Devant l'ampleur des débats, le gouvernement n'a pas pu tenir mercredi le calendrier qu'il s'était fixé sur son projet de loi de gestion de la crise sanitaire. L'examen du texte reprendra jeudi, alors que plus de 1000 amendements ont été déposés.
"La liberté ce n'est ni se soustraire aux impôts, ni rouler à contre-sens sur l'autoroute, ni fumer au restaurant, ni refuser un vaccin qui me protège autant qu'il protège les autres". C'est par cette définition que le ministre de la Santé, Oliver Véran, a choisi d'inaugurer les travaux en séance autour du projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire. Cristallisant de vives controverses autour de la tension entre bien commun et libertés individuelles, la future loi est selon lui faite "pour la liberté de ceux qui ne sont plus tout à fait libres lorsqu'ils développent des formes graves" du Covid-19.
Le gouvernement espérait faire adopter rapidement son texte. Mais la densité des échanges sur l'extension du passe sanitaire aux lieux de la vie quotidienne - et les plus de mille amendements déposés mercredi - n'ont pas permis à l'exécutif de tenir la cadence. Le débat continuera donc jeudi matin, après-midi et soir. "Si le virus pouvait nous regarder, je pense que ce soir, il serait assez content et il se servirait une petite bière !", a même lancé, un peu dépité, le ministre devant la tournure des discussions. Retour sur une longue journée de débat.
Eric Coquerel (La France insoumise) a quant à lui redouté, par la mise en place du passe sanitaire y compris pour les activités du quotidien, l'instauration d'"une société de contrôle généralisé pour des mois, voire des années".
Plusieurs députés ont estimé "inapplicable" le passe sanitaire puisque le Premier ministre Jean Castex a annoncé mercredi sur TF1 que les restaurateurs ne devront pas effectuer de contrôles d'identité. "Il suffira à quelqu'un de se faire prêter gratuitement ou contre rémunération un passe sanitaire pour entrer dans un restaurant", s'est alarmée la socialiste Christine Pires Beaune.
L'élue s'inquiète d'une "multiplication des clusters" car la mise en œuvre du passe sanitaire entraînera la fin du port du masque obligatoire en intérieur pour les établissements qui l'utiliseront. "C'est inapplicable, de faux QR codes vont circuler", a quant à lui estimé Nicolas Dupont-Aignan. Certains députés ont tenté sans succès de décaler la mise en œuvre du passe de plusieurs semaines, à l'instar de Valérie Bazin-Malgras (Les Républicains). "Nous sommes engagés dans une course contre la montre", leur a répondu le rapporteur Jean-Pierre Pont (La République en marche).
Le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Cédric O, a évoqué une situation "binaire" à court terme. "C'est soit passe sanitaire, soit nouvelles contraintes sanitaires", a-t-il ainsi averti.
De nombreux amendements ont par ailleurs été déposés sur l'autre disposition de l'article, qui prolonge jusqu’au 31 décembre 2021 le régime intermédiaire de gestion de la sortie de crise sanitaire. Ces derniers souhaitaient ramener à la date du 31 octobre cette échéance ; ils ont tous été rejetés. Stella Dupont, issue des rangs de La République en marche, a notamment souhaité que le Parlement soit consulté "d'ici trois maximum, afin de voir ensemble comment il convient d'adpater les mesures sanitaires que nous prenons aujourd'hui (...) très contraignantes pour les Français".
Alors que des tensions ont émaillé la séance de l'après-midi, l'atmosphère est devenue électrique peu avant 20 heures, alors que les députés examinaient l'article premier sur le passe sanitaire. Martine Wonner s'est retrouvée au centre des débats, en assurant, à tort, qu'il allait devenir impossible d'accéder à l'hôpital sans être vacciné.
Cette intervention a mis le feu au poudre, au grand dam du président de séance, David Habib (PS), qui a tenté à plusieurs reprises d'éteindre l'incendie. La ministre déléguée chargée de l'Autonomie, Brigitte Bourguignon, a estimé qu'il y avait suffisamment de désinformation sans en rajouter dans l'hémicycle. Rémy Rebeyrotte (LaREM) a condamné les propos que l'élue avait tenus la semaine dernière ; elle avait en effet appelé à "faire le siège des parlementaires" et à "envahir leurs permanences", en marge d'une manifestation contre le passe sanitaire. Une sortie qui lui a valu son exclusion du groupe Libertés et territoires.
"Vous êtes totalement hors sol", a persisté Martine Wonner, qui a dénoncé "une attaque personnelle". "En tant que médecin, vous n'avez pas le droit de dire ce que vous avez dit", s'est emporté en réponse Philippe Vigier (MoDem), sous les applaudissements de l'hémicycle. "Si vous êtes antivax, je m'en fiche", a ajouté l'élu, qui a rappelé avoir perdu son frère, médecin de la réserve, des suites du Covid-19. David Habib a fait le choix de ne pas redonner la parole à la députée du Bas-Rhin, afin de mettre un terme à la querelle. Et a décrété, sur les conseils de Philippe Gosselin (LR), une suspension de séance de 5 minutes.
À la reprise de la séance du soir, Olivier Véran a souligné de nouveau l'urgence sanitaire et a appelé les députés à "ne pas tarder" : "Il y avait 21 000 cas aujourd'hui, 18000 hier et peut-être 25000 demain, et les courbes hospitalières commencent à monter", a-t-il encore martelé.
"Il y a urgence à appliquer le #PasseSanitaire, appelle @olivierveran. Plus nous tardons, (...) et ce n'est pas un chantage, plus nous risquons de nous retrouver au pied d'un mur épidémique."
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Le ministre vise une sortie de crise "en décembre".#DirectAN #PJLSanitaire pic.twitter.com/MUxvM138mN
Mais les députés ont voulu obtenir des éclaircissements de la part de l'exécutif, qui crie au loup mais qui a évoqué un relâchement possible des gestes barrières pour les personnes vaccinées. À la manoeuvre, Christophe Blanchet (MoDem et Démocrates) a souhaité inscrire dans la loi l'obligation de recourir aux gestes barrières dans les lieux fermés.
"Ce n'est pas parce que vous avez le passe sanitaire que vous devez enlever le masque, non", prône @christoblanchet, qui propose de maintenir les gestes barrières dans les lieux recevant du public.
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> "Beaucoup n'y comprennent plus rien..."#DirectAN #COVID19 #PJLSanitaire pic.twitter.com/0uDPhGs6rk
Si son amendement n'a pas été adopté, Olivier Véran lui a répondu que le Haut conseil de santé publique estimait que le port du masque n'était plus la règle en intérieur "en cas de bonne application du passe sanitaire". Toutefois, les préfets garderont la main pour maintenir le masque en intérieur, notamment dans les départements où la reprise épidémique est la plus forte. "Nous allons voir avec les préfets si l'application sera territorialisée ou nationale dans les enceintes fermées sous passe sanitaire", a-t-il expliqué peu avant minuit et la levée de la séance.