"A quoi sert une chanson ?"… si elle est désarmée ? » chantait Julien Clerc sur un texte d’Etienne Roda-Gil. Les chanteurs ont toujours été témoins et acteurs des grandes mutations sociales, politiques et culturelles. Ils sont le reflet et le porte-voix des luttes, des espoirs et des révoltes… on pense bien sûr à Léo Ferré, à Serge Gainsbourg ou encore à Renaud et d’autres grandes voix, mais aujourd’hui, avec l’omniprésence des réseaux sociaux et le clivage qu’ils génèrent, les prises de position des artistes sont de plus en plus périlleuses. Dans une série d'entretiens menés par Didier Varrod, directeur musical des antennes de Radio France, des artistes explorent la force de leurs œuvres en lien avec l'engagement sous toutes ses formes.
Lucky Love, figure montante de la scène musicale qui sort son premier album, se distingue par son combat pour la reconnaissance des minorités et son engagement pour l'égalité des genres. Son titre « Masculinity » est devenu l’hymne de plusieurs causes, jusqu’à devenir un moment fort de l’ouverture des Jeux paralympiques de Paris. Olivia Ruiz partage son parcours de femme engagée, le choc de la vague #Metoo et l’influence de ses racines familiales sur sa création. Alex Beaupain est quant à lui connu pour ses textes sensibles et engagés et n’a jamais caché son engagement politique à gauche.
A travers ces discussions, chaque artiste dévoile à Didier Varrod comment une chanson peut devenir le miroir de ses convictions et celles de son public, voire même, au-delà de sa première raison d’être, un vecteur de changement de notre société : « A quoi sert une chanson ? »
Lucky Love est un artiste aux multiples expressions : chanteur, auteur, compositeur, performeur, comédien, mannequin… Il se fait connaître, dès 2022, pour son titre « Masculinity » dont il a d’ailleurs interprété une adaptation - « My own ability » - à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des Jeux Paralympiques de Paris 2024.
Né sans bras gauche, Lucky Love ne le voit pas comme un handicap mais plutôt une différence. Homosexuel et séropositif, il décrit sa condition comme politique. C’est notamment de ces différences que provient sa soif de vivre.
De son enfance, Lucky Love raconte des moments avec sa famille d’origine kabyle. Très jeune, on lui inculque l’humilité, une valeur centrale. Lui, qui a commencé sa carrière au cabaret Madame Arthur, avait envie de liberté. La transcendance de la scène lui a permis de se découvrir, s’exprimer et devenir l’homme qu’il est aujourd’hui.
L’univers du chanteur s’inspire de l’amour : « Comment avez-vous découvert l’amour ? » demande-t-il aux personnes qu’il rencontre et apprend à connaître. Lui l’a appris à travers des auteurs et intellectuels tels que Verlaine, Rimbaud ou encore Barthes. Lucky Love qualifie son premier album comme une prise de parole. Il ne veut plus qu’on le voit mais qu’on le regarde, ni qu’on ne l’entende mais plutôt qu’on l’écoute.
Olivia Ruiz est depuis toujours très attachée à sa famille. Descendante d'immigrés espagnols, elle a à coeur le sujet de l'exil et exprime ses opinions contre l'extrême droite lors de ses concerts.
Elle avoue s'être pris « en pleine face » le mouvement #metoo. Elle a éprouvé un sentiment de culpabilité de ne pas avoir perçu la détresse de certaines de ses consoeurs et se rappelle ses sanglots à l'coute des témoignages de victimes. C'est aussi grâce à cette libération de la parole qu'elle s'est sentie assez forte pour parler d'une soumission chimique dont elle a été victime, qu'elle s'est remémorée alors qu'elle rencontrait la fille de Gisèle Pelicot.
Bien qu'elle prenne position, Olivia Ruiz ne se définit pas comme engagée car, pour elle, l'engagement sous-entend une implication quotidienne et une grande connaissance du sujet. D'après elle, c'est un terme trop grand pour caractériser sa musique.
Connu pour ses textes sensibles et engagés, ancien étudiant de Sciences Po Paris, Alex Beaupain n'a jamais caché son engagement politique à gauche. Il est l’auteur des chansons du film de Christophe Honoré « Les chansons d’amour » et sa chanson "Au départ", qui fait le parallèle entre une relation amoureuse et l’élection de François Mitterrand en 1981, a accompagné la campagne de François Hollande en 2012, malgré des paroles désabusées sur l’arrivée de la gauche au pouvoir.
Cependant, lui, l’artiste engagé, reconnaît avoir du mal à afficher ses opinions publiquement. Il lui semble indécent d’annoncer un concert sur les réseaux sociaux en même temps que de dénoncer la montée de l’extrême droite. Prendre la parole sur certains sujets, c’est aussi ne pas s’exprimer sur d’autres, ce qu’on peut se voir reprocher en tant que personnalité publique.
"Les grands entretiens" est une collection d’interviews diffusées sur LCP.
Oubliez les plateaux de télévision placés sous le feu des projecteurs, oubliez les éclats de voix des débats et la frénésie de l’actualité, place à une rencontre singulière avec une personnalité du monde politique, des arts, du spectacle ou de la société civile. Une volonté affichée de laisser s’exprimer les émotions, la force des mots, le poids des silences et l’intensité des regards. Le décor est plongé dans l’obscurité, une mise en images tout en profondeur et en élégance où seuls les visages du présentateur et de son invité s’éclairent dans l’intensité de cet échange. Le journaliste-interviewer choisit le thème de ces entretiens et recueille la parole des personnalités.