Gabriel Attal a été élu président du groupe Renaissance samedi 13 juillet. Encore Premier ministre, il ne pourra siéger à l'Assemblée et exercer sa nouvelle fonction qu'une fois sa démission acceptée par Emmanuel Macron. Il en va de même pour les ministres qui ont été élus ou réélus députés. Alors que nul ne sait pendant combien de temps l'équipe actuelle sera chargée d'expédier les "affaires courantes", l'interprétation de la Constitution quant à l'exercice d'un mandat de député par un ministre faisant partie d'un gouvernement dit "démissionnaire" fait débat entre spécialistes.
De Matignon au Palais-Bourbon. Réélu député des Hauts-de-Seine dimanche 7 juillet, Gabriel Attal a été élu président du groupe Renaissance par les députés du parti présidentiel, samedi 13 juillet. Comme les seize autres ministres élus ou réélus députés, il ne pourra cependant siéger à l'Assemblée nationale et exercer sa nouvelle fonction qu'à partir du moment où le président de la République aura accepté sa démission et celle de son équipe. Ce qui devrait être le cas à l'issue d'un Conseil des ministres, mardi 16 juillet.
Cette démission permettra notamment à Gabriel Attal et aux députés issus du gouvernement de participer à l'élection à la présidence de l'Assemblée nationale, jeudi 18 juillet, jour d'ouverture de la XVIIème législature. Alors que nul ne sait pendant combien de temps l'équipe actuelle sera chargée d'expédier les "affaires courantes", la question, en cas de gouvernement démissionnaire, des frontières de l'incompatibilité entre mandat de député et fonction de ministre nourrissent le débat entre constitutionnalistes.
L'article 23 de la Constitution dispose que "les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire". "Cette incompatibilité n'est pas une inéligibilité", souligne la maitresse de conférences en droit public à l'Université de Rouen, Anne-Charlène Bezzina, le choix étant laissé à la personnalité élue entre son mandat de député et sa fonction de ministre. "Qu'on puisse siéger à l'Assemblée dès le lendemain de sa démission du gouvernement, cela ne me paraît pas poser de problème. Néanmoins, rester au gouvernement ensuite me semble plus compliqué".
Concrètement, une fois la démission du gouvernement acceptée par le président de la République, très certainement à l'issue du Conseil des ministres prévu mardi 16 juillet, un décret sera signé mettant fin aux fonctions du Premier ministre et des membres de son équipe. Le gouvernement sera cependant maintenu en place pour assurer la continuité de l'Etat en attendant la nomination d'un nouveau locataire à Matignon.
Une situation transitoire qui n'a pas de limite dans le temps au regard de la Constitution. Concrètement, le gouvernement ne sera plus chargé que d'expédier les "affaires courantes", et dans l'impossibilité d'engager l'avenir du pays en présentant de nouveaux projets de loi ou de prendre des mesures ayant un impact budgétaire nouveau.
Depuis quelques jours, la possibilité pour les membres d'un gouvernement démissionnaire de siéger à l'Assemblée nationale - ce qui n'est clairement pas possible pour un gouvernement de plein exercice -, fait débat parmi les spécialistes au regard de la lettre et de l'esprit de la Constitution.
Pour Anne-Charlène Bezzina, la réponse est non : "On peut envisager une forme de qualité sui generis de gouvernement démissionnaire, comme ce fut le cas en 1962 avec Pompidou. Mais que les membres de ce gouvernement démissionnaire soient plénipotentiaires à l'Assemblée, cela me paraît un peu fort de café".
Même interprétation de la part du professeur de droit public à l'Université de Lille, Jean-Philippe Derosier, qui doutait avant l'élection de Gabriel Attal à la tête du groupe Renaissance de la possibilité pour celui-ci d'exercer cette fonction. Le constitutionnaliste faisant valoir que "même s’il était démissionnaire, gérant les affaires courantes, il est au gouvernement : l’article 23 de la Constitution est clair".
La difficulté dans le cas actuel réside dans le fait que la Constitution ne mentionne pas la notion de gouvernement expédiant les "affaires courantes". Pour tous les spécialistes, une chose est claire : sans démission, impossible pour Gabriel Attal et ses ministres démissionnaires de siéger en tant que députés et d'exercer des fonctions au Palais-Bourbon. Pas plus qu'ils ne pourraient, par exemple, voter lors de l'élection au Perchoir, jeudi 18 juillet. "Ils pourront en revanche participer aux votes si la démission du gouvernement est actée par décret du Président de la République avant le 18 juillet", estiment Pierre Avril, Jean-Pierre Camby et Jean-Eric Schoettl, respectivement professeur des Universités, professeur associé à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines Paris-Saclay et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.
L'incompatibilité ne prend pas effet si le gouvernement est démissionnaire avant l'expiration dudit délai. Article L.O 153 du code électoral
Dans l'article qu'ils ont signé dans la Revue politique et parlementaire, les trois constitutionnalistes citent l’article L.O 153 du code électoral selon lequel "l’incompatibilité établie par ledit article 23 [de la Constitution] entre le mandat de député et les fonctions de membre du Gouvernement prend effet à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la nomination comme membre du Gouvernement. Pendant ce délai, le député membre du Gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire. L’incompatibilité ne prend pas effet si le Gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai".
Par un parallélisme des formes, Pierre Avril, Jean-Pierre Camby et Jean-Eric Schoettl concluent que "la démission du ministre, dans le cas de la démission du gouvernement, met fin à l’incompatibilité". Le maître de conférences en droit public à l'Université Paris X-Nanterre, Thibaud Mulier, souligne cependant la spécificité de la situation dans laquelle un ministre devient ou redevient député, qui n'est "pas prévue par le code électoral", y compris dans son article L.O 153, visant la situation inverse, soit celle d'"un déjà-parlementaire qui est nommé ministre".
Quant à l'hypothèse d'un gouvernement de transition aux attributions très limitées, Thibaud Mulier avance que "soit on envisage le gouvernement fonctionnellement, soit on l’envisage organiquement, peu importe ses compétences". Dans le premier cas, un gouvernement se limitant à la gestion des affaires courantes n'est plus un gouvernement au sens de l'article 20 de la Constitution, selon lequel il "détermine et conduit la politique de la nation". Une interprétation qui ferait alors tomber l'incompatibilité entre ministre démissionnaire et député de plein droit. Mais dans le second cas, considérant un gouvernement aux prérogatives limitées mais néanmoins en exercice, "son existence organique ferait que l’incompatibilité perdurerait".
Aucune loi ne prévoyant à proprement parler la situation actuelle, le constitutionnaliste penche pour s'en tenir à "une application stricte de l’article 23", tout en considérant qu'il sera difficile de contester la présence des ministres démissionnaires sur les bancs de l'Assemblée nationale, "le Conseil constitutionnel s’étant estimé à plusieurs reprises incompétent pour statuer sur les élections au sein de l’Assemblée". Ce fut notamment le cas dans sa décision n° 86-3 ELEC du 16 avril 1986, selon laquelle "aucune disposition de la Constitution ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour statuer sur la régularité de l'élection du Président de l'Assemblée nationale".
C'est donc bien l'interprétation développée par Pierre Avril, Jean-Pierre Camby et Jean-Eric Schoettl, partagée sur LCP par le professeur à l'Ecole de Droit de la Sorbonne Paris 1, Dominique Rousseau, qui l'emportera dans les faits à partir du moment où Emmanuel Macron aura accepté la démission de Gabriel Attal et de son gouvernement. L'idée d'expédier les "affaires courantes" indiquant que la situation n'a, a priori, pas vocation à s'éterniser.