle a laissé des traces et la députée sortante mise d'abord et avant tout sur son équation personnelle et les enjeux locaux.
A quelques pâtés de maison de l’école Ampère, un peu plus tôt dans la journée, c’est le balai des poussettes qui signe la sortie des classes. Une maman agrippe la sienne des deux mains et appelle deux jeunes retardataires qui s’amusent devant une vitrine 30 mètres derrière, “Les enfants venez ici. On y vaaaaaa !” Astrid Panosyan-Bouvet en profite pour se présenter et lui donne un tract bleu clair que la mère de famille inspecte en la remerciant, avant de l’agiter en l'air pour appeler ceux qu'elle attend, “Bien sûr, j’irai voter dimanche… Allez les enfants, on se dépêche !”
La candidate investie par la majorité présidentielle sortante, issue de La République en marche, continue sa déambulation auprès des commerçants. Cette ancienne conseillère d’Emmanuel Macron au ministère de l’Economie milite pour “une économie qui fasse confiance en l’entreprise et en la valeur travail”. Au détour d’une pharmacie, elle s’entretient avec la propriétaire qui lui fait part de son mécontentement vis-à-vis “des réglementations strictes d'aménagement des officines imposées par l’Agence régionale de santé”. Astrid Panosyan-Bouvet comprend. “On leur demande beaucoup. Et les départs à la retraite des médecins généralistes accroissent leur rôle de proximité avec les habitants en tant que professionnels de santé”. De retour à l’extérieur de la pharmacie, sous la moiteur orageuse de ce début juin, une femme vient spontanément la saluer. Plus loin, elle se présente à une passante, “Bonjour, je suis Astrid Panosyan-Bouvet, votre candidate pour la majorité présidentielle aux législatives”, qui répond, d’un pas pressé, à propos du tract, “je vous remercie, je l’ai déjà eu !”
Longtemps habitante du 16ème arrondissement, elle dit mener une campagne “d’ancrage local”, au plus près des habitants : “On a fait du porte à porte tous les jours, ça offre une certaine proximité”. Le but est davantage de se faire connaître que d’insister sur un thème particulier, mais la candidate tient à le préciser, “l’ancrage local n’est pas un projet national, ce n’est pas une élection municipale”, glisse-t-elle à l’adresse de sa concurrente de droite, dont elle critique le projet, “A l’Assemblée nationale, Les Républicains ont voté contre le passe sanitaire et vaccinal, contre la loi PACTE, contre la transformation de l’ISF en IFI et contre la suppression de la taxe d’habitation.”
Dans la foulée de l'élection présidentielle, la candidate d'Ensemble ! croit en ses chances de victoire. “Les électeurs ont vu Emmanuel Macron à l'œuvre pendant cinq ans. ils vont vouloir lui donner une majorité”. Sur le terrain, elle mise la dynamique de la réélection du Président qui a réalisé de très bons scores dans la circonscription. Avant de retourner tracter la candidate rejoint toute son équipe près d’un parc pour accueillir la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, venue en visite de soutien. Parmi les militants de tous les âges, beaucoup de jeunes d’une vingtaine d'années. La plupart arborent t-shirts et casquettes siglés “Ensemble avec Emmanuel Macron”.
La troupe d’une trentaine de personnes ne passe pas inaperçue. Au abords de la place du Maréchal Juin, la candidate de la majorité s'arrête pour discuter avec des jeunes installés à la terrasse d'un café. L’un d’entre eux lui demande, “C’est vous l’opposition à Mélenchon ?”, ce à quoi elle acquiesce. “Eh bien bon courage, moi je voterai pour vous !”
A la fin de la journée, les militants se montrent confiants, “Il se passe vraiment quelque chose”, dit l'un. “On sait que l’ancrage local compte vraiment. Mais qui incarne le mieux la droite aujourd’hui ? C’est nous”, glisse un autre. Amélie Oudéa-Castéra, elle, prend en compte la mesure de l’enjeu, “C’est une circonscription importante, où il faut transformer l’essai pour contribuer à construire une majorité présidentielle forte.”
Quelques jours plus tôt, place Victor Hugo, 17h, c’est l’effervescence entre la bouche de métro et un stand d’argenterie de la brocante du 16ème arrondissement. Garen Shnorhokian, candidat du parti d'Eric Zemmour, donne les dernières instructions pour le tractage aux militants qui font campagne avec lui. "Ici on insiste sur : moins d’impôts, plus de sécurité”. La dizaine de jeunes de 17 à 19 ans qui l’accompagne se répartissent les tracts, forment des binômes et choisissent une rue dans laquelle se déployer.
Le passage est étroit entre la brocante et les immeubles, tout le monde se trouve à porté de bras tendu ; Garen Shnorhokian, candidat pour la première fois, distribue des tracts à tous les passants, plein d'assurance. “Bonjour Garen Shnorhokian, je suis candidat aux élections législatives”. Au passage piéton, une dame à l’allure soignée, pull en maille torsadée beige et mocassins, attrape le document de campagne en souriant, satisfaite de voir le candidat d’Eric Zemmour. Le candidat prend particulièrement son temps avec les personnes âgées. Quelques stands plus loin, deux trentenaires discutent et rigolent, accoudés à une armoire en bois. Ils récupèrent machinalement le tract bleu foncé sans y faire attention dans un premier temps. Mais ils finissent par réagir : "Ah mince pourquoi je l’ai pris, je n’avais pas vu que c’était Zemmour !"
Avançant le long de la rue dans une cadence soutenue, Garen Shnorhokian veut toucher le plus de monde possible et n’hésite pas à rappeler qu’il connaît bien le quartier. En pointant du doigt la façade de l’ISG, une école de commerce, il se souvient “J’ai fait mes études ici, on allait souvent au bar du bout de la rue après les cours, avec mes amis.” Au fil des rencontres, Garen Shnorhokian n’hésite pas à critiquer la droite, “LR a été au pouvoir, on a vu l’insécurité exploser pendant cette période”. L’un de ses militants félicite “une vraie candidature de droite, ni centriste, ni Macron-compatible”.
Au détour d’un stand de fauteuils, un couple âgé du quartier prend le temps d’échanger avec le candidat, "Vous êtes de quelle origine ?" “Arménienne Monsieur”. Le couple semblent acquis à sa cause, “La droite est devenue centriste, voire même, de gauche” déplore l'homme. Ils partagent notamment la vision du candidat Reconquête ! sur l’immigration. Plus loin devant une cage d’escalier, la réaction change du tout au tout : la dame qui tient son carlin en laisse s'exclame : “Ah non !” avant de rendre le tract sur lequel apparaît la photo d’Eric Zemmour.
Pas de quoi décourager le candidat. “La 4e circonscription de Paris, c’est le meilleur score national d’Eric Zemmour, on a fait 16,8%. Je pense qu’on a de vraies chances de gagner, en comptant sur l’abstention des électeurs d’En Marche et de LR. C’est une circonscription gagnable pour Reconquête ", veut-il croire.
A 8h15, aux abords de l’école polyvalente de Reims, dans le 17ème arrondissement, Natalie Depraz, la candidate de La France insoumise, investie par la Nouvelle union populaire écologique et sociale, distribue des programmes aux parents, pas toujours bien réveillés. Un enfant dans chaque main, un papa pressé répond en souriant, “Je le prends au retour”. Un maman qui laisse qu'elle a voté pour Jean-Luc Mélenchon à l'élection présidentielle lance en reprenant l'expression du chef de file de la Nupes : “On sera là au troisième tour !” Pendant ce temps, Alexis Pujol, suppléant de la candidate en profite pour faire passer le message, “Bonjour, on a besoin de vous dimanche pour les législatives”.
La candidate sait que cette circonscription n'est pas favorable à la gauche, mais elle qualifie la circonscription de “terre de conquête" et mise sur le vote d'abstentionnistes de la présidentielle pour gagner le plus de voix possible, “Il y a 70% d’abstention dans le nord de la circonscription, c’est considérable”, souligne-t-elle.Natalie Depraz concentre sa campagne dans les quartiers qui lui sont, a priori, les plus favorables. “Je cible surtout le nord et les quartiers proches du boulevard périphérique, où sont davantage présentes les classes populaires”.
Le perron de l’école déserté par les parents, l’équipe se rend devant l'arrêt de tramway, porte d’Asnières. “On parle surtout de pouvoir d’achat, le Smic à 1500 euros et la retraite à 60 ans. Contrairement aux quartiers plus aisés de la circonscription où on met beaucoup l'écologie en avant, ici ça apparaît comme un luxe”, explique la candidate de la Nupes.
Alors qu'une sirène de police retentit, Natalie Depraz tend l’oreille pour écouter une femme, “Je ne peux pas voter je suis Béninoise, mais je le prends pour ma fille.” “Avec nous vous pourrez”, lui répond la candidate. “C’est un vrai problème à Paris, beaucoup de gens qui le voudraient ne peuvent pas aller voter à cause de leur nationalité."
Un homme qui attendait le tramway, lunettes de soleil, sur le nez discute avec la candidate “J’ai voté pour ce Monsieur là, dit-il en montrant la photo de Jean-Luc Mélenchon, même si ici, on ne le dit pas facilement !” s’amuse t-il. Il félicite l’alliance des gauches avec une pointe de réserve, "on est déçus du PS qui n’a pas appliqué le socialisme qu’on espérait, on est en colère contre eux”. Le tram arrive et une vague de passagers sort. Un homme saisit le tract aux couleurs de la NUPES et l’embrasse en regardant le ciel. Dans la 4e circonscription de Paris, la bataille électorale entre Brigitte Kuster et Astrid Panosyan concentre l'attention, mais les autres candidats font campagne, eux aussi, pour défendre leurs idées.