Le Rassemblement national et la Nouvelle union populaire et écologique et sociale se disputeront, jeudi 30 juin, la présidence de la commission des finances, une fonction stratégique à l'Assemblée nationale. La coalition de gauche ne s'est pas encore accordée sur le nom de son candidat commun, tandis qu'Elisabeth Borne a indiqué que la majorité ne prendrait pas part au vote.
Qui remportera la bataille de la commission des finances ? Jeudi, les députés de cette prestigieuse commission permanente de l'Assemblée nationale, qui regroupe les spécialistes du Budget, doivent élire leur bureau : celui-ci est composé d'un rapporteur général, de vice-présidents, de secrétaires et d'un président. C'est sur ce dernier poste que se portent tous les regards : depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, la présidence cette commission stratégique revient à un député membre d'un groupe d'opposition.
Cette règle s'appliquait sans trop de difficultés lors des précédentes législatures : quand la droite était au pouvoir, le poste revenait à un député de gauche (Didier Migaud et Jérôme Cahuzac entre 2007 et 2012), et inversement (Gilles Carrez entre 2012 et 2017). Après l'élection d'Emmanuel Macron en 2017, le poste est revenu à Eric Woerth, qui siégeait alors sur les bancs des Républicains.
En 2022, la donne a changé : deux formations politiques revendiquent le statut de première force d'opposition. Il y a tout d'abord le Rassemblement national, fort de ses 90 députés : "On est en droit de revendiquer cette présidence", déclare à LCP le nouveau député RN Julien Odoul. Son groupe présentera la candidature du député de la Somme Jean-Philippe Tanguy.
La gauche estime elle aussi que le poste lui revient. Individuellement, La France insoumise (76 membres), les Socialistes (26 membres), la Gauche démocrate et républicaine (18 membres) et les Ecologistes (23 membres) disposent de moins d'élus que le Rassemblement national. Mais réunis au sein de l'intergroupe de la Nupes, ils peuvent revendiquer plus de 140 députés, ce qui ferait d'eux la première force d'opposition.
"La Nupes n'est pas un groupe politique [unique], elle est composée de quatre groupes qui ont des divergences profondes", balaie Julien Odoul, qui dénonce une "combine" de groupes "minoritaires" pour ravir le poste au RN. "On va faire valoir nos droits", continue le député Rassemblement national de l'Yonne, qui en appelle à la "tradition républicaine" et salue la position de "grandes voix comme [celle du] président du Sénat". Mardi 21 juin, dans une interview au Parisien, le président Les Républicains du Sénat, Gérard Larcher, a en effet estimé que le Rassemblement national était "le premier groupe d'opposition" et que par conséquent la présidence de la commission des finances "devrait lui revenir".
"Il est hors de question que ce soit au Rassemblement national" que revienne ce poste, a au contraire affirmé, jeudi 23 juin, le nouveau président du groupe "Socialistes" Boris Vallaud.
La Nupes a annoncé, par l'intermédiaire de la cheffe de file des députés Insoumis Mathilde Panot, qu'elle présenterait une candidature commune. Mais la coalition de gauche ne s'est pas encore accordée sur le nom de ce candidat. L'ancienne présidente des députés PS, Valérie Rabault, qui a aussi été rapporteure générale du Budget, s'est dite vendredi matin sur France 2 "toujours intéressée et candidate à cette fonction". La France insoumise, elle, propose le nom d'Eric Coquerel.
Pour éviter de trancher entre les deux candidatures, les socialistes ont proposé à leurs alliés le principe d'une présidence tournante au sein de la Nupes. Une hypothèse écartée par Eric Coquerel. Contacté par LCP, le député Insoumis explique que ce principe aurait pu être étudié si les députés de gauche avaient formé "un seul groupe" à l'Assemblée, ce que les socialistes, les communistes et les écologistes ont refusé de faire. Selon l'élu, la présidence de la commission des finances revient à La France insoumise puisqu'elle constitue "le centre de gravité politique" de la Nupes aussi bien "arithmétiquement" que "sur la base du programme". Signe des divergences au sein de l'alliance de gauche, le coprésident des députés écologistes Julien Bayou a publiquement pris position jeudi : "Pour nous c'est très clair, la commission des finances revient à la Nupes et, au sein de la Nupes, [elle revient] à La France insoumise."
Interrogé vendredi par LCP, l'élu écologiste estime que "tout cela va se décanter dans le week-end". Julien Bayou soutient la candidature d'Eric Coquerel, qui a "travaillé pendant cinq ans à la commission des finances". Avec lui à sa tête, la commission deviendrait "un vrai contre-pouvoir". "Il faut restaurer le consentement à l'impôt, chacun doit payer sa part", explique l'élu, qui dénonce les multinationales qui "paient moins d'impôts en proportion que vous et moi". "Il est temps que cela change", ajoute encore Julien Bayou, qui cite notamment "Euro Disney" (Disneyland Paris, ndlr), "McDonald's" ou encore "Airbnb".
Enfin, la droite souhaite aussi participer à l'élection : "Le groupe Les Républicains aura un candidat", explique l'élue de l'Orne Véronique Louwagie, qui espère représenter sa famille politique lors du scrutin.
Jeudi 30 juin, les 68 députés de la commission se prononceront lors d'un vote à bulletin secret. Il est difficile pour l'instant de savoir de combien de places - et donc de voix - disposera chaque groupe politique au sein de la commission des finances. La répartition des sièges au sein de celle-ci doit se faire de façon "proportionnelle", en fonction de l'"importance numérique" des groupes à l'Assemblée nationale. Ce répartition sera fixée mercredi, lors de la réunion de la conférence des présidents, l'instance de gouvernance politique du Palais-Bourbon.
Pour l'instant, la distribution se fera entre neuf groupes : Renaissance (ex-LaREM), MoDem, Horizons, Les Républicains, Rassemblement national, La France insoumise, Ecologistes, Socialistes, Gauche démocrate et républicaine. La députée LR Véronique Louwagie estime, par exemple, que son groupe pourrait avoir 7 ou 8 places dans la nouvelle commission, tandis que le président du groupe philippiste Horizons, Laurent Marcangeli, pense pour sa part obtenir 3 ou 4 sièges pour ses députés. Mais l'éventuelle constitution d'un dixième groupe composé de dissidents socialistes, d'élus insulaires et ultramarins et d'anciens membres du groupe Libertés et Territoires pourrait modifier ces calculs.
Les députés de la majorité ne devraient, quant à eux, pas prendre part au vote. "Je pense que le groupe majoritaire respectera la tradition à l'Assemblée [qui est] donc de ne pas prendre part au vote", a déclaré la Première ministre Elisabeth Borne jeudi soir sur LCI. Une position qu'elle aurait formulé à nouveau ce vendredi lors de son entretien téléphonique avec Julien Bayou et Cyrielle Chatelain, les coprésidents du groupe écologiste à l'Assemblée. Le chef de file du groupe Horizons Laurent Marcangeli partage ce point de vue : "La majorité ne doit pas faire de coup politique, ce serait très mal interprété", déclare l'élu à LCP. Le député de Corse-du-Sud proposera donc en début de semaine à ses troupes de ne pas prendre part au vote, afin de laisser peser la "responsabilité" du choix sur les oppositions. Une façon pour lui de répondre à ceux qui comme l'ancien président de la commission des finances Eric Woerth (Renaissance) envisageaient d'intervenir dans le processus pour empêcher La France insoumise d'obtenir cette fonction.
Lors des deux premiers tours du scrutin, la majorité absolue est requise pour élire le nouveau président. Au troisième, la majorité relative suffit. Entre chaque tour, un candidat a le droit de se désister, ce qui pourrait encore modifier la donne avec d'éventuels reports de voix lors de ce scrutin à bulletin secret. "Si la présidence ne revenait pas à un député du Rassemblement national, il y aurait un grave problème", annonce d'ores et déjà Julien Odoul. Eric Coquerel, quant à lui, promet une "crise politique" si le poste échappait à La France insoumise.