Violences sexuelles sur mineurs : "L’Église a, dans bon nombre de cas, couvert ces agissements"

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Jean-Marc Sauvé
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 20 octobre 2021 à 12:31, mis à jour le Jeudi 21 octobre 2021 à 14:30

Deux semaines après la publication de son rapport, le président de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église catholique, Jean-Marc Sauvé, a été auditionné trois heures par les députés de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Il a dénoncé une "collusion" institutionnelle, jusqu'à une période récente, pour couvrir ces agissements, et a détaillé les mesures qu'il préconise.

Président de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), qui avait été créée à l’initiative de la Conférence des évêques, Jean-Marc Sauvé a été entendu ce mercredi 20 octobre par la commission des lois. Par ailleurs vice-président honoraire du Conseil d’État et ancien jésuite, il a réitéré les chiffres qui, le 5 octobre dernier, avaient ému la communauté catholique et l’ensemble de la société.

Un constat vertigineux 

Sur la période allant de 1950 à 2020, ce sont ainsi 330 000 mineurs qui auraient été victimes d’individus en lien avec l’Église, dont 216 000 seraient des victimes de clercs, religieux et religieuses. Le nombre d’agresseurs est ainsi estimé entre 2 900 et 3 200. "Cette fourchette constitue un plancher dans la mesure où toutes les agressions n’ont pas été connues de l’Église et toutes celles qui ont été connues n’ont pas fait l’objet de l’ouverture d’un dossier", dit le rapport issu des travaux de la commission. "Elle conduit à un ratio de 2,5 % à 2,8 % de l’effectif des clercs et des religieux de 1950 à nos jours".

Si Jean-Marc Sauvé a indiqué devant les députés que "la grande majorité des abus dans l’Église catholique" avaient eu lieu "de 1950 à 1969", avançant sur cette période le chiffre de 56 % de la totalité des agressions recensées sur 70 ans, il a aussi martelé qu’il ne s’agissait "pas uniquement d’un problème du passé".

Des violences sexuelles qui concernent dans l'Église catholique les garçons dans près de 80% des cas, à l'inverse du ratio qui a cours pour les agressions commises dans la sphère intrafamiliale, dont les filles sont davantage victimes. Jean-Marc Sauvé a tenu à citer le chiffre quotidien de "450 nouveaux mineurs qui sont sexuellement agressés dans notre société", afin de souligner l'ampleur du phénomène au-delà même du milieu de l'Église catholique, qui a été l'objet de ses travaux.

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Une Église "trop centrée sur la protection de l’institution"

Le rapport évoque de la part de l’Église une attitude "d’occultation, de relativisation, voire de déni, avec une reconnaissance toute récente, réellement visible à compter de 2015, mais inégale selon les diocèses et les congrégations". Et c’est en raison de cette défaillance institutionnelle que Jean-Marc Sauvé a employé l’expression de "responsabilité systémique". Il a en revanche écarté l’hypothèse de l’existence de "systèmes criminels d’abus", soit de réseaux organisés au sein-même de l’Église.

L’Église a, selon Jean-Marc Sauvé, "dans bon nombre de cas couvert ces agissements et n’a pas mis en œuvre les mesures de prévention qui convenaient". Il évoque également des complicités et même "une collusion généralisée entre l’ensemble des institutions", afin de préserver l’omerta. Il indique ainsi avoir trouvé, dans le cadre des investigations de la commission, des correspondances entre un procureur et un évêque, à propos du classement d’une affaire mettant en cause un prêtre, mais relate aussi le rôle de la presse, au travers d’un cas où "on a mis le nom de l’auteur, sans dire qu’il était prêtre".

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"La difficulté est réelle, mais elle est surmontable", a par ailleurs considéré Jean-Marc Sauvé à propos du secret de la confession, suite aux propos polémiques du président de la Conférence des évêques de France, Éric de Moulins-Beaufort, qui avait estimé qu’il était "plus fort que les lois de la République". S’appuyant sur le droit pénal, Jean-Marc Sauvé a quant à lui considéré que "même dans le cadre de la confession, l'obligation de dénoncer demeure", faisant référence à "l’obligation d’assistance à personne en danger".

Des recommandations axées sur la prévention et la reconnaissance des victimes

La commission s’est en outre particulièrement penchée sur la question des rapports de pouvoir dans l'Église, de la dimension charismatique du prêtre, et de "la puissance sacramentelle". Le rapport prône ainsi "dans toutes les formes de catéchèse, [l’enseignement] aux fidèles et, en particulier, aux plus jeunes et aux adolescents, l’exercice de la conscience critique en toutes circonstances". 

Il souhaite également la "mise en place généralisée dans les diocèses de cellules d’accueil et d’écoute des personnes ayant subi des violences sexuelles".

Je ne sais pas comment on peut indemniser 35 ans de psychothérapie ou de psychanalyse, mais il faut tenir compte du fait que ça a coûté. Jean-Marc Sauvé

Enfin, L’Église se doit d'avancer dans une démarche de reconnaissance des faits et de réparation pour les victimes. Si Jean-Marc Sauvé ne se prononce pas pour un allongement du délai de prescription, il souhaite une indemnisation systématique, au nom notamment du "préjudice de santé". "Je ne sais pas comment on peut indemniser 35 ans de psychothérapie ou de psychanalyse, mais il faut tenir compte du fait que ça a coûté", a-t-il ainsi déclaré. Le rapport propose de financer les indemnités versées aux victimes "à partir du patrimoine des agresseurs et de l’Église de France, via le fonds de dotation dont la création a été annoncée par la Conférence des évêques de France", tout en écartant les pistes d’un appel aux dons des fidèles et d’une socialisation du financement. 

La commission n’établit par ailleurs pas de lien de cause à effet entre abus sexuel et célibat sacerdotal, même si elle propose d’"identifier les exigences éthiques du célibat consacré au regard, notamment, de la représentation du prêtre et du risque qui consisterait à lui conférer une position héroïque ou de domination". Jean-Marc Sauvé considère également qu’il faut davantage féminiser l'Église, partant du constat que "95% des abus sexuels dans notre société sont commis par des hommes".

Si la commission ne propose pas de légiférer, elle invite l’Église à s’emparer du droit pénal canonique. "Nous pensons qu'il aurait pu fonctionner et qu'il peut fonctionner", a ainsi déclaré le président de la CIASE, "la République ne peut pas exclure de l’État clérical un prêtre, mais la justice canonique le peut !".

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Ludovic Mendes (La République en marche) a souligné que le diocèse d’Alsace était l’un des plus touchés par les affaires d’abus sexuels, et demandé si au titre du Concordat, l’État français pouvait être touché "par effet ricochet, par les procédures qui sont ouvertes aujourd’hui à Strasbourg". Jean-Marc Sauvé a reconnu ne pas avoir "pris en considération cette question", alors que les prêtres sont dans les départements concordataires "des agents publics". "C'est une question intéressante, et qui mérite d'être approfondie", a-t-il ainsi admis, tout en réservant son jugement.

Jean-Marc Sauvé, par ailleurs, a indiqué qu'au cours de ses travaux la commission avait saisi le Parquet dans 22 dossiers portés à sa connaissance.