Principes de la République : le texte définitivement adopté

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L'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale (Riccardo Milani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)
par Maxence KagniRaphaël Marchal, le Vendredi 23 juillet 2021 à 09:38, mis à jour le Vendredi 23 juillet 2021 à 18:32

Les députés ont adopté ce vendredi le projet de loi confortant le respect des principes de la République en lecture définitive, par 49 voix contre 19. Les députés ont écarté une ultime motion de rejet déposée par La France insoumise. Lutte contre la haine en ligne, nouveaux délits, encadrement de l'instruction en famille... LCP revient sur les principales mesures du texte.

L'Assemblée nationale a définitivement adopté ce vendredi le projet de loi "confortant le respect des principes de la République", par 49 voix contre 19, concluant ainsi sept mois de travaux. Adopté une première fois en février 2021, puis une deuxième fois en juillet, le texte achève son parcours législatif, après son rejet par le Sénat en début de semaine. Les parlementaires n'avaient en effet pas réussi à s'entendre, marquant un compromis irréalisable.

Avant le scrutin, Nathalie Elimas a défendu un texte "équilibré, profondément républicain, nécessaire et d'une grande ambition". S'inscrivant dans la lignée du discours d'Emmanuel Macron des Mureaux, la secrétaire d'État chargée de l'Éducation prioritaire a justifié le projet de loi par l'existence de groupes minoritaires qui "fragilisent notre pacte républicain et menacent l'ordre public". L'un des rapporteurs, Florent Boudié (LaREM), s'est pour sa part félicité que le texte ne contienne aucune disposition visant spécifiquement le port du voile, qui a agité le débat aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. "Cela aurait risqué de tordre la conception française de la laïcité", a-t-il fait valoir.

Pour autant, le projet de loi va devoir franchir un dernier obstacle : celui du Conseil constitutionnel. Plusieurs groupes politiques ont déjà fait part de leur volonté de saisir les Sages de la rue de Montpensier : les députés de la France insoumise, farouchement opposés au texte, mais également Les Républicains, le groupe UDI et indépendants ainsi que Libertés et territoires. Anne-Laure Blin (Les Républicains) a justifié cette saisine principalement par l'encadrement de l'instruction en famille.

Une dernière motion de rejet écartée

Lors de la séance, les députés ont écarté une ultime motion de rejet préalable déposée par La France insoumise, par 55 voix contre 12. Il s'agissait de marquer leur "opposition absolue" à un texte "anti-républicain" et à "vocation anti-musulmane", a lancé Jean-Luc Mélenchon a la tribune. Il a vitupéré contre le "séparatisme", un concept "creux et fumeux sans aucune signification".

 


Voici les principales mesures du projet de loi :

 

École à domicile

C'est une des mesures phares du texte, et l'une des plus contestées : le projet de loi encadre plus fortement l'école à domicile. L'instruction en famille (IEF) passe ainsi d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation. Le texte fixe ainsi la règle selon laquelle "l’instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles, publics ou privés". 

Le recours à l'IEF sera accordé "par dérogation", en fonction d'un de ces quatre critères : 

  • l'état de santé de l'enfant ou son handicap,
  • la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives,
  • l'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique,
  • l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif.

L'autorisation sera donnée pour une durée d'un an, sauf pour les enfants malades ou en situation de handicap.

Cet encadrement était, dans l'esprit du ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, une manière de lutter contre le séparatisme : "Le sujet, c'est les petites filles qu'on envoie dans les hangars pour être endoctrinées dès l'âge de 3 ans !", avait-il martelé dans l'hémicycle en février dernier. Mais ces dispositions ont provoqué l'émoi de nombreux députés, de droite comme de gauche, qui ont tenté d'obtenir leur suppression. "Alors que les motifs religieux dans le cadre de l'instruction à domicile restent exceptionnels, vous utilisez un marteau pour écraser une mouche", a par exemple déploré en février l'élu socialiste Jean-Louis Bricout

Le dispositif doit entrer vigueur à la rentrée 2022. Les familles pratiquant l'école à domicile de façon régulière durant l'année scolaire 2021-2022 se verront accorder, après contrôle, une autorisation de plein droit jusqu'en 2023-2024.

De nouveaux délits

L’article 18 crée un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion malveillante d’informations personnelles. Cette infraction a été décidée à la suite de l’assassinat terroriste de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine, en octobre dernier. Des images et des informations sur le professeur d’histoire-géographie avaient tourné sur les réseaux sociaux, permettant à l’assaillant de l’identifier. "Quand nous avons regardé le déroulé de l'affaire Samuel Paty, on s'est demandé [...] quand on aurait pu judiciariser plus tôt. [Or], nous n'avions pas les outils", avait expliqué en janvier le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, devant la commission spéciale.

Ce délit sera puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Les peines seront alourdies lorsque la victime est un policier ou un gendarme, un élu, un fonctionnaire ou un journaliste. Dans ce cas, elles seront portées à cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende. En parallèle, les élus ont introduit dans le projet de loi un délit "délit d'entrave à l'exercice de la fonction d'enseignant", puni d'un an de prison et de 15 000 euros d'amende.

Par ailleurs, le texte prévoit la création d'un autre délit, destiné cette fois à lutter contre le "séparatisme". Il prévoit de sanctionner toute personne menaçante ou violente à l'égard d'un élu ou d'un agent du service public dans le but de répondre à des exigences communautaristes et de se soustraire aux règles en vigueur. Porté par l'article 4, ce délit est passible d'une peine de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende.

Droits des femmes

Le projet de loi lutte également contre les "pratiques néfastes" visant les femmes, comme a pu l'expliquer la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté Marlène Schiappa lors de la première lecture du texte à l'Assemblée nationale. Ainsi, le texte interdit aux professionnels de santé d'établir un certificat de virginité. La méconnaissance de cette interdiction pourra être sanctionnée d'un an de prison et de 15.000 euros d'amende.

La République ne tolère aucune atteinte à la dignité humaine. Marlène Schiappa

Toute forme de "pressions ou de contraintes" visant à forcer une personne à se soumettre à un tel test est sanctionnée de la même peine. L'amende sera portée à 30.000 euros quand la personne est mineure. Lors des débats dans l'hémicycle, Sonia Krimi (La République en marche) avait marqué les esprits en évoquant ses souvenirs de jeunesse et en enjoignant les "petites filles" à "dire non" à leur famille.

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Les députés ont également renforcé les règles sanctionnant la polygamie : "Aucun document de séjour ne peut être délivré à un étranger qui vit en France en état de polygamie", prévoit ainsi l'article 14 du projet de loi. Les documents de séjour d'un étranger polygame devront lui être retirés.

Le texte permet aussi de lutter contre les mariages forcés en donnant la possibilité à l'officier d'état civil de s'entretenir individuellement avec la future épouse s'il a des raisons sérieuses et circonstanciées de croire que le consentement de celle-ci n'est pas libre.

Neutralité du service public

Évoquant la "tradition républicaine de la laïcité" française, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait défendu en février la "pluralité religieuse", la "liberté de culte" mais aussi la "neutralité de l'Etat et de ses agents".

Le texte confirme dans la loi que le principe de neutralité religieuse s'applique non seulement aux agents travaillant pour un organisme de droit public exerçant une mission de service public, mais aussi aux personnes qui travaillent pour une entreprise privée exerçant une telle mission. En clair, cela concerne les agents de la SNCF, de la RATP ou encore d'Aéroports de Paris : ceux-ci doivent "s’abstenir de manifester leurs opinions politiques ou religieuses", "traiter de façon égale toutes les personnes" et "respecter leur liberté de conscience et leur dignité".

Par ailleurs, les policiers et gendarmes devront, avant leur entrée en fonction, "déclarer solennellement servir avec dignité et loyauté la République, ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité et sa Constitution par une prestation de serment".

Mieux encadrer les associations

"Pas un euro d'argent public aux ennemis de la République." Cette phrase, Marlène Schiappa l'a répétée comme une antienne tout au long de l'examen du projet de loi. Pour la concrétiser, le projet de loi prévoit la mise en place d'un "contrat d'engagement républicain". Afin d'obtenir une subvention, une association devra ainsi s'engager à respecter les principes et valeurs de la République. Cette mesure phare du texte est vilipendée par le monde associatif, qui craint notamment un alourdissement des procédures administratives.

Pas un euro d'argent public aux ennemis de la République. Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté

Le texte élargit également les motifs de dissolution administrative d'une association afin de faciliter les procédures. L'exécutif pourra désormais démanteler les structures appelant à la provocation d'actions violentes contre des personnes ou des biens, ou qui discriminent des personnes en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle.

Plus de transparence pour les cultes 

De nombreuses dispositions s'attachent à faire évoluer également les relations avec les cultes. Le texte les incite à s'inscrire sous le régime de 1905, propre aux associations cultuelles, et plus transparent. Plusieurs lieux de culte, et notamment les musulmans, sont en effet constitués sous le régime des associations loi 1901. En échange, les associations pourront bénéficier de réductions fiscales et gérer des "immeubles de rapport" – à condition que les revenus qu'elles en tirent ne représentent pas plus de 50 % de leurs ressources annuelles.

Afin de renforcer la transparence financière, les dons étrangers de plus de 10 000 euros devront être déclarés, et la certification des comptes des associations deviendra obligatoire dès lors qu'elles auront bénéficié d'un avantage financier provenant de l'étranger.

Le texte introduit également un dispositif "anti-putsch", censé éviter la prise de contrôle d'un lieu de culte par des individus malveillants ou radicaux. Enfin, dans le cadre d'une condamnation pour provocation à des actes de terrorisme ou de provocation à la haine, une peine complémentaire d'interdiction de paraître dans un lieu de culte pourra être prononcée par le juge.