Comment les députés vivent-ils cette période de confinement ? Comment continuent-ils à faire leur travail de parlementaires hors des murs de l’Assemblée nationale ? Quel regard portent-ils sur cette situation et sur l'action du gouvernement ? Entretien avec Patrick Mignola, député Mouvement démocrate de Savoie, et président du groupe MoDem et apparentés de l'Assemblée.
Patrick Mignola, nous avons appris, dimanche, le décès de Jean-François Cesarini, votre collègue député La République en Marche du Vaucluse, des suites d’un cancer contre lequel il se battait depuis de longs mois. Quel souvenir gardez-vous de lui ?
Le groupe MoDem présente bien sûr ses condoléances à la famille et aux proches de Jean-François Cesarini. C’était un homme de convictions, qu’il a inlassablement défendues, et de combats. Le dernier ce ceux-ci, contre la maladie, fut admirablement digne.
Patrick Mignola, comment allez-vous, en cette période de confinement ?
Je vais très bien, merci. Vous savez, cela faisait deux ans que je ne voyais pas mon fils de cinq ans au quotidien et là, malgré les circonstances dramatiques, je renoue avec une vie de famille plus normale grâce au télétravail. Par ailleurs, j’ai la chance qu’il n’y ait pas de malades du Covid-19 dans mon entourage immédiat. Il n’y a d’ailleurs qu’assez peu de cas en Savoie, car la densité n’est pas forte et que les gens appliquent les consignes avec discipline.
Des députés Modem ont-ils contracté le coronavirus et comment vont-ils ?
Au groupe Modem, c’est d’abord un collaborateur qui a contracté le Covid-19. Heureusement il va beaucoup mieux. Et puis, nous avons une députée qui a été mise en quatorzaine, car elle avait tous les signes de la maladie mais avec des symptômes peu virulents.
Comment organisez-vous le fonctionnement du groupe MoDem pendant le confinement?
Les boucles Telegram ne sont plus bleues mais rouge vif car nous avons énormément d’échanges. Elles sont surchargées de nouvelles personnelles. Nous n’en avons jamais eu autant car on se manque ! Nous sommes un petit groupe, dont la plupart sont des élus locaux qui se sont rencontrés dans les campagnes de François Bayrou (NDLR: le président du MoDem) et ont donc des liens forts d’amitié. Il y a une ambiance qui est un peu familiale. Et puis quand on est habitués à vivre trois jours par semaine ensemble et que, tout d’un coup, on est confiné ça manque.
Nous avons aussi des boucles spécialisées dans plusieurs domaines pour apporter des informations fiables car c’est la première fois qu’on vit une crise de cette ampleur sous les algorithmes Facebook ! Les informations de l’Etat sont concurrencées par une fake news répétées 40 fois sur les réseaux sociaux, qui devient ainsi une vérité pour beaucoup, ce qui pose énormément de problèmes. Il y a un mélange désespérant entre les informations réelles et les rumeurs.
Le premier travail est de veiller à ce que les choses soient portées par les députés, sur le terrain, vis-à-vis des citoyens et des acteurs locaux. Nous relayons les questions des Français qui nous interpellent via Facebook, Twitter, Snapchat, etc.
Par ailleurs, on a recréé un petit Palais Bourbon virtuel. Nous organisons des réunions de groupe en conférence téléphonique (NDLR : à quarante-six députés). C’est plus long mais chacun s’écoute et cela permet d’avoir une discussion sur les questions d’actualité. J’ai également des échanges traditionnels avec chaque député. Nous nous retrouvons aussi, le mardi, comme avant mais de façon virtuelle bien sûr, pour le petit déjeuner de la majorité avec le Premier ministre, ainsi que le jeudi avec Gilles Le Gendre (NDLR : Président du groupe LaREM à l’Assemblée) et les collaborateurs de chacun de nos groupes. Nous communiquons, par téléphone, avec les autres groupes, le mardi matin, lors de la conférence des présidents de l’Assemblée nationale, autour du président Richard Ferrand.
Comment faites-vous remonter les informations au gouvernement ?
Le ministre des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau, a mis en place des canaux de communication. Au début, beaucoup de députés contactaient directement les cabinets des ministres quand ils avaient un problème sur leur territoire avec une usine ou un secteur d’activité. Or, il est nécessaire de canaliser l’information, car s’il y a des questions spécifiques telle ou telle circonscription, il y a aussi des questions récurrentes et le gouvernement ne peut pas perdre du temps à répondre plusieurs fois aux mêmes questions. Il faut organiser l’échange d’informations au mieux,
pour la majorité comme pour l’opposition, car en période de crise, il ne faut pas agir en fonction des étiquettes politiques.
Le député que vous êtes est censé faire la loi et être sur le terrain or, l’Assemblée est à l’arrêt et vous êtes confiné comment faites-vous votre travail ?
Le député a trois missions : faire la loi, contrôler le gouvernement et être un facilitateur sur le terrain. Nous venons de voter des projets de loi d’urgence et nous en ferons d’autres pour soutenir l’économie. On ne légifère qu’en fonction de la crise sanitaire, car il est vain de vouloir légiférer sur d’autres sujets actuellement. Le contrôle du gouvernement peut se faire parfois de bonne foi, parfois de mauvaise foi. Il peut y avoir la tentation de polémiques qui gênent la période. Il y a un temps pour gérer la crise et il y aura un temps pour en tirer les conséquences. Il vaut mieux trouver les solutions plutôt que les coupables. Il est bien sûr légitime que le Parlement puisse régulièrement demander des comptes au gouvernement. Dans le cadre du contrôle, il peut y avoir un échange sur des cas spécifiques ou des secteurs d’activité particuliers qui passent entre les mailles du filet, même si elles sont fines. Les indépendants peuvent toucher 1 500 euros uniquement si le chiffre d’affaires baisse de 70% sur le mois de mars 2020 par rapport à mars 2019. J’ai proposé que cette règle des 70% se fasse sur mars et avril de telle sorte qu’ils puissent bénéficier de l’aide d’urgence puis du chômage partiel. Ce sera d’abord du déclaratif et fin avril ils devront justifier de leur perte annuelle sur ces deux mois.
Certains députés de votre groupe vous ont-ils fait part de leur difficulté à se rendre utile ?
Il existe une très grande frustration. Quand il y a un sujet d’actualité intense, un député a ses réseaux locaux, ses antennes, ses prescripteurs d’opinion. Il sait qui il doit avoir au téléphone ou consulter, il fait des réunions et s’organise. Là, les choses se font en conférence téléphonique, à plusieurs, la réaction est donc plus lente ce qui rend la gestion de la crise sur le terrain difficile. La machine est grippée, on travaille en mode dégradé comme on dit dans les entreprises. Quand on est trois ou quatre jours à Paris par semaine, cela permet d’accélérer sur certains dossiers car on croise des gens ou on échange directement avec les ministres. Pour l’instant les synergies physiques ne se font plus. Mais au bout de quelques jours, chacun est déjà en train de retrouver un nouveau rythme. Il y a un lien avec le terrain, des échanges par voie électronique, des communications avec le gouvernement qui est assez réactif quand on a des sujets difficiles en circonscription. L’action de terrain est virtuelle, les questions sont téléphoniques, mais le plus important pour nous est de pouvoir apporter des réponses
Votre mission de contrôle devrait être assurée par la mission d’information sur l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences, comment l’envisagez-vous?
Je pense qu’on décidera que tous les députés sont engagés dans le combat quelle que soit leur appartenance politique ou leur terre d’élection. Les commissions vont continuer à fonctionner chacune dans leurs compétences. La charge des présidents de commission sera très importante pour que, dans chacune d’elles, les travaux d’échanges puissent s’effectuer malgré les difficultés liées à la période actuelle. Les présidents de commission seront co-rapporteurs de la mission d’information, ce qui permettra d’ordonner le travail. Cette mission devra faire des auditions avec les ministres, les acteurs de terrain, les scientifiques… Par exemple, sur le sujet du rapatriement des Français coincés à l’étranger, on a réussi à en ramener deux tiers, mais plus le temps passe plus c’est difficile. Ce sera notamment la contribution de la commission des affaires étrangères. Demain, la question de l’aide publique au développement se posera si l’Afrique est touchée. La commission des affaires économiques se penchera sur cette question ainsi, bien sûr, que sur la garantie de 300 milliards pour les entreprises votée dans les projets de loi Covid-19. Les objectifs de la mission seront définis et chaque parlementaire y sera associé.
Pensez-vous que la séance de questions au gouvernement devraient se tenir à distance ?
Tout peut être envisagé. Depuis le début du confinement, je n’ai pas participé aux questions au gouvernement, car j’étais dans ma circonscription, en Savoie. Comme vous le savez, dans les circonstances actuelles, ces séances ont lieu avec un nombre très restreint de députés. Pour le MoDem, j’ai désigné des députés franciliens pour poser les questions du MoDem de façon à éviter des déplacements superflus. Nous devons être exemplaires en la matière. Et je me sens personnellement représenté par les députés qui posent les questions au nom de notre groupe. Etant présent virtuellement, mardi encore, je serai heureux d’applaudir à travers Skype en attendant de pouvoir revenir dans l’hémicycle ! Pour en revenir à votre question, si l’Assemblée continuait d’être un cluster il faudrait peut-être envisager des questions au gouvernement à distance mais depuis quinze jours nous n’avons pas de nouveaux cas. Pour les Français, les questions d’actualité sont un rendez-vous important. Pour la première fois, ce n’est pas seulement LCP qui les retransmet mais aussi les autres chaînes d’info. Cela veut dire que les gens s’y intéressent et qu’ils comptent sur nous pour relayer leurs questions.
La crise change-t-elle l’ordre du jour du Parlement tel qu’il était prévu pour l’année 2020 et après ? Retraite, climat, dépendance ?
Evidemment, ça change l’ordre du jour. D’abord, parce qu’il y a un confinement qui va durer plusieurs semaines. Et ensuite, parce qu’il faut apporter une réponse à la crise sanitaire. Ce qui se fera à l’automne ne pourra pas se faire comme cela aurait été le cas au printemps. Pour autant l’urgence existe, les injustices et la solidification de notre système de retraites sont encore plus nécessaires. Comme la crise économique est de très grande ampleur, il faudra continuer à agir au Parlement. A la réforme des retraites, à la dépendance, à l’urgence climatique, s’ajouteront certainement la question de la régulation de la mondialisation et celle de la relocalisation industrielle.
Fabriquer des masques et des médicaments en Asie, ça ne peut plus être une solution ! Il va falloir reposer la question de la régulation des GAFA ou des droits d’auteur des journalistes. Quand on s’était battus avec François Bayrou, en 2007, pour parler du made in France, repris par Arnaud Montebourg, les Français ne s’y étaient pas intéressés mais, aujourd’hui, on se rend compte que cela apporte de la protection. Les questions de l’indépendance économique et de la relocalisation viendront très vite, à partir d’août.
A titre personnel vous possédez une grosse entreprise de carrelage, la 2e française, qui est en redressement judiciaire, pourrez-vous la sauver grâce aux mesures d’urgence que vous avez votées ?
J’avais arrêté l’activité avant. Il n’y avait pas eu trop de casse sociale. Mais, je suis inquiet pour le replacement des salariés. On avait vécu la crise avant la crise, car on avait un décalage d’activité et un manque de trésorerie. Les salariés avaient retrouvé une activité. J’espère qu’ils vont pouvoir conserver les nouveaux emplois qu’ils avaient trouvés. Cette histoire me permet d’avoir un éclairage expérimenté sur la crise que traverse les chefs d’entreprise actuellement. On a besoin de solidité et de rapidité et je crois que le gouvernement a trouvé les bonnes réponses avec les apports de trésorerie et la garantie bancaire.
Propos recueillis par Brigitte Boucher