La députée La République en marche Caroline Janvier a présenté, ce mercredi 4 mai, un rapport qui recommande une légalisation "réglementée" du cannabis "récréatif" afin d'"assécher le marché noir" et de mieux lutter contre la consommation des plus jeunes.
Faut-il légaliser le cannabis ? C'est en tout cas ce que propose un rapport parlementaire de la députée La République en marche Caroline Janvier, dont les conclusions ont été étudiées mercredi par la mission d'information "relative à la réglementation et à l'impact des différents usages du cannabis". Filière chanvre, cannabis thérapeutique, cannabis "bien-être" et cannabis "récréatif" : cette mission d'information, présidée par Robin Reda (LR) et dont Jean-Baptiste Moreau (LaREM) est le rapporteur général, s'est donnée pour objectif de faire le tour des questions liées au cannabis.
Chargée de la thématique du cannabis "récréatif", Caroline Janvier fait dans son rapport le "constat de l'échec de la politique répressive menée depuis 50 ans, tant en termes de sécurité que de santé publique". Afin de sortir de cette "ornière idéologique", elle propose de créer un "modèle français de légalisation réglementée" du cannabis, mais aussi de lancer un grand débat national sur le sujet. Son objectif : assécher le marché noir, "protéger notre jeunesse" et développer les actions de prévention.
Puisse ce rapport, désormais entre les mains du public, permettre de sortir d’un « tabou » qui n’a plus lieu d’être. Extrait du rapport de Caroline Janvier
Caroline Janvier a choisi d'"effectuer un rapprochement entre les moyens engagés et les résultats obtenus" par la "politique française de répression du trafic et de l'usage du cannabis". La députée a mené de nombreuses auditions : représentants de la direction générale de la police nationale (DGPN), médecins, chercheurs, sociologues, maires, personnels de l'Education nationale, etc.
Ses conclusions sont "sans appel" : "Cette politique coûte cher et mobilise à l'excès les forces de l'ordre sans pour autant contribuer, même de manière marginale, à la résorption de l'usage et du trafic de cannabis". Malgré la mobilisation de l'administration, qualifiée d'"exemplaire", la députée estime que "l'Etat assiste de manière impuissante à la banalisation du cannabis chez les jeunes".
La France serait ainsi le "plus gros consommateur de cannabis au sein de l'Union européenne". L'usage de cette drogue s'est banalisé au sein de toutes les classes sociales : selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 18 millions de Français ont déjà expérimenté le cannabis au cours de leur vie. En 2017, près de la moitié des adultes âgés de 18 à 64 ans déclaraient en avoir déjà consommé. Une proportion qui a presque quadruplé en 30 ans. De plus, la prévalence des usages problématiques pour les jeunes âgés de 16 ans est la plus forte d'Europe.
Autre preuve de l'échec français selon Caroline Janvier : la politique de lutte contre le cannabis "encombre" les tribunaux et entraîne des "sanctions pénales de facto peu sévères". "Les sanctions prononcées en cas de consommation sont profondément inégales en fonction des territoires et des caractéristiques sociales de la personne interpellée", ajoute la députée. Ainsi, les taux de poursuite peuvent aller du simple au quadruple entre la Seine-Saint-Denis et la Manche. L'élue LaREM veut donc en finir avec "la litanie répressive" : le "plan national anti-stupéfiants" et le déploiement des amendes forfaitaires sont, selon elle, des politiques "condamnées à échouer".
Le rapport de Caroline Janvier n'occulte pas les "effets néfastes" du THC, notamment sur le cerveau des "jeunes consommateurs" : "Les risques de troubles psychiatriques sont avérés lorsque l'usage est précoce." La consommation de cannabis augmenterait aussi le risque d'infarctus. Autre observation : l'économie souterraine "contribue très fortement à la hausse des violences au sein des quartiers défavorisés" et entraîne une "certaine déstructuration du lien social".
Selon l'élue, la légalisation du cannabis permettrait de résoudre ces problèmes : elle permettrait "d'assécher le marché noir" et de "développer des actions de prévention, notamment en direction des plus jeunes". La modification de la législation obligerait par ailleurs les pouvoirs publics à mettre en oeuvre une "éducation à l'usage" du cannabis.
Pour atteindre de tels objectifs, il serait alors "indispensable" d'adopter une "loi Evin du cannabis" afin de fixer les différentes formes de publicités admises, de "maintenir des restrictions d'accès pour les mineurs" ou encore de définir des lieux publics où l'interdiction demeurerait. La rapporteure appelle par ailleurs à une "réinsertion des anciens trafiquants" et propose un renforcement des sanctions contre ceux qui poursuivront leurs activités illégales.
La question de la publicité est fondamentale pour éviter que ne se développe une « esthétique » du cannabis incitant à sa consommation. Extrait du rapport de Caroline Janvier
Pour soutenir son propos, la députée s'appuie sur "l'opinion publique", qui a "évolué à contre-courant des rhétoriques martiales". Caroline Janvier évoque ainsi une enquête IFOP de juin 2018 selon laquelle 70% des Français se disent favorables à un véritable débat sur le sujet.
La rapporteure cite également la consultation en ligne lancée par la mission d'information relative à la réglementation et à l'impact des différents usages du cannabis : 80% des 250.000 personnes qui ont répondu au questionnaire se sont déclarées favorables à une autorisation de la consommation et de la production de cannabis dans un cadre établi par la loi.
Caroline Janvier souhaite amplifier la réflexion sur ces sujets en ouvrant un grand débat national sur le modèle de la Convention citoyenne pour le climat. Elle évoque aussi la possibilité d'une consultation référendaire. Peut-on produire du cannabis en France ? Faut-il prévoir un monopole étatique ? Faut-il autoriser la vente en ligne ? Chez les buralistes ? Quel prix fixer ? A partir de quel âge doit-on autoriser la consommation ? Autant de questions qui devront, selon la députée, être posées.
La proposition de Caroline Janvier ne fait pas l'unanimité au sein de la mission d'information. Mercredi, lors d'une conférence de presse, son président Robin Reda (Les Républicains) a affirmé ne pas "souscrire personnellement à une proposition de loi de légalisation du cannabis stupéfiant en France". Selon le député LR, une telle hypothèse est de toute façon "rendue parfaitement impensable par les déclarations du président de la République et du ministre de l'Intérieur".
Dans une interview au Figaro datée du 19 avril, Emmanuel Macron a en effet affirmé que "les stups ont besoin d'un coup de frein, pas d'un coup de publicité". Le chef de l'Etat a néanmoins annoncé vouloir lancer "un grand débat national sur la consommation de drogue et ses effets délétères".
Gérald Darmanin s'est lui aussi opposé à la légalisation : dans l'édition du JDD datée du 25 avril, le ministre de l'Intérieur a qualifié le cannabis de "drogue dure". Selon lui, "le niveau de THC a augmenté et crée une dépendance très forte". Gérald Darmanin revendique sa politique répressive en mettant en avant les 1300 opérations de démantèlement de points de deal depuis janvier et les 70.000 amendes forfaitaires délivrées aux consommateurs depuis le 1er septembre. Le ministre de l'Intérieur, qui veut lutter contre "le soft power des pro-légalisation", a également annoncé le lancement à la fin de l'été d'une nouvelle campagne de sensibilisation contre la drogue.
C'est une lâcheté intellectuelle (...) On ne va pas légaliser cette merde. Gérald Darmanin, sur LCI le 14 septembre 2020
Une position de fermeté réitérée mardi 4 mai dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, lors de la séance des questions au gouvernement. Interpellé par François-Michel Lambert (Libertés et territoires), le ministre de l'Intérieur a de nouveau qualifié le cannabis de "merde" et dénoncé les "discours permissifs", la "naïveté" et la "démagogie" des partisans de la légalisation.
Lors de la même séance, et alors qu'il était questionné sur l'affaire Sarah Halimi, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a lui aussi évoqué la légalisation de cette drogue. "Il me vient à l'esprit, en ce qui me concerne, qu'un homme qui a consommé trop de cannabis a commis [ce crime]", a réagi le Garde des sceaux. Mi-avril la Cour de cassation a confirmé l'irresponsabilité pénale du meurtrier de cette sexagénaire tuée en 2017 : les expertises psychiatriques ayant conclu que celui-ci avait commis les faits au cours d’une "bouffée délirante" sur fonds de forte consommation de cannabis.
Le gouvernement a décidé de s'emparer du sujet en annonçant la présentation à la fin du mois de mai d'un projet de loi qui modifiera le régime de la responsabilité pénale. Ce texte donnera la possibilité aux différentes juridictions de "tenir compte de la prise volontaire de substances toxiques par un individu conduisant à l'abolition de son discernement".
La position du gouvernement sur le cannabis ne semble pas décourager Jean-Baptiste Moreau : "Contrairement à la façon dont on nous a présentés, les députés La République en marche ne sont pas des playmobils caporalisés qui marchent au pas", a réagi mercredi le rapporteur général de la mission d'information sur les usages du cannabis. Avant de promettre : "On a des convictions, on va essayer de convaincre jusqu'à l'exécutif."