Les députés ont examiné, jeudi 17 février, le rapport évaluant l’adaptation des politiques de lutte contre la pauvreté à l'aune de la crise sanitaire. Les co-rapporteures de la mission d'évaluation, Sylvie Tolmont (PS) et Nathalie Sarles (LaREM), se sont notamment attachées à scruter les effets concrets de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté mise en place en 2018 ainsi que des mesures intervenues depuis en lien avec la crise sanitaire.
Après avoir auditionné, depuis septembre dernier, des élus locaux, des responsables d'organismes sociaux, d'associations de lutte contre la pauvreté, des économistes et des sociologues, Nathalie Sarles (La République en marche) et Sylvie Tolmont (Socialistes et apparentés) ont présenté leurs conclusions devant le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale.
Les deux députées ont collaboré avec France Stratégie, institution rattachée aux services du Premier ministre, pour bâtir leur expertise et élaborer des propositions. Elles ont concédé un certain manque de recul lié à une crise sanitaire qui n'est pas encore achevée, et à l'impact "encore incertain" de certaines mesures prises récemment.
Les co-rapporteures ont initié leur exposé par le rappel d'un certain nombre de chiffres. La France comptait, en 2018, 10 millions de personnes pauvres, a indiqué Sylvie Tolmont, "dont 1 million en situation de grande pauvreté". C'est ainsi qu'en 2019, 14, 6% de la population française se situait sous le seuil de pauvreté monétaire, évalué à 1 102 euros par mois pour une personne seule, et à 2 314 euros pour un couple avec enfants. Cette situation voit des catégories de la population surreprésentées, à savoir les chômeurs, les familles monoparentales et les jeunes.
"La crise a eu pour effet de déstabiliser les populations les plus précaires", a déclaré Nathalie Sarles, avant de préciser que la hausse de la pauvreté avait pu être relativement contenue à court terme, et ce grâce à "l'adaptation conséquente des politiques de lutte contre la pauvreté". La députée concède cependant que la crise a révélé certaines insuffisances de ces politiques, et appelle de ses vœux la mise en place de "réformes structurelles ambitieuses".
Sylvie Tolmont, dont le groupe est à l'origine de la mission d'évaluation, insiste sur la hausse de la précarité alimentaire dans le contexte de la crise sanitaire. L'un des indicateurs ce phénomène a été le nombre conséquent de nouveaux bénéficiaires de l'aide alimentaire, au sein notamment de la population jeune de moins de 25 ans, et des familles en particulier monoparentales. La députée socialiste souligne également l'intensification des situations de mal-logement au fil des confinements.
Selon les co-rapporteures, notre système de protection sociale a joué son rôle d'amortisseur des conséquences de la crise. Il n'y a ainsi "pas eu d'explosion quantitative de la pauvreté en 2020", note Sylvie Tolmont, mais selon une analyse plus qualitative, une dégradation des conditions de vie des plus précaires. Les minimas sociaux se sont également vus solliciter par de nouveaux publics, avec une augmentation de 4, 3% de leurs bénéficiaires. Le nombre d'allocataires du RSA a ainsi dépassé le seuil des 2 millions en 2020, avant de retrouver son niveau d'avant-crise au printemps 2021.
S'appuyant sur les analyses de France Stratégie, Sylvie Tolmont constate des moyens conséquents mis en œuvre pour prévenir l'entrée des ménages dans la pauvreté, mais plus modestes pour venir en aide aux ménages déjà pauvres. Elle a cependant évoqué la mise en place de plans de soutien à l'aide alimentaire, en avril et juillet 2020, avec l'octroi de chèques d'urgence alimentaire aux familles les plus démunies, un soutien accru de l’État aux associations, et la mise en place d'un comité national de coordination de lutte contre la précarité alimentaire.
Nathalie Sarles a insisté sur le problème du non recours aux prestations sociales, "sujet bien plus important que celui de la fraude sociale" selon elle. Cela concernerait 30% des ayants droits, avec un taux atteignant 50% pour le RSA. Nathalie Sarles a appelé à privilégier une logique "d'aller vers", plutôt que de "contrôle systématique", et à améliorer l'automaticité des aides.
Parmi les autres mesures préconisées par le rapport, le rétablissement d'un secrétariat d’État dédié à la lutte contre la pauvreté, la revalorisation du travail social, ou encore, faire de la jeunesse un axe prioritaire de la lutte contre la grande pauvreté. Les deux députées prônent également une revalorisation du RSA, aujourd'hui à 565 euros par mois. Enfin, elles appellent à poursuivre la réflexion, interrompue par la crise sanitaire, autour de la mise en place d'un revenu universel d'activité (RUA). "Je défends avec mon groupe la proposition du revenu de base fusionnant le RSA et la prime d'activité", a tenu à préciser Sylvie Tolmont.
"On ne peut pas faire l'impasse sur les enjeux de la campagne présidentielle dans laquelle s'inscrit la publication de ce rapport, et cela pa pu cristalliser quelques divergences d'approche qui se ressentent dans la neutralité des propositions du rapport", a par ailleurs déclaré la députée socialiste en point d'orgue de son intervention. Elle est également revenue plus largement sur les réalisations du quinquennat. "D'un côté on met en place une stratégie pauvreté, de l'autre on impacte cette même stratégie avec des politiques qui la contredisent", a-t-elle estimé avant de diagnostiquer un "creusement des inégalités".
"Les convulsions sociales vécues au cours de ce quinquennat ne doivent pas être sous-estimées", a ainsi conclu la députée. Ce à quoi Nathalie Sarles a répondu en faisant valoir une unanimité à reconnaître, y compris dans le monde associatif, "que les mesures qui avaient été prises ont évité une explosion de la pauvreté sociale". "Je ne pense pas que l'on puisse dire que nos politiques ne sont pas efficaces", a-t-elle ajouté. Des désaccords qui n'ont pas empêché les deux députées de converger sur la nécessité de mettre en place des réformes structurelles afin d'éradiquer la grande pauvreté.