La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, réunit les chefs de file des groupes politiques, mardi 29 novembre en début de matinée, pour évoquer l'organisation du travail parlementaire. Objectif : entamer une réflexion pour mieux légiférer, tout en permettant aux députés d'être davantage présents en circonscription, alors que depuis les dernières élections législatives, chaque vote peut se jouer à quelques voix près dans l'hémicycle.
Il ne s'agit pas de travailler moins, mais de travailler mieux. Ce matin, mardi 29 novembre, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et les présidents des groupes politiques se réunissent pour lancer un travail de réflexion, afin de parvenir à une meilleure organisation du travail parlementaire. Au-delà du rythme de travail intense depuis le début de la législature, de nombreux députés déplorent notamment que les séances de nuit à répétition amoindrissent la qualité du travail législatif et regrettent de ne pas pouvoir être suffisamment présents en circonscription.
Pierre Cazeneuve (Renaissance) le confirme, l'activité est "dense". Un état de fait qu'il attribue à la donne politique issue des dernières élections législatives. Sans majorité absolue, avec des oppositions qui peuvent mettre le gouvernement en minorité, chaque vote peut se jouer à quelques voix près, ce qui oblige les différents groupes - ceux de la majorité en particulier - à davantage de présence dans l'hémicycle de l'Assemblée, y compris lors de séances de nuit à répétition. Or, le travail des députés ne se limite pas à la séance publique. En amont de l'hémicycle, les textes doivent être préparés au sein des commissions, ce qui oblige parfois à se dédoubler entre les salles de réunion et la séance publique où les travaux législatifs se déroulent en parallèle. Les élus travaillent, par ailleurs, au sein des missions d'information et des commission d'enquête constituées par l'Assemblée. Au final, l'activité au Palais-Bourbon, à Paris, laisse peu de temps pour assurer une présence en circonscription et rester ainsi en contact avec le terrain.
Vice-président de l'Assemblée, Sébastien Chenu (Rassemblement nationale), le confirme : "À partir du moment où vous avez une majorité relative, plus personne ne fait de jauges, puisque certains votes passent à quelques voix près". Celui qui siège régulièrement au perchoir remarque "des députés beaucoup plus fatigués et énervés", particulièrement en soirée, que lors de la précédente législature. Lors de ces séances nocturnes, "il y a des gens qui sont un peu épuisés, donc ils deviennent irascibles", note aussi David Guiraud (La France insoumise). "Et cela a une vraie conséquence sur le contenu des débats (...) ça peut déraper".
Comme beaucoup d'autres, Marie-Christine Dalloz (Les Républicains) explique, sans s'en plaindre, passer ses week-ends sur le terrain, à travailler en circonscription, dimanches compris. Cependant, elle relativise l'idée d'un rythme effréné en notant que l'usage du 49.3 sur le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale a raccourci le débat, ce que regrette d'ailleurs de nombreux députés qui estiment que le recours à cette procédure empêche d'aller au fond des discussions sur les textes budgétaires.
De son côté, Christine Pirès-Beaune (Socialistes) estime que le calendrier parlementaire n'est pas plus chargé aujourd'hui que lors de son premier mandat, en 2012, mais elle note la présence accrue des députés sur les bancs de l'Assemblée, ce qui contribue au sentiment d'être soumis à un "rythme infernal". Au-delà de la qualité de vie des députés qu'elle juge secondaire, elle considère que la réflexion est utile afin d'améliorer la qualité du travail parlementaire. "L'urgence n'est pas de s'intéresser à notre rythme de travail et à notre temps de sommeil, mais bien plutôt à la question des moyens du Parlement. Il faut qu'on ait le temps de légiférer". La députée se méfie aussi des propositions qui pourraient aller dans le sens d'une rationalisation des débats au Parlement en les contraignant davantage dans le temps. "J'apprends que le projet de loi sur l'accélération des énergies renouvelables sera débattu en temps législatif programmé de 30h (...). Faire la loi prend du temps, si l'on veut faire les choses bien", souligne-t-elle.
Pour améliorer la qualité des débats, Sébastien Chenu indique que le Rassemblement national devrait proposer la fin des travaux à 20h deux fois dans la semaine, ainsi que la sanctuarisation du vendredi pour permettre aux députés d'être en circonscription.
Le groupe Démocrate avait, pour sa part, suggéré la suppression pure et simple des séances de nuit, c'est-à-dire celles débutant à 21h30, lors de la dernière réforme du Règlement intérieur de juin 2019. Proposition qu'il est susceptible de porter à nouveau à l'occasion de la réflexion qui va s'engager, indique Élodie Jacquier-Laforge (MoDem), vice-présidente de l'Assemblée. "Le sujet n'est pas de se coucher tôt ou pas, mais avant tout de ne pas donner aux Français l'impression que les choses se font en catimini", explique la députée. Si en 2019, le curseur a été déplacé de 1h du matin à minuit pour la fin des séances du soir, les débats qui se prolongent au-delà de cet horaire ne sont pas rares, en particulier quand il s'agit d'achever l'examen d'une proposition ou d'un projet de loi.
On ne peut pas nous faire le reproche d'être déconnectés tout en nous demandant d'être du lundi au vendredi dans l'hémicycle. Élodie Jacquier-Laforge
Élodie Jacquier-Laforge estime que la solution ne peut s'avérer que "politique" et concertée entre les différents groupes qui composent l'Assemblée. Comme nombre de ses collègues, elle évoque la nécessité de "mieux articuler" le travail à l'Assemblée et celui en circonscription, et déplore qu'il soit aujourd'hui "vraiment déséquilibré", ce qui nuirait à la capacité des députés de "bien faire la loi". "On ne peut pas nous faire le reproche d'être déconnectés tout en nous demandant d'être du lundi au vendredi dans l'hémicycle", souligne-t-elle, regrettant le manque de temps pour aller à la rencontre des entreprises, associations, acteurs syndicaux et autres élus locaux.
Des propos corroborés par Sébastien Chenu, qui rapporte les difficultés des néo-députés de son groupe à nouer des liens avec les maires de leur circonscription. Dans le même ordre d'idée, le président du groupe Socialistes, Boris Vallaud, estime qu'"on n'est pas un bon député lorsqu'on est déconnecté de ce que l'on nous dit sur le terrain", tout en relativisant à son tour sur la question du rythme de travail : "Franchement, aucun de nous n'a le sentiment d'aller à la mine".Christine Pirès-Beaune a calculé que sur les 31 jours du mois d'octobre dernier, elle a passé 198,5 heures à Paris en séance, commission et autres réunions de groupe, 66,5 en circonscription, auxquelles il faut ajouter 32 heures de train, que la députée consacre aussi à travailler. "On arrive à des semaines de 70 heures, honnêtement, avant de faire le calcul, je ne m'en étais pas rendue compte", confie l'élue. Si elle considère ne pas pas être à plaindre, Christine Pirès-Beaune estime que changer le Règlement de l'Assemblée afin d'instaurer des semaines complètes à Paris et d'autres en circonscription pourrait être souhaitable afin de parvenir à un meilleur équilibre. "Le ratio pourrait être deux semaines entièrement consacrées aux travaux de l'Assemblée, puis une semaine en circonscription, avant de nouveau deux semaines à Paris", avance la députée.
Des pistes auxquelles la présidence de l'Assemblée nationale se dit "ouverte", alors qu'elle avait sollicité, dès cet été, les chefs de file des groupes politiques du Palais-Bourbon afin qu'ils réfléchissent à des idées favorisant une meilleure organisation du travail parlementaire.