Les députés ont voté, mardi 30 novembre au soir, la proposition de loi visant à "renforcer le droit à l'avortement". Si la mesure d'extension du délai légal de 12 à 14 semaines pour avoir recours à une IVG a été adoptée, la suppression de la clause de conscience spécifique n'a pas récolté la majorité requise. Par ailleurs, l'inscription du texte à l'ordre du jour du Sénat, condition sine qua non à son adoption définitive après un dernier passage à l'Assemblée, n'est pour l'instant pas assurée.
C'est une nouvelle avancée obtenue à l'arrachée par les partisans de la proposition de loi "visant à renforcer le droit à l'avortement". Porté depuis plus d'un an par Albane Gaillot (non inscrite) et Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), qui en sont co-rapporteures, le texte a été approuvé par les députés mardi 30 novembre, à l'issue de son examen en deuxième lecture. Il avait été inscrit à l'ordre du jour à l'initiative du président du groupe La République en marche, Christophe Castaner. La proposition de loi a cependant été amputée d'une de ses mesures les plus symboliques, suite à la bataille menée par la droite de l'Hémicycle, qui est parvenue à rallier à sa cause certains élus de la majorité.
Mesure-phare du texte, l'allongement de deux semaines du délai légal de recours à l'IVG a fait l'objet d'une position "de sagesse" du gouvernement, bien que le ministre de la Santé Olivier Véran, ait fait part de son soutien à titre personnel. Les députés ont voté en faveur de l'article 1er de la proposition de loi à 63 voix pour, 30 contre.
Également adoptées à une large majorité, la mesure concernant les sages-femmes, qui pourront pratiquer des IVG instrumentales jusqu'à la dixième semaine de grossesse, et la suppression définitive du délai de réflexion de deux jours suite à un entretien psychosocial.
Alors qu'en première lecture, la disposition avait été approuvée par les députés, ces derniers ont cette fois rejeté le principe de suppression de la double-clause de conscience. En effet, pour refuser de pratiquer une IVG, les praticiens peuvent aujourd'hui invoquer leur clause de conscience générale, applicable à tout acte médical, ou la clause spécifique à l'IVG, qui avait été inscrite dans la loi portée en son temps par Simone Veil, et qui selon Albane Gaillot, contribue aujourd'hui à faire de l'avortement "un acte médical à part" et à culpabiliser les femmes.
Dans les faits, la suppression de la clause de conscience spécifique n'empêcherait pas les praticiens de refuser une IVG, puisqu'ils pourraient toujours se saisir de la clause générale. Cependant, la droite de l'Hémicycle a fait valoir la valeur législative de la première. "Vous supprimez une clause de conscience législative et vous privilégiez une clause de conscience réglementaire", a ainsi indiqué Emmanuelle Ménard (non inscrite), qui a qualifié l'objection de conscience des médecins de "droit fondamental", reprenant à son compte la terminologie féministe liée au droit à l'avortement. Une clause générale qui serait "facilement modifiable par un simple décret gouvernemental", selon Patrick Hetzel (Les Républicains), là où seul le législateur peut défaire la clause spécifique.
Un argument repris par le gouvernement, le ministre de la Santé, Olivier Véran, ayant dès lundi émis des réserves quant à la suppression de la clause de conscience spécifique. Le Secrétaire d’État chargé de l'Enfance et des Familles, Adrien Taquet, présent au banc lors de l'examen de l'article 2, a pour sa part évoqué un "besoin supra-réglementaire", qualifiant l'IVG de "pratique qui n’est pas un dispositif de soins classique", à rebours de l'argumentaire des co-rapporteures du texte.
Ainsi, alors que les amendements de suppression de l'article 2 venaient d'être rejetés, les amendements enterrant la mesure de suppression de la clause de conscience spécifique, portés par Patrick Hetzel, Anne-Laure Blin et Fabien di Filippo, tous trois députés Les Républicains, ont été adoptés avec le renfort de voix de la majorité. L'article 2 contenait également l'obligation pour les praticiens d'orienter les femmes vers un confrère ou une structure de soins en cas de refus de pratiquer une IVG, à laquelle le gouvernement s'était dit très attaché. Cette partie de l'article a été validée.
Albane Gaillot a cependant regretté que l'article ait été "vidé de sa substance", alors qu'il avait été adopté tel quel en première lecture. "Il perd totalement de son sens", a déclaré Clémentine Autain (La France insoumise) à propos de l'article 2, "je m’apprêtais à voter favorablement et nous nous sommes abstenus parce que vous l’avez vidé de son contenu". Autre critique notable, celle de Christine Pirès-Beaune (Socialistes et apparentés), qui a évoqué "un goût amer" laissé par l'adoption du texte. "Avec vous, chers collègues de la majorité, on reste encore et toujours dans le 'en même temps', un pas en avant, un pas en arrière, point trop n'en faut. Le lobby des médecins est décidément très puissant, personne n'est dupe, et surtout pas les femmes, de ce qu'il s'est passé (...) La majorité est venue en soutien de la droite conservatrice, et l'article 2 a été vidé de sa substance".
Peu après cette déconvenue pour les co-rapporteures du texte, Marie-Noëlle Battistel a exhorté le ministre à s'engager à inscrire la proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat, ce qui rendrait possible une dernière lecture à l'Assemblée et la promulgation de la loi avant la fin de la législature. "Maintenant la balle est dans votre camp. Pour que ce texte aboutisse, vous le savez, il n'y a qu'une solution, c'est que vous vous en empariez, que vous le proposiez au Sénat le plus rapidement possible".
Quand je vois le gouvernement, qui à ce banc, ne cesse de dire 'sagesse', ne prend aucun engagement sur la manière dont il va faire en sorte que cette loi puisse être examinée au Sénat et puisse être promulguée, il y a du dégoût. Elsa FaucilloN
Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine) s'est montrée particulièrement pessimiste lors des explications de vote des différents groupes. "Quand je vois le gouvernement, qui à ce banc, ne cesse de dire 'sagesse', ne prend aucun engagement sur la manière dont il va faire en sorte que cette loi puisse être examinée au Sénat et puisse être promulguée, il y a du dégoût", a déclaré la députée communiste, avant d'évoquer un "jeu de dupes" et un "faux espoir pour les droits des femmes". Albane Gaillot, elle, dit rester "optimiste" en espérant un arbitrage favorable de l'Exécutif.