Principes de la République : ce que les députés ont voté

Actualité
Image
Vote sur le projet de loi confortant les principes de la République, le 16 février 2021 (LCP)
par Jason Wiels, le Lundi 15 février 2021 à 14:02, mis à jour le Mardi 16 février 2021 à 18:41

Protection des agents du service public, lutte contre la haine en ligne, meilleure transparence des cultes et de leur financement, contrôle renforcé des associations, instruction en famille, lutte contre les certificats de virginité... LCP récapitule les dispositions de la future loi visant à conforter "le respect des principes de la République", votée en première lecture mardi.

Après vingt-trois séances et deux semaines consacrées quasi exclusivement au projet de loi "confortant le respect des principes de la République" dans l'hémicycle, le texte censé lutter "contre les séparatismes" et "lutter contre le terreau du terrorisme" a été votée en première lecture mardi, par 347 voix contre 151.

Les groupes de la majorité ont fait bloc en faveur du texte (La République en marche, le MoDem et Agir ensemble). À noter, dix marcheurs se sont abstenus et un a voté contre, selon l'analyse du scrutin

Parmi les formations d'opposition, seule l'UDI a majoritairement voté en faveur du texte. Les Républicains, La France insoumise et Libertés et Territoires ont voté contre. Enfin, le Parti socialiste et le Parti communiste se sont abstenus à ce stade de la navette parlementaire.

Un "contrat" pour les associations subventionnées

  • Le "contrat d'engagement républicain"

Disposition phare du projet de loi, l'article 6 conditionne le versement des subventions publiques à des associations à la signature d'un contrat d'engagement républicain.

Pour prétendre aux deniers de l'État ou des collectivités, le monde associatif devra donc s'engager à "respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine ainsi qu’à respecter l’ordre public, les exigences minimales de la vie en société et les symboles fondamentaux de la République".

"Notre objectif c'est de faire en sorte que pas un euro d'argent public n'aille financer des ennemis de la République", a justifié la ministre déléguée à la Citoyenneté Marlène Schiappa. En cas de manquement, les élus pourront réclamer le remboursement des sommes versées.

Lire notre article : Les associations devront respecter les "principes républicains" pour être subventionnés

  • Des dissolutions administratives facilitées

Le Conseil des ministres peut déjà procéder à la dissolution des associations ou groupements pour divers motifs d'ordre public. Avec l'article 8, l'exécutif pourra désormais démanteler les structures appelant à la provocation d'actions violentes contre des personnes ou des biens, ou qui discriminent des personnes en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle.

La disposition prévoit également d'imputer plus facilement les agissements de certains de ses membres à l'association, afin d'éviter les "stratégies de contournement" mis en place par des "groupuscules extrêmes".

Lire notre article : Les députés étendent les modalités de dissolution administrative des associations.

  • Le sport sous surveillance

Soupçonnées d'être des lieux de radicalisation, les associations sportives ont fait l'objet d'un sort particulier dans le projet de loi. Ces dernières, comme leurs fédérations, pourront se voir retirer leur agrément en cas de non respect du nouveau contrat d'engagement républicain.

Contre l'avis du gouvernement et du rapporteur, deux députés (LR et LaREM) ont redonné par amendement au préfet le pouvoir de donner l'agrément aux acteurs du monde sportif. Coauteurs d'un rapport sur la radicalisation, ils jugent que les fédérations ont renoncé à jouer à leur rôle de contrôle, en plus d'être dépendantes financièrement de leurs membres :

Le maintien de cette mesure dans la navette parlementaire est sujet à caution, Jean-Michel Blanquer ayant davantage plaidé pour donner ce pouvoir aux inspections académiques lors de la lecture du texte au Sénat.

Des nouveaux délits créés

Laisser une trace législative après l'assassinat terroriste de l'enseignant Samuel Paty : c'est le sens de la double réforme du code pénal opérée par le texte aux articles 4 et 18.

  • Un délit contre le séparatisme

Voté à l'unanimité, l'article 4 crée un délit de "séparatisme". Il punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende "toute personne qui menace, violente ou intimide un agent dans le but de se soustraire aux règles des services publics". Il peut s'agir d'un homme qui refuserait de se faire ausculter par une médecin en raison de son sexe, par exemple.

Plus spécifique à la question de l'enseignement, les députés ont aussi créé un délit d'entrave à la fonction d'enseignant. Son auteure, Annie Genevard (LR), entend ainsi s'attaquer à la "zone grise de la pression" et espère aider les enseignants qui parfois "renoncent à certains enseignements".

Lire notre article : La création d'un délit de séparatisme validée

  • Un délit contre la mise en danger d'autrui

Jeter en pâture une personne sur les réseaux sociaux, en dévoilant des informations personnelles la concernant, sera désormais réprimé. L'article 18 va en effet punir "le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer".

La peine, fixée à trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende, est aggravée à cinq ans de prison si la personne ciblée est fonctionnaire ou assimilée, mineure ou élue. "L'article 18 est né avec l'affaire Samuel Paty mais il règle tellement d'autres situations, pensez à l'affaire Mila", a expliqué la rapporteure Laetitia Avia (LaREM).

Lire notre article : Un nouveau délit pour tirer les leçons du meurtre de Samuel Paty

Les cultes devront rendre des comptes

La future loi impose aux associations cultuelles de nouvelles contraintes financières, comptables et administratives. Pour les pouvoirs publics, l'objectif est de mieux contrôler les financements étrangers de la sphère religieuse, mais aussi de mieux démêler les activités cultuelles au sein des associations à "activité mixte", où l'objet religieux est parfois masqué par d'autres activités.

  • Le gouvernement veut faire migrer le culte musulman de 1901 à 1905

Le principal objectif poursuivi par l'exécutif est de ramener le culte musulman dans le giron de 1905. À l'origine, le pouvoir voulait interdire à tous les cultes d'être gérés comme une association loi 1901. Face aux réserves du conseil d'État, il a finalement décidé de renforcer les contraintes pesant sur ce régime et d'ajouter des avantages au régime de 1905, issu de la loi sur la séparation des églises et de l'État.

  • Des financements scrutés

L'article 35 donne à l'administration un droit de regard sur les financements étrangers des cultes. Tout don supérieur à 10.000 euros devra désormais être signalé, et les pouvoirs publics pourront s'y opposer.

En contrepartie et afin de faciliter l'autofinancement des religions, le texte leur donne la possibilité de tirer des revenus des immeubles qu'elles reçoivent en legs. Cette gestion d'immeuble de rapport, qui ouvre la voie à une activité commerciale pour les associations cultuelles, a toutefois été encadrée au cours des débats : les revenus tirés de l'immobilier ne pourront dépasser 33% de leurs ressources annuelles.

  • Deux mois de fermeture contre les "prêcheurs de haine"

À l'heure actuelle, l'exécutif peut fermer des lieux de culte en cas de risque terroriste ou en s'appuyant sur les normes de sécurité qui régissent l'accueil du public. Afin d'élargir la palette des motifs de fermeture administrative, l'article 44 permet la fermeture pour deux mois en cas d'incitation à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes.

Dans le viseur : la présence de "prêcheurs de haine". "S'il n'y a plus de lieux pour leur ouvrir les bras, peu à peu ils cesseront de prêcher la haine", a indiqué Marlène Schiappa, qui a rappelé que des recours en justice resteront possible pour les mosquées concernées.

École à la maison : des restrictions, pas d'interdiction

L'article 21 a fait l'objet des débats les plus vifs et les plus longs. Il instaure un régime d'autorisation préalable à l'instruction en famille, alors qu'une simple déclaration suffisait jusqu'à présent. 

Les familles pourront seulement y recourir dans "l'intérêt supérieur de l'enfant" et pour des motifs strictement définis. Lors de son discours des Mureaux, qui a inspiré la rédaction de l'article 21, Emmanuel Macron avait déclaré vouloir "strictement limiter" l'instruction à domicile aux "impératifs de santé". Finalement, quatre motifs seront admis :

  • l'état de santé de l'enfant ou son handicap,
  • la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives,
  • l’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public,
  • l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif.

Une cinquième possibilité a été ajoutée par les députés. Un enfant faisant l'objet d'un "retrait soudain et nécessaire" de son école, pour cause de harcèlement ou de phobie scolaire par exemple, pourra être temporairement instruit en famille, sans attendre la réponse à sa demande d'autorisation.

La réforme entrera en vigueur en septembre 2022. Les députés ont cependant adopté un amendement du gouvernement qui donne aux familles pratiquant déjà l'instruction en famille une autorisation de "plein droit" jusqu'en 2024. Ces dernières n'auront donc pas à renouveler chaque année leur demande d'autorisation, à condition de satisfaire à un contrôle sur l'année scolaire 2021-2022 qui démontre la validité de leur projet. Ce régime dérogatoire prendra fin lors de la rentrée de l'année scolaire 2024-2025.

Lire notre article : Les députés encadrent l'instruction en famille

Les "droits humains" renforcés

Une série de mesures contenues dans les articles 14 à 17 est censée renforcer la lutte contre les mariages forcés, la polygamie et les certificats de virginité. Concrètement, le maire ou ses adjoints pourront s'entretenir séparément avec les futurs époux en cas de doute sur la sincérité du consentement de l'un d'eux. Les étrangers "en situation de polygamie" ne pourront pas se voir renouveler leur titre de séjour, voire se le feront retirer. Enfin, les professionnels de santé auront interdiction de délivrer des certificats de virginité sous peine de sanction (un an de prison, 15.000 euros d'amende).

Vers une modération des contenus plus stricte

Lors des débats en commission, le gouvernement a fait adopter un très long amendement pour anticiper l'application d'un règlement européen, dénommé "Digital Services Act". Le projet de loi renforce ainsi la responsabilité des plates-formes quant aux contenus qui y sont propagés, et sur la modération des contenus illicites. La transparence des processus de modération devra être améliorée.

La mixité sociale réduite à un rapport

L'absence de mesure concernant l'égalité des chances et la mixité sociale, très critiquée par la gauche, a été timidement réintroduite par un amendement de la majorité en fin de texte. Proposé par Anne Brugnera (LaREM), il demande au gouvernement "un rapport sur la mixité sociale dans les établissements d'enseignement privé" sous contrat avec l'État un an après la promulgation de la loi.