Le général François Lecointre a été auditionné mercredi 7 juillet par les députés de la commission de la défense nationale. Une audition au cours de laquelle les députés ont rendu hommage au militaire qui quittera la tête de l'état-major des armées le 21 juillet. L'occasion d'exposer à nouveau sa vision du monde militaire et des relations entre les différentes institutions.
Pour son "dernier tour de piste", le général François Lecointre est venu offrir aux députés de la commission de la défense nationale et des forces armées "une sorte de testament". À savoir, sa vision de la militarité, mais plus largement de l'état du monde militaire et de l'usage qui en est fait. Le chef d'état-major des armées a récemment annoncé son départ, après quatre années dans ses fonctions, notamment afin de décorréler son départ de celui de l'élection présidentielle de 2022, pour ne pas "politiser" son poste.
L'audition a été empreinte d'une émotion inhabituelle pour ce type d'exercice. Elle a d'ailleurs commencé par un hommage appuyé de la présidente de la commission, Françoise Dumas, imprégné de références littéraires et historiques. L'élue LaREM a été suivie en cela tout au long de l'audition par ses collègues, auteurs d'interventions plus ou moins lyriques pour saluer un militaire qui n'a jamais caché son amour de la littérature.
Le général François Lecointre a délivré, dans une sorte de grand oral aux accents philosophiques, sa vision de la "singularité" militaire, notion qui lui est particulièrement chère et qu'il a érigée en dogme au cours de ces quatre dernières années.
L’obligation faite aux armées de mettre en œuvre la force de manière délibérée pour protéger la France et de promouvoir ses intérêts fonde la singularité militaire et l'originalité d’une institution à laquelle le destin du pays est lié et qui emporte avec elle une part de la culture nationale. François Lecointre, "Vision stratégique : pour une singularité positive"
Véritable ciment de la société, ce particularisme, mélange de don de soi, de rigueur et d'héritage historique et culturel, repose sur une obligation faite au militaire : la stricte soumission au pouvoir politique. "Une soumission zélée", a insisté le général. "Je me suis fait beaucoup injurier sur les réseaux sociaux, ayant été traité de lèche-botte, de carpette du président de la République, mais je revendique cette soumission au Président. Notre honneur de militaire exige d'obéir au politique."
À plusieurs reprises, François Lecointre a alerté contre les menaces qui pèsent contre cette singularité, provenant de l'extérieur - la directive européenne sur le temps de travail - comme de l'intérieur - la tentation de rendre l'armée plus conforme au civil. Le général s'est dit "abasourdi" au moment de quitter l'état-major, constatant l'affadissement d'une "discipline qui semblait aller de soi". "L'État semble paralysé par une sorte de routine, dans laquelle s'engage une forme d'autogestion de l'administration centrale." Du fait de ce particularisme militaire, l'armée serait alors la dernière institution qui applique précisément les intentions du président de la République.
Au cours des échanges, plusieurs élus sont par ailleurs revenus sur un épisode de tension récente : la tribune des militaires contre le "délitement" de la France, qui a été suivie par la publication d'un nouveau texte hébergé sur le site de Valeurs actuelles. Et l'expression d'une défiance envers le pouvoir politique, accusé par les signataires de laxisme face à cette situation. La publication de ces tribunes, vue comme une "machination" par le ministère des Armées, a également été très mal perçue à l'état-major.
"S'exprimer [pour un militaire] ne signifie pas dire n'importe quoi, sur n'importe quel ton, avec n'importe quel vocabulaire, sur des sujets qu'on ne maîtrise pas". Le général François Lecointre
Là encore, le chef d'état-major s'est dit "abasourdi" que le capitaine Jean-Pierre Fabre-Bernadac, à l'origine du premier texte, prétende "parler au nom de l'armée". "C'est invraisemblable. [...] Il ne représente rien d'autre que lui-même." Relancé par Joachim Son-Forget (non-inscrit), qui a confié avoir signé la deuxième tribune en sa qualité de capitaine de corvette dans la réserve citoyenne, le général s'est fait plus direct : "Je ne vois pas l'intérêt. Signez-la en tant que député", a-t-il lancé. "Vous n'auriez pas dû signer cette tribune, en tout cas pas avec votre grade, parce que vous engagez quelque chose qui est plus haut que vous et qui peut être récupéré dans une polémique politicienne", a-t-il conclu, déclenchant les applaudissements des élus.