Faut-il réformer la Ve République de fond en combles ou simplement procéder à quelques retouches ? Sur la question des institutions, les douze candidats à l'élection présidentielle restent majoritairement attachés au système politique actuel. La campagne électorale est cependant l'occasion de voir apparaître des idées neuves ou resurgir quelques serpents de mer.
On ne compte plus les propositions de loi et les amendements débattus au Parlement pour que soit reconnu le vote blanc lors des élections, sans jamais être adoptés. Les majorités successives ayant toujours considéré que voter, c'est choisir. De fait, les bulletins blancs (soit une enveloppe vide) n'ont, au même titre que les bulletins nuls, aucun impact sur les scrutins, car ils sont exclus des suffrages exprimés.
Quatre candidats veulent aller vers une reconnaissance du vote blanc, avec certaines nuances. Pour Nicolas Dupont-Aignan, ce vote serait pris en compte pour "respecter le sentiment populaire". Si les bulletins blancs sont "majoritaires", le scrutin est reporté et les candidats battus "ne pourront pas se représenter". Auteur d'une proposition sur le sujet, Jean Lassalle souhaite cette reconnaissance : "Si Monsieur Blanc arrivait en tête d’une élection. Les candidats désavoués seraient amenés à en tirer les conséquences."
"Je souhaite le reconnaître et le prendre en compte", a aussi déclaré Anne Hidalgo, sans toutefois préciser les conséquences concrètes d'un tel changement. Enfin, Jean-Luc Mélenchon veut que soient pleinement comptabilisés les votes blancs et nuls, avec "la possibilité qu’une élection soit invalidée faute de suffrages exprimés suffisants", selon "un seuil de représentativité". En contrepartie, le candidat de La France insoumise rendrait le vote obligatoire.
Consulter les Français, c'est le sujet sur lequel la créativité des candidats est la plus grande. Avec deux manières d'aborder la question : par le haut ou par le bas. Ainsi la pratique du référendum à l'initiative du président de la République reviendrait en force dans les programmes d'Éric Zemmour, Valérie Pécresse, Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan et Jean Lassalle. Le candidat Reconquête ! veut organiser "un grand référendum sur l'immigration, la sécurité et la justice" en même temps que les législatives, et rendre le référendum obligatoire pour l'élargissement de l'Union européenne ou la révision de la Constitution. À travers un référendum constitutionnel, la représentante du Rassemblement national veut, elle, faire du regroupement familial une "rare exception", élargir les possibilités de déchéance de la nationalité et réserver aux Français "certaines prestations sociales" ou l'attribution d'un logement social.
A contrario, Fabien Roussel veut interdire le déclenchement d'un référendum par le président de la République. Pour le candidat communiste, un million de citoyens aurait, à la place, le pouvoir d'obtenir la consultation du peuple, et 500 000 signatures suffiraient à faire inscrire une proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette dernière mesure, qui fait écho au référendum d'initiative citoyenne (RIC), un temps réclamé par les Gilets jaunes, figure aussi au programme de Philippe Poutou, Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Nicolas Dupont-Aignan, Valérie Pécresse et Marine Le Pen.
Enfin, l'idée d'un référendum révocatoire, qui permettrait de consulter les électeurs sur le maintien ou le renvoi de leurs élus à mi-mandat, est évoquée par Nicolas Dupont-Aignan pour le président de la République et par Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou, quelle que soit l'élection.
Bien que l'initiative de la loi soit partagée entre les pouvoirs exécutif et législatif, le gouvernement tient dans les faits davantage la plume que les parlementaires pour écrire la loi. Ce constat est invoqué pour encadrer plus étroitement l'action des ministres : Yannick Jadot propose, par exemple, que les études d'impact, qui accompagnent chaque projet de loi, soient dorénavant conduites par "un organisme indépendant", en lieu et place des ministères ou des cabinets de conseil. Anne Hidalgo veut agir sur la procédure parlementaire, en empêchant l'exécutif d'avoir recours à l'article 49.3 de la Constitution pour "forcer l'adoption d'un texte" (hors textes budgétaires) et limiter le recours aux ordonnances.
De manière plus systémique, le candidat écologiste veut lutter contre l'influence des intérêts privés en interdisant le pantouflage et le rétropantouflage, rendant "définitif" tout départ d'un haut fonctionnaire vers le secteur privé. Une mesure partagée par Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier veut de plus interdire l’entrée du Parlement aux lobbyistes, tout comme les cadeaux aux parlementaires, aux membres du gouvernement et à leurs cabinets.
En regard, les députés pourraient gagner certaines prérogatives au détriment du pouvoir exécutif. Fabien Roussel compte redonner "la primauté au Parlement, qui sera maître de son ordre du jour". L'Assemblée nationale pourra ainsi "investir le Premier ministre et le gouvernement". Et l'article 40 de la Constitution, qui interdit aux parlementaires de diminuer les impôts ou d'augmenter les dépenses, serait abrogé.
Éric Zemmour propose de renforcer le temps parlementaire consacré à l’évaluation des politiques publiques, "avec l'appui de la Cour des comptes". Yannick Jadot créerait "un véritable droit d’initiative législative" pour le Parlement, ainsi qu'"un véritable contrôle parlementaire sur la politique extérieure et les ventes d’armes". Anne Hidalgo veut également que le Parlement "maîtrise son ordre du jour" et supprimerait "les limites à son pouvoir d’amendement".
Même sous la Ve République, la place du Parlement reste prépondérante pour voter les lois ou adopter le budget de l'État chaque année. La question du mode de scrutin pour élire les députés à l'Assemblée nationale est donc cruciale. Depuis 1958, ces derniers sont désignés lors d'un scrutin uninominal majoritaire à deux tours dans 577 circonscriptions. À part en 1986, quand les législatives se sont tenus à la proportionnelle intégrale, ce mode de scrutin semble donc aller de soi.
Pourtant, seuls Valérie Pécresse, Jean Lassalle et Éric Zemmour veulent clairement le conserver. Les autres candidats proposent, au contraire, de le remettre en cause, en tout ou partie. Anne Hidalgo et Nicolas-Dupont-Aignan veulent instaurer chacun une dose de proportionnelle, en créant de fait un régime mixte, avec le choix d'un nom et d'une liste. Après l'avoir déjà proposée en 2017, Emmanuel Macron dit rester favorable à la proportionnelle. "A titre personnel, je ne suis pas pour la doser, mais pour la vraie proportionnelle", a-t-il récemment indiqué sans pour autant inscrire la mesure dans son programme.
Tous les autres veulent instaurer la proportionnelle intégrale pour l'élection des députés : Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou, Yannick Jadot, Fabien Roussel, Nathalie Artaud tout comme Marine Le Pen. Un tel mode de scrutin conduirait par définition à une Assemblée plus représentative de toutes les familles politiques. Il pourrait aussi mener à une nouvelle façon de légiférer via, par exemple, des alliances ou des majorités de projets, si aucune formation ne détenait la majorité absolue... voire causer des blocages, ou même une instabilité institutionnelle, selon les détracteurs de cette idée.
Pratiquée en Allemagne, l'imposition d'une règle d'or pour assainir les comptes publics de l'État français – en déficit chronique depuis 1973 – est parfois avancée dans le débat public. Pour la présidentielle, seule Valérie Pécresse s'en fait l'ardente défenseure : "J'imposerai une trajectoire vertueuse de nos finances publiques sur 5 ans (...). Chaque année, les budgets votés au Parlement devront impérativement la respecter. Cette règle d’or sera inscrite dans la Constitution." Cette règle impérative pourrait-elle souffrir d'exception, comme lors d'une nouvelle crise sanitaire ? La prétendante à l'Élysée n'y répond pour l'instant pas dans son programme. Si Emmanuel Macron ne défend pas cette idée, son ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, l'a remise sur la table lors du débat sur la loi de finances 2022.
Faut-il aller plus loin dans la décentralisation de l'État ? C'est en tout cas la piste retenue par certains prétendants à l'Élysée. Une "grande loi de décentralisation" est au programme de Valérie Pécresse. L'actuelle présidente de la région Île-de-France espère "donner davantage de compétences à nos régions, nos départements et nos communes". Éric Zemmour comme Jean Lassalle veulent restaurer les compétences au niveau des communes, "en stoppant [leur] transfert obligatoire vers les divers groupes intercomunaux", précise notamment l'ancien journaliste du Figaro.
Supprimée par la loi NOTRe en 2015, la clause de compétence générale serait rétablie pour les régions et les départements par Fabien Roussel, pour les laisser s'emparer de tous les sujets d'intérêt local. Jean-Luc Mélenchon aimerait lui tailler dans le mille-feuilles territorial en affirmant trois échelons (commune, département, région) et en finir avec la "superposition d'échelons technocratiques (métropoles, intercommunalités géantes...) qui éloigne les citoyens de la prise de décision technocratique". Bousculées par la fin de la taxe d'habitation, les collectivités locales verraient leur autonomie financière "restaurée avec des ressources renforcées et stables", promet Anne Hidalgo, tandis qu'un "permis de faire" serait instauré pour les laisser "expérimenter des dérogations aux règles nationales".
Votée sous Nicolas Sarkozy, remisée au placard par François Hollande et bientôt appliquée par Emmanuel Macron ? La réforme du conseiller territorial pourrait revoir le jour, comme l'a annoncé le président de la République sortant lors de la présentation de son programme. La loi de 2010 sur les conseillers territoriaux prévoyait de fusionner les élus des départements et des régions. La création de ce conseiller visait à assurer une meilleure coordination des politiques locales, voire à réaliser quelques économies en réduisant le nombre d'élus.
Outre le chef de l'État, Éric Zemmour a aussi repris cette idée dans son programme. En revanche, Valérie Pécresse ne l'a pas retenue. Selon le journal L'Opinion, la candidate LR estime que depuis le redécoupage des grandes régions, la réforme votée à l'époque serait inopérante car certaines régions disposent désormais d'un trop grand nombre de conseillers départementaux pour qu'ils puissent siéger ensemble dans leur siège régional.
"Nos compatriotes d’Outre-mer sont délaissés hors des périodes électorales où les candidats leur promettent monts et merveilles et les oublient aussitôt après", constate Nicolas Dupont-Aignan, qui propose pas moins de 23 mesures sur ce dossier. Force est de constater que les promesses concernant l'avenir des territoires ultramarins sont légion dans les programmes, seuls Philippe Poutou et Nathalie Artaud laissant le sujet de côté.
Éric Zemmour imagine un plan santé pour moderniser "les hôpitaux les plus vétustes" et "mettre définitivement fin aux référendums d'indépendance". Marine Le Pen ferait voter une loi de programmation sur 15 ans pour mieux exploiter le potentiel économiques de ces îles et des territoires éloignés de la métropole, où le chômage est souvent endémique. Valérie Pécresse créerait une banque des Outre-mer pour "financer des investissements dans les secteurs porteurs", comme les énergies renouvelables.
Emmanuel Macron comme Anne Hidalgo et Yannick Jadot mettraient tous les deux en place un plan pour assurer l'autonomie alimentaire de chaque collectivité ultramarine. Le candidat écologiste, avec Jean-Luc Mélenchon, souhaite aussi reconnaître et soutenir les langues régionales en Outre-mer. La maire de Paris veut elle recréer une chaîne dédiée aux Outre-mers, alors que France Ô a disparu des ondes en 2020. Fabien Roussel s'attaquerait à la fiscalité locale, jugée injuste, afin d'en abaisser le niveau global.
Et pourquoi pas un Big Bang institutionnel ? Deux candidats proposent, avec chacun une méthode bien distincte, une refonte potentiellement majeure de notre régime politique, tout en voulant se donner du temps pour y arriver. La plus profonde est sans doute à chercher du côté de Jean-Luc Mélenchon, qui reprend sa formule déjà mise sur la table en 2017. Jugeant la Ve république "dépassée" et "dangereuse", il veut mettre en place une Assemblée constituante, tirée au sort et chargée de proposer un nouveau texte fondateur. Celui-ci serait soumis au référendum et pourrait conduire à la VIe République.
Faute d'avoir pu mettre en œuvre sa réforme institutionnelle lors du quinquennat qui s'achève, Emmanuel Macron veut, lui aussi, déléguer "le chantier de la démocratie". Il ne s'agit cette fois pas de tirer au sort des citoyens mais de confier l'ouvrage à une "convention transpartisane afin de moderniser nos institutions, pour plus d’efficacité et de vitalité démocratique". S'il est difficile de préjuger des futures conclusions, ce genre de structure ad hoc a déjà existé par le passé (commission Vedel en 1992, comité Balladur en 2007, groupe de travail Bartolone-Winock en 2015) et, in fine, ne changera que ce que le président de la République, par référendum, ou le Parlement, à travers les trois cinquièmes de ses représentants, auront bien voulu en garder.