Comment les députés vivent-ils cette période de confinement ? Comment continuent-ils à faire leur travail de parlementaires hors des murs de l’Assemblée nationale ? Quel regard portent-ils sur cette situation et sur l'action du gouvernement ? Entretien avec Nathalie Elimas, députée Mouvement démocrate du Val-d’Oise, vice-présidente du groupe MoDem et apparentés de l’Assemblée, conseillère régionale d’Ile-de-France.
Nathalie Elimas, comment allez-vous ?
Je vais bien et j’ai la chance de ne pas avoir de cas de coronavirus dans ma famille, ni mes enfants, ni de personnes très proches. J’ai quelques amis qui sont touchés mais ça va. J’ai aussi des nouvelles rassurantes de mes collègues députés dans les boucles de conversation sur lesquelles nous échangeons.
Votre groupe parlementaire reste-t-il actif pendant le confinement ?
Oui, nous sommes actifs. Nous avons toujours nos boucles traditionnelles de députés mais nous avons créé une boucle supplémentaire consacrée au Covid-19 pour recevoir des informations spécifiques sur le coronavirus. Nous avons aussi maintenu notre réunion de groupe le mardi matin qui se tient par téléphone. Nous sommes très bien organisés. Nous coupons les micros pour éviter la cacophonie et ,quand quelqu’un a une question, il la pose d’abord au président de groupe, par écrit sur notre boucle, pour que celui-ci puisse distribuer la parole. On s’adapte mais ça marche toujours !
L’Assemblée tourne au ralenti, la députée que vous êtes se sent-elle désœuvrée ?
Au départ, j’ai été déstabilisée par la situation. C’était émotionnellement fort d’être dans une Assemblée presque vide lors de la première séance de questions au gouvernement ou pour les votes du projet de loi de finances rectificative et des mesures d’urgence. Désormais je suis les questions au gouvernement à distance, sur LCP. Il y aussi la mission d’information sur le Covid-19. Maintenant ça tourne à plein régime. Je remplis pleinement ma mission en circonscription, plus que jamais !
Comment échangez-vous avec les habitants de votre circonscription ?
Il y a des gens qui, spontanément, nous contactent, soit moi directement, soit mon équipe qui est en télétravail. J’organise une visioconférence une fois par jour avec mes collaborateurs. Nous avons aussi une boucle où nous échangeons. Je suis souvent contactée par mail. Au début, j’avais beaucoup de questions d’ordre économique et puis ça a suivi l’actualité après les TPE-PME, le sanitaire, l’organisation du BAC, etc. Je réponds directement. Par ailleurs, j’ai appelé les directions de tous les Ehpad du Val-d’Oise pour prendre des nouvelles, proposer mes services, connaître leurs besoins et les écouter. Ils m’ont fait part de leurs difficultés au niveau du matériel, des masques, des surblouses, des sacs mortuaires qui viendraient à manquer. Ils m’ont demandé des tablettes pour les personnes âgées confinées depuis début mars pour leur permettre de donner et recevoir des nouvelles de leurs proches. Avec mon équipe nous allons lancer un appel aux dons pour en récupérer. J’ai également écrit à tous les chefs d’établissements pour savoir quels étaient leurs besoins. Ils m’ont demandé des ordinateurs car nous avons perdu entre 5 et 8% des élèves à cause du manque d’équipement informatique. Je prépare un courrier pour les associations, une lettre pour tous les habitants de ma circonscription pour leur dire que je suis prête à répondre à toutes leurs questions et à les aider, et nous réfléchissons à monter un Facebook live la semaine prochaine. Le système est donc montant et descendant. J’essaie d’être la plus active et la plus proche possible.
Comment faites-vous remonter les informations ?
Une conférence téléphonique a lieu une fois par semaine avec le préfet, la DDEN (Direction départementale de l’éducation nationale), la DDSP (Direction départementale de la sécurité publique), le colonel de gendarmerie… Je suis en lien avec les élus locaux et tous les jours avec le président de l’Union des maires du Val-d’Oise. J’ai également des contacts avec la commission des affaires sociales de l’Assemblée, avec la région Ile-de-France en tant que conseillère régionale et, une fois par semaine, avec les cabinets ministériels. J’ai eu des réunions à distance avec plusieurs membres du gouvernement : Christophe Castaner, Laurent Nunez, Adrien Taquet et Christelle Dubos, pour les questions qui concernent la famille, la solidarité, les personnes en situation de précarité. Tous ces échanges permettent de faire remonter les difficultés éventuelles et de faire des ajustements comme, par exemple, pour le fonds de solidarité aux entreprises. Initialement le dispositif prévoyait que, pour être éligible, il fallait que la perte de chiffre d’affaires soit de 70% mais finalement le seuil a été fixé à 50%.
Rencontrez-vous une pénurie de masques dans votre circonscription ?
Pour les masques et les équipements sanitaires, la distribution s’est faite lentement. Et les établissements sont dotés de façon inégalitaire. Ils ont plus ou moins de besoins. Dans certains Ehpad il n’y a pas de malade, dans d’autres quelques-uns et, dans un en particulier, il y a malheureusement une dramatique hécatombe. Dans mon territoire j’ai pu répondre avec l’aide de la région qui a eu l’autorisation de passer commande et de distribuer elle-même. Des masques ont pu être donnés aux collectivités qui les ont transmis aux soignants et aux pharmaciens. Ce problème est sur le point d’être résolu. Nous sommes également en attente d’une deuxième commande de la région. Sur cette question j’ai travaillé avec tous les élus locaux. L’Association des maires de France a aussi commandé des masques. Le territoire est donc bien maillé et nous arrivons à en distribuer de façon très régulière.
Dans le cadre de votre mandat de députée, vous vous intéressez particulièrement aux personnes en situation de handicap, y a-t-il une vigilance particulière du gouvernement ?
Une réponse a été apportée la semaine dernière par Olivier Véran et Sophie Cluzel avec un assouplissement des règles de confinement pour les autistes avec des autorisations de sortie plus spécifiques. Je pense que c’était nécessaire pour ces populations auxquelles nous portons une considération et un regard particulier. J’y veille aussi localement. J’ai une ergothérapeute qui m’a fait part de ses difficultés à se rendre chez des personnes en situation de handicap à cause de la situation sanitaire, elle s’est adaptée et reçoit les urgences à son cabinet.
Vous aviez demandé au gouvernement de ne pas oublier la famille dans l’acte 2 du quinquennat, craignez-vous qu’elle fasse encore moins partie de l’urgence après la crise épidémique ?
C’est mon inquiétude. Je vais y être vigilante. Le focus va surtout être économique, afin de faire tourner les entreprises. Mais les questions qui se posaient hier vont se poser pour les plus défavorisés de façon encore plus accrue après la crise actuelle. Nous l’avons déjà évoqué avec Christelle Dubos (NDLR : secrétaire d’Etat auprès du ministre des Solidarités et de la Santé) lors de notre vision conférence. Il s’agit d’être attentif aux plus vulnérables et aux familles monoparentales. Sur le fichier des personnes dont il faut prendre soin, constitué pendant le plan canicule, nous avons intégré les familles monoparentales, mères ou pères, qui ont besoin qu’on s’occupe de leurs enfants pendant qu’ils vont travailler. En tant que rapporteure d’une mission sur la famille je vais peut-être modifier mes orientations dans le cadre de ce travail parlementaire et mettre en avant les questions les plus prioritaires. Mais j’entends bien porter cette question, car une fois que la crise sanitaire sera passée, la crise sociale sera vraiment là et il faudra répondre aux familles.
Le gouvernement est parfois critiqué sur sa gestion de la crise et sur sa communication, ces attaques sont-elles fondées ?
La polémique n’a pas sa place aujourd’hui. Elle est déplacée et elle est indigne. Le bilan on le fera à un moment donné. Le président de la République a dit que nous étions en guerre, en l’occurrence contre un ennemi qu’on ne peut pas voir, un virus. Nous sommes dans une situation inédite qui nous oblige à nous adapter en fonction de l’état de nos connaissances. Il faut corriger et ajuster le tir en permanence. J’ai entendu qu’on aurait déclenché le confinement trop tard. J’encourage les gens à aller sur l’application du gouvernement « Tableau de bord Covid-19 » car elle permet de constater que le jour où l’exécutif s’est exprimé sur la fermeture des écoles ou des commerces non prioritaires il y avait encore très peu de décès. On ne peut pas dire qu’on ait pris du retard. Cela n’est pas fondé. Je ne dis pas que tout est parfait. Il faudra faire un bilan sur la stratégie, la gestion des masques, dans le but de s’améliorer si nous sommes à nouveau confrontés à une pandémie. Encore une fois, nous vivons une situation inédite et particulièrement complexe.
Au groupe Modem travaillez-vous déjà au Monde d’après ? Quelles sont vos propositions ?
A vrai dire, nous n’y travaillons pas encore franchement. J’ai des collègues qui avancent déjà des idées sur nos boucles. Mais il n’y a pas de stratégie globale du groupe. Il faudra tirer des leçons de l’épidémie et faire autrement après. Aujourd’hui, ce n’est pas l’urgence, nous sommes dans le pratico-pratique. Il faudra y penser pour bâtir la stratégie de sortie et la stratégie d’après la crise. Pour l’heure, nous sommes sur le terrain, nous cherchons à savoir comment répondre au plus vite et au plus près. Chaque chose en son temps.
Quelles leçons tirez-vous de la crise ?
Je vois un élan de solidarité et de générosité des Français. Ils se sont vite manifestés ce qui est bon signe pour l’après. Si on s’intéresse à notre mode de vie on constate qu’il est plus bleu parce qu’on a arrêté de se déplacer en voiture. Confiné chez soi on se contente de l’essentiel alors que d’habitude nous sommes des surconsommateurs. Ca m’interpelle. Nous n’étions pas préparés au télétravail, il a fallu trouver des solutions, je crois que ça peut nous encourager pour la suite et nous permettre de réfléchir à d’autres modes de travail. Sur la question de l’hôpital, dans la gestion de la crise, nos soignants sont formidables. Ils ont poussé les murs. Ils ont développé des outils qui peinait à émerger comme la télémédecine. Mais l’hôpital va mal. Nous avons mis des pansements. C’est le système de santé au sens large qu’il faut repenser avec la médecine de ville. Cette crise a montré une solidarité et notre capacité à fonctionner et à travailler autrement. C’est positif quand même.
Propos recueillis par Brigitte Boucher