Examiné par la commission des lois début mai, le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire sera débattu à partir de mardi 18 mai dans l'hémicycle. Procès filmés, renforcement du secret de la défense, limitation de la détention provisoire, ou encore généralisation des cours criminelles : le point sur ce qui constituera la future "loi Dupond-Moretti".
Auditionné par les députés ce mercredi 5 mai, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a donné le coup d'envoi de l'examen en commission des deux projets de loi simultanés, l’un ordinaire, l’autre organique, "pour la confiance dans l'institution judiciaire". Une réforme très attendue par les professionnels du droit, et de nombreux citoyens confrontés à la justice.
"Cela fait de trop nombreuses années que le fossé entre nos concitoyens et la justice se creuse", a expliqué le Garde des sceaux, estimant que les différentes évolutions présentées doivent permettre de lutter contre la méconnaissance et la "défiance des Français envers l'autorité judiciaire".
Il s'agit d'une petite révolution dans un milieu où ni la caméra, ni l'enregistreur, ne sont traditionnellement les bienvenus. Le projet de loi prévoit d'autoriser la possibilité de filmer certaines audiences judiciaires et administratives, dès lors qu'elles présentent un "intérêt public". "Il ne s'agit en aucun cas de verser dans la justice spectacle", a expliqué Éric Dupond-Moretti devant les députés. "Je souhaite au contraire que les Français puissent mieux comprendre l'action de nos cours et tribunaux, en l'expliquant et en la contextualisant." À l'heure actuelle, de rares dérogations sont accordées : depuis 1985, une dizaine de procès ont été filmés afin de constituer des archives audiovisuelles et des autorisations peuvent être accordées dans le cadre de documentaires ou de reportages journalistiques.
Pour autant, pas question d'imaginer un parterre de spectateurs filmant les audiences avec leur smartphone. La possibilité de filmer et de diffuser sera strictement encadrée avec de nombreux garde-fous. La diffusion des images, elle ne sera possible qu'après le jugement définitif de l'affaire, ce qui peut prendre plusieurs années. Il s'agit notamment de respecter la présomption d'innocence des personnes concernées. Et dans le cas où l’audience n’aura pas été publique, les parties concernées devront donner leur accord préalable à l'enregistrement. En outre, aucun élément d'identification des personnes filmées ne pourra être diffusé plus de cinq ans à compter de la première diffusion, ni plus de dix ans à compter de l’autorisation d’enregistrement. Cette condition doit permettre de respecter le droit à l'oubli. Les modalités d'enregistrement des procès seront quant à elles précisées dans un décret qui sera pris en Conseil d'État.
Ce volet de la réforme a été accueilli avec méfiance, voire avec fraîcheur par les professionnels de la justice. Le Syndicat des avocats de France (SAF) a dénoncé un "écran de fumée". La principale organisation de la magistrature, l'Union syndicale des magistrats (USM), a plaidé pour le statu quo, jugeant les dispositions déjà existantes satisfaisantes. Selon elle, le projet de loi est "extrêmement large et est imprécis, laissant à l’autorité administrative une grande marge de manœuvre". L'USM s'oppose par ailleurs à ce que les enquêtes, procédures d’instruction et procédures à huis clos puissent être concernées par ce dispositif. Lors d'une interview accordée à LCP en avril 2021, la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM) avait exprimé un point de vue un peu plus enthousiaste. "C'est une bonne idée, [...] mais en revanche c'est un dispositif très lourd qui aurait peut-être mérité une expérimentation", avait estimé Sarah Massoud.
Le projet de loi vise aussi à renforcer le secret professionnel des avocats. Pour ce faire, l’article préliminaire du code de procédure pénale sera complété afin d’affirmer que "le respect du secret professionnel de la défense est garanti au cours de la procédure". La violation du secret de l’enquête et de l’instruction pourra être punie de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Aujourd'hui, en cas de violation du secret professionnel, les peines encourues sont d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
De plus, les perquisitions visant le cabinet ou le domicile d'un avocat, sa mise sur écoute ou encore l'accès à ses fadettes, ne seront désormais autorisées que s’il existe d’ores-et-déjà des "raisons plausibles" de soupçonner l’avocat d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction. Et ces mesures devront être motivées par le juge des libertés et de la détention avant d’être portées à la connaissance du bâtonnier.
L'un des autres axes de la réforme consiste à davantage encadrer les enquêtes préliminaires. Un engagement qu'Éric Dupond-Moretti avait pris dès sa prise de fonctions, lors de la passation de pouvoirs : "Je veillerai à ce que les enquêtes préliminaires restent préliminaires et ne soient pas éternelles". Il avait ensuite chargé une commission mixte, dirigée par l'avocat et ancien bâtonnier du barreau de Marseille, Dominique Mattei, de faire des propositions en ce sens.
Nourri de ces propositions, le gouvernement souhaite limiter à deux ans la durée d’une enquête préliminaire, à compter du premier acte de celle-ci. Sur décision du procureur de la République, l'enquête pourra toutefois être prolongée jusqu'à un an. En outre, ces délais sont portés à trois et deux ans pour les affaires liées à la criminalité organisée et au terrorisme.
Le projet de loi permet également d'améliorer l'accès à tout ou partie de la procédure par la personne mise en cause, à condition que cela ne gêne pas le déroulé de l'enquête. "Ce serait un comble de voir circuler [son dossier] dans les médias sans que le premier intéressé y ait accès", a témoigné le garde des Sceaux dans une interview au Monde.
Qui assumera, face à l’opinion publique, les conséquences de cette réforme si elle venait à profiter à des criminels récidivistes, des agresseurs sexuels ou des terroristes ? Union syndicale des magistrats
Ces dispositions divisent les avocats et les magistrats. Saluées par le SAF, bien qu'il trouve ces avancées "très limitées", elles sont épinglées par l'USM. Le syndicat de magistrats voit dans l'introduction de délais "un risque sérieux d’entrave à l’action judiciaire" qui pourrait conduire à de nombreux classements sans suite, notamment du fait du manque de moyens de l'institution. Par ailleurs, l'accès du dossier au contradictoire repose, selon l'USM, sur des modalités "insuffisamment précises".
Après l'entrée en vigueur de la loi, il reviendra au président de la cour d’assises de mener une audience préparatoire criminelle afin de permettre aux parties de s'entendre sur les modalités du procès, notamment sa durée ainsi que les témoins et experts qui y seront cités.
Le jury d'assises statuant en première instance sera par ailleurs élargi. Les jurés populaires seront au nombre de sept (contre six aujourd’hui) à siéger aux côtés de trois magistrats professionnels, l’objectif étant qu'une majorité de jurés soit nécessaire pour condamner l'accusé.
Les cours criminelles départementales, créées à titre expérimental en 2019 pour traiter les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion et composées exclusivement de cinq magistrats professionnels, seront généralisées au 1er janvier 2022. Il s'agit de pouvoir juger cette catégorie de crimes en premier ressort, plus rapidement que les cours d’assises, selon des modalités qui garantiraient de manière équivalente le respect des droits de la défense et des victimes.
La réforme contient par ailleurs plusieurs mesures relatives aux détenus. Parmi elles, la suppression des crédits de réductions de peine. Cette mesure a été instaurée en 2004 pour "faire de la régulation carcérale sans le dire", a estimé le ministre de la Justice. Selon lui, ces réductions de peine revêtent à l'heure actuelle un caractère automatique, "même si [une personne condamnée] ne fait aucun effort et reste couchée sur son lit".
À la place, le juge de l'application des peines pourra prononcer jusqu’à six mois de réduction de peine par an dont bénéficieront les condamnés qui se sont bien conduits et qui ont fait des efforts de réinsertion. Ce dispositif, qui entrera en vigueur en 2023, ne concernera pas les personnes condamnées pour terrorisme ou pour des infractions commises sur des mineurs. Une "réduction de peine exceptionnelle", pouvant aller jusqu’au tiers de la peine prononcée, pourra être accordée à certains condamnés. Par exemple, un prisonnier qui se sera porté au secours d'un surveillant pénitentiaire agressé.
Ce nouveau régime des réductions de peines est critiquée par le Syndicat des avocats de France. Selon l'organisation, ce dispositif "privera les détenus de la possibilité de préparer sereinement leur réinsertion" et "risque de provoquer une embolie du fonctionnement des juridictions chargées de l’application des peines". Une vision partagée par l'Union syndicale des magistrats. "La nouvelle procédure sera nettement plus complexe, sans aucun avantage pour quiconque, si ce n’est l’affichage politique d’une plus grande sévérité, dans un contexte de surpopulation carcérale dont la méconnaissance est flagrante", avertit l'USM.
En parallèle, afin de favoriser la réinsertion des prisonniers, le texte prévoit l'instauration d'un "contrat d'emploi pénitentiaire" pour le travail en prison. Jusqu'à maintenant, seul un "acte unilatéral d'engagement" est prévu. Ce contrat doit permettre de renforcer les garanties des personnes condamnées, en respectant les dispositions du code du travail. L'objectif d'Éric Dupond-Moretti est de voir 50 % des détenus avec un travail d’ici deux ans. Enfin, les droits sociaux des travailleurs détenus à leur sortie de prison feront l'objet d'ordonnances.
Plusieurs députés ont regretté que leurs amendements en rapport avec l'affaire Sarah Halimi n'aient pas été retenus, au titre de l'article 45 de la constitution, qui stipule que "tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis". La présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, a évoqué "des amendements franchements irrecevables", alors qu'un projet de loi distinct devrait être présenté fin mai en Conseil des ministres, afin de "combler le vide juridique apparu dans l’affaire Sarah Halimi”, selon l'annonce que le Garde des sceaux avait formulée le 25 avril dernier sur Twitter.
Le texte discuté en commission prévoit par ailleurs le renforcement de la déontologie et des procédures disciplinaires appliquées aux professionnels du droit, comprenant avocats, notaires, ou encore huissiers de justice, afin de répondre à l'objectif de "confiance". Plus globalement, l'un des enjeux affichés de la réforme est précisément de faire en sorte que les Français retrouvent confiance en la justice alors que, selon une récente enquête du Cevipof-Sciences Po, près de la moitié d'entre eux déclarent aujourd'hui ne pas être dans cet état d'esprit vis-à-vis de l’institution judiciaire.