Petite enfance : l'Assemblée vote la création d'une commission d'enquête sur les crèches

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par Marine Cardot, le Mercredi 29 novembre 2023 à 22:03

"Modèle économique, "maltraitance", "conditions de travail" : l'Assemblée nationale a voté la création d'une commission d'enquête "sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l'accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements", à l'initiative de La France insoumise. 

Elle sera chargée de faire la lumière sur les causes des dérives et des cas de maltraitances dans les structures d'accueil des tout-petits. A l'initiative du groupe La France insoumise, la création d'une commission d'enquête "sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l'accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements" a été votée, mardi 28 novembre par l'Assemblée nationale, par 178 voix contre 161. Les groupes de gauche, le groupe Liot, ainsi que le groupe Rassemblement national et la plupart des députés du groupe Horizons présents en séance ont voté "pour", tandis que les groupes Renaissance, Démocrate et Les Républicains on voté "contre", estimant en substance que cette commission n'était pas la bonne façon d'avancer sur ce sujet.

Le rapporteur de la proposition, William Martinet (LFI), a quant à lui justifié la démarche par l'existence d'"une maltraitance institutionnelle qui repose sur le déni du besoin des enfants". 

La maltraitance ne tombe pas du ciel, elle ne peut non plus se résumer à une succession d'erreurs individuelles ou d'actes malveillants. Elle trouve son origine dans le modèle économique des crèches.   William Martinet (LFI)

 

LR dénonce un acharnement contre le privé

La version initiale de la résolution ne visait que les crèches privées, mais le champ de la future commission d'enquête a été élargi à l'ensemble du secteur, à la demande de la droite. "Une évolution positive, selon William Martinet, qui donnera davantage de marge de manœuvre pour remplir l'objectif qui doit tous nous rassembler : défendre l'intérêt des enfants." 

Malgré cet ajout, le groupe Les Républicains n'a pas apporté son soutien pour autant, jugeant que la démarche était "à charge" et "sans nuances" à l'égard des crèches privées"Non au présupposé que tout acteur privé serait mal attentionné", a lancé Thibault Bazin (LR), qui fait valoir que des contrôles existent déjà.

Quand on enquête, on pose des questions. or, là, vous semblez avoir condamné par avance un secteur dans son ensemble. Thibault Bazin (LR) 

Une commission d'enquête inutile ? 

L'initiative de LFI fait suite aux conclusions d'un rapport alarmant publié en avril par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), missionnée par le gouvernement après la mort d'un bébé de 11 mois dans une crèche privée à Lyon en 2022. Les inspecteurs avaient recueilli des témoignages, dans le public et le privé, décrivant des situations s'apparentant à de la maltraitance.

Et l'Igas n'était pas la seule à travailler sur les crèches : une mission flash de l'Assemblée a également rendu un rapport sur le sujet. C'est pourquoi plusieurs députés ont jugé la création d'une commission d'enquête inutile. Une des co-auteures de ce rapport, Michèle Peyron (Rennaissance) se disant "persuadée que nous possédons suffisamment de travaux objectifs et étayés". 

"Une commission d'enquête ne ferait que retarder les actions qui pourraient être mises en pratique", a renchéri l'élue Modem Perrine Goulet, qui a accusé LFI de "porter une accusation à charge à l'endroit des crèches".

La majorité présidentielle n'a cependant pas voté d'un bloc. Frédéric Valletoux (Horizons) a notamment apporté son soutien à la proposition, satisfait qu'elle ne vise plus seulement le privé. "Nous serons vigilants que le travail d'enquête parlementaire soit fait avec rigueur et impartialité." 

La gauche, Liot, et le RN votent pour 

A l'inverse, toute la gauche s'est prononcé pour la création de la commission d'enquête, estimant qu'elle viendrait "compléter utilement" les recommandations de la mission flash. "L'Assemblée nationale doit avoir l'obsession d'exister, de faire ce pour quoi elle a été élue, l'obsession de ne pas subir, de faire vivre tout ce qu'elle peut de démocratie", a déclaré Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine). 

Marie-Charlotte Garin (Ecologiste) a, quant à elle, dénoncé la montée en puissance du privé lucratif dans le secteur de la petite enfance, mais elle a également soulevé que "la maltraitance n'[était] pas l'apanage des crèches privées". "Partout, des conditions de travail dégradées peuvent mener à la maltraitance, d'où l'importance de les améliorer et de ne pas se focaliser uniquement sur les contrôles", a-t-elle conclu. 

Le groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (Liot) a aussi voté en faveur de la création de cette commission d'enquête, Laurent Panifous estimant que c'était "le rôle des parlementaires de comprendre à quel point le modèle économique des établissements a un impact sur l'accompagnement des enfants". "La financiarisation à l’excès peut avoir des conséquences sur l'accueil des enfants, sur les conditions de travail des personnels", a-t-il dénoncé. 

Enfin, le Rassemblement national a aussi soutenu l'initiative, Cette commission "est plus que nécessaire", a estimé Serge Muller, jugeant que "personne ne devrait rester indifférent à la maltraitance infantile".

LFI dénonce "les risques de la financiarisation du médico-social"

Lors de sa présentation, le rapporteur du texte a assuré que "le rythme des bébés n'[était] pas compatible avec les cadences infernales, les soins prodigués à la chaine, l'organisation quasi-industrielle du travail dans certains établissements".

Selon William Martinet (LFI), le lien affectif entre l'adulte et l'enfant est "impossible à mettre en œuvre lorsque les professionnels sont précaires, interchangeables et soumis à un important turn-over". Il a regretté un "financement insuffisant" du secteur et une "pénurie de personnels qualifiés". Au-delà de ces difficultés générales, il a pointé la spécificité du privé lucratif et les "risques de la financiarisation du médico-social"

"Le modèle économique des crèches, c'est-à-dire leur financement, l'organisation du travail en leur sein, et le cas échéant, la recherche de rentabilité, tout cela permet-il de garantir un environnement protecteur et bienveillant dans lequel leurs besoins sont une priorité ?", a-t-il interrogé. 

Bientôt "le Orpea de la petite enfance" ? 

"Le risque est que se produisent, dans la petite enfance, les mêmes dérives que dans les Ehpad", s'est encore inquiété le rapporteur en référence aux cas de maltraitances chez Orpea, révélés, entre autres, par le livre Les Fossoyeurs, du journaliste Victor Castanet.

Une inquiétude partagée par Joël Aviragnet (Socialistes) qui "souhaite un renforcement des contrôles des crèches privées à but lucratif". "Il est intolérable que les premiers mois de vie de nos enfants souffrent de la cupidité de certains groupes privés prêts à tout pour réaliser toujours plus de profits."

En septembre dernier, deux livres-enquêtes - Le prix du berceau et Babyzness - ont mis au jour le mode de fonctionnement de certaines structures privées, où se joue une course au rendement au détriment des enfants.