Les députés ont adopté, dans la nuit de mardi 14 à mercredi 15 mai, le projet de loi constitutionnelle modifiant le corps électoral de Nouvelle-Calédonie pour les élections provinciales, alors que l'archipel fait face à d'importantes violences. L'exécutif et la majorité espèrent toujours la conclusion d'un "accord global" entre les parties prenantes locales. Celui-ci prendrait alors la priorité sur le texte voté qui, faute d'accord, devra encore être entériné lors d'une réunion du Congrès à Versailles.
L'Assemblée nationale a adopté, dans la nuit de mardi 14 à mercredi 15 mai, le projet de loi constitutionnelle "portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie" (351 "pour", 153 "contre", 3 abstentions). L'examen de ce texte - contesté par les indépendantistes - s'est déroulé dans un climat tendu, alors que de graves violences ont lieu en Nouvelle-Calédonie et que la ville de Nouméa, le chef-lieu de l'archipel, est soumise à un couvre-feu.
Le projet de loi a été adopté dans les mêmes termes qu'au Sénat, ce qui ouvre la voie à son adoption définitive par les députés et les sénateurs, réunis en Congrès à Versailles. Mais l'exécutif a prévenu avant le vote que celui-ci n'aurait pas lieu dans l'immédiat, afin de permettre l'éventuelle conclusion d'un "accord global" avec les parties prenantes - indépendantistes et loyalistes - au niveau local. Lors de la séance des questions au gouvernement de mardi, le Premier ministre Gabriel Attal a en effet rappelé que le président de la République Emmanuel Macron a proposé "d'ouvrir de nouvelles discussions entre les responsables politiques calédoniens et le gouvernement". "Notre main est toujours tendue", a expliqué le Premier ministre. Une affirmation réitérée dans la nuit de mardi à mercredi par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.
Les sénateurs avaient d'ailleurs introduit un amendement visant à permettre de suspendre le processus "à tout moment en cas d’accord global entre les parties". En clair, le projet de loi constitutionnel "s’effacera si les parties parviennent à un accord global", a souligné sur les réseaux sociaux le président de la commission des lois, Sacha Houlié (Renaissance). "En ce moment même en Nouvelle-Calédonie, je l'espère de tout mon coeur, nous approchons d'un accord", a déclaré mardi soir Gérald Darmanin.
Le projet de loi, examiné par l'Assemblée nationale depuis lundi, est à l'origine de ce regain de tensions inédit depuis les années 1980 en Nouvelle-Calédonie. Il prévoit d'élargir le corps électoral des élections provinciales, en l'ouvrant aux natifs et aux citoyens qui vivent sur l'archipel depuis au moins dix ans. Le corps électoral est en effet "gelé" depuis l'accord de Nouméa de 1998. Selon le gouvernement, ce gel priverait aujourd'hui de vote 42 596 personnes lors de l'élection des membres des assemblées de province et du congrès de Nouvelle-Calédonie, ce qui correspond à 1/5e des électeurs inscrits sur les listes électorales générales.
"Aujourd'hui, des personnes nées en Nouvelle-Calédonie, ou qui y résident depuis de très nombreuses années, qui y ont leur vie personnelle et leurs activités professionnelles, qui y paient des impôts, sont privées du droit de vote", a expliqué lors de la séance des Questions au gouvernement, Gabriel Attal. Dans de telles circonstances, "toute élection serait inévitablement contestée, attaquée et sans aucun doute annulée", a jugé mardi soir Félicie Gérard (Horizons). Le texte a également été défendu par le député de Nouvelle-Calédonie Philippe Dunoyer (Renaissance), qui espère cependant toujours un "accord global".
Les députés des groupes Rassemblement national et Les Républicains ont soutenu le texte. Yoann Gillet (RN) a notamment affirmé que celui-ci permettrait "simplement à des Français de pouvoir voter en France". Mais ce projet de loi est vivement contesté par les indépendantistes, qui y voient un risque de "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak". Une accusation reprise mardi soir par la députée écologiste Sabrina Sebaihi (Ecologiste), qui a estimé qu'avec ce projet de loi "les loyalistes sortent favorisés avant même la fin du processus".
Lors de la séance des questions au gouvernement, plusieurs élus de gauche avaient demandé au gouvernement le retrait du texte : "L'apaisement ne peut passer que par le retrait du projet de loi constitutionnel et un groupe de contact qui irait sur place pour organiser le retour au dialogue", a notamment expliqué le président du groupe Gauche démocrate et républicaine, André Chassaigne. Une demande de retrait également formulée par la présidente des députés de La France insoumise, Mathilde Panot, tandis qu'Arthur Delaporte (Socialistes) avait appelé à la suspension de l'examen du texte.
"Nous avons convenu que nous souhaitions appeler à la sérénité des débats dans cet hémicycle. Yaël Braun-Pivet
Signe de l'importance des enjeux et de la préoccupation face à la situation en Nouvelle-Calédonie, la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a réuni après les Questions au gouvernement le "groupe de contact" sur la Nouvelle-Calédonie", composé des présidents des groupes politiques, des députés de Nouvelle-Calédonie, du président de la commission des lois, ainsi que du président de la délégation aux outre-mer. "Nous avons convenu que nous souhaitions appeler à la sérénité des débats dans cet hémicycle et au respect des positions et des opinions de chacun", a déclaré Yaël Braun-Pivet à la reprise de l'examen du texte mardi après-midi.
Un souhait qui n'a pas toujours été respecté. Dans la soirée, Gérald Darmanin a notamment dénoncé "l'obstruction caractérisé" de La France insoumise visant selon lui à "faire perdre du temps à la représentation nationale". Le ministre, qui a rappelé que les trois autres groupes de gauche avaient retiré leurs amendements pour ne pas bloquer l'examen du texte, a jugé que les députés LFI se "fichaient de la Nouvelle-Calédonie". "Ce qui vous intéresse, c'est la bordélisation", a-t-il dénoncé. "Nul ne peut ignorer que s'il est adopté, ce texte mettra l'archipel dans une tension où l'irréparable risque d'avoir lieu", lui a répondu Alexis Corbière (La France insoumise). Le député a mis en garde ses collègues, en évoquant notamment les événements de la grotte d'Ouvéa de 1988 : "Le sang a coulé, vous le savez, et nous ne voulons pas que cela se reproduise !" Rappelant qu'Emmanuel Macron avait annoncé sa volonté de ne pas réunir immédiatement le Congrès, les députés LFI estiment "qu'il n'y a pas urgence à légiférer", a-t-il encore indiqué.
"Vos interventions sont quelque peu déplacées dans le ton que vous avez aujourd'hui dans cet hémicycle", a averti la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. "Je voudrais que l'on se calme un peu juste par respect pour ce qu'il se passe en Nouvelle Calédonie, s'il vous plaît", a lui aussi réagi le rapporteur du texte et député de l'archipel, Nicolas Metzdorf (Renaissance). Sur LCP, plus tôt dans la journée, l'élu avait répondu avec amertume aux députés de gauche, qui demandaient le retrait du texte : "J'essaie de ne pas avoir de haine devant cette demande parce que cela voudrait dire que ceux qui cassent, pillent, saccagent, menacent, blessent et peut-être tueront auront eu raison."
La soirée de mardi a été marquée par d'autres échanges virulents, Jean-Philippe Nilor (La France insoumise) interpellant par exemple le gouvernement, le jugeant "arc-bouté dans [sa] posture coloniale" : "Vous voulez la paix ou vous voulez la guerre ? Si je pose la question, c'est parce que la question se pose lorsqu'on entend vos arguties", a déclaré le député de Martinique.
"Je suis petit-fils de colonisés et vous n'avez pas à distribuer les bons et les mauvais points entre ceux qui seraient dominateurs et les dominés", a rétorqué Gérald Darmanin, ajoutant que "la République ce n'est pas la couleur de peau". De son côté, le député de La Réunion Frédéric Maillot (Gauche démocrate et Républicaine) a reproché à la majorité présidentielle et aux partisans du texte d'écrire l'histoire "à l'encre coloniale".
En fin de séance, les députés de La France insoumise ont finalement décidé de retirer la plupart de leurs amendements, tout en rappelant leur opposition au texte. "Nous vous avons dit maintes fois que la paix était fragile, maintenant vous assumerez les conséquences de vos actes", a déclaré la présidente du groupe Mathilde Panot. Le député de Guyane Jean-Victor Castor (Gauche démocrate et républicaine) a pour sa part mis en garde la majorité : "Vous aurez toujours des Kanaks, face à vous, qui vont se battre pour leurs aspirations profondes."
Lors du scrutin sur le projet de loi, les quatre groupes de gauche ont voté contre, tandis que les groupes de la majorité présidentielle (Renaissance, Horizons, Démocrate) ont voté pour, comme le Rassemblement national et Les Républicains. Les députés du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) se sont partagés entre pour et contre (détail du scrutin à consulter ici). Lors des explications de vote, Paul Molac (LIOT) a adressé un message à ses collègues de la représentation nationale, évoquant la situation en Nouvelle-Calédonie : "Sachez quand même que jusque là, c'était la responsabilité du gouvernement et que maintenant ce sera aussi la nôtre."