Le rapport de la mission d'information sur le médicament, dont les députés La République en marche Audrey Dufeu et Jean-Louis Touraine sont les co-rapporteurs, préconise 31 mesures pour que la France "retrouve une place de premier plan" européen dans le domaine pharmaceutique. Gouvernance et production : "la France du médicament a connu un déclin sans appel", alertent-ils.
La pénurie française de masques, en pleine pandémie de coronavirus, a rouvert de nombreux débats. Et si la France se retrouvait aussi en pénurie... de médicaments ? En 2017 déjà, 530 médicaments d'intérêt thérapeutique majeur ont été en rupture de stock. "Le constat selon lequel le monde du médicament va mal ne date pas de la Covid-19. La crise, en mettant crûment en lumière les fragilités de notre système et leurs conséquences potentiellement dramatiques, n’a fait que confirmer l’urgence d’agir", souligne le président de la mission d'information sur le médicament, le député communiste Pierre Dharréville. Car la France du médicament a connu "un déclin", déplorent Audrey Dufeu (LaREM) et Jean-Louis Touraine (LaREM), dont le rapport "Le médicament : l'urgence d'un changement de modèle" à été adopté en commission des affaires sociales mercredi 23 juin.
Certains chiffres cités dans l'épais document sont édifiants : depuis 2012, près de 9 800 emplois dans l'industrie pharmaceutique ont été supprimés. Sur le territoire, le nombre d’entreprises "a presque diminué de moitié entre 1970 et 2018, passant de 422 à 240", soulignent les députés. "Le constat est sans appel", martèle Jean-Louis Touraine : "En Europe, la France était première il y a dix-quinze ans. Autant pour l'innovation thérapeutique que pour la production de médicaments. Aujourd'hui, selon les critères, nous sommes entre la quatrième et la sixième position !"
Certes, ce "déclin est lourd de conséquences", dit le député LaREM. Mais tout n'est pas perdu. "Il y a la possibilité de retrouver une place de premier plan, pour peu qu'on en ait la volonté", estime-t-il. Sa collègue Audrey Dufeu abonde, expliquant que l'investissement dans la recherche est primordial. "Il faut bien avoir conscience que les pays qui participent peu à l'innovation thérapeutique n'ont forcément que très peu de place dans le développement et la production des médicaments innovants (...) Le déclassement de la France en termes d'innovation rend plus difficile un accès équitable et rapide des patients français aux innovations thérapeutiques. Nous ne pouvons l'accepter", dit-elle.
La députée de Loire-Atlantique appelle donc à augmenter les montants octroyés aux projets de recherche, plutôt que de multiplier "des volumes financiers sur différents projets, qui au final auront des impacts moins importants", souligne-t-elle. Dans le même objectif, Audrey Dufeu propose la création d'un "méga-hub" en santé. Elle insiste également sur la proposition n°15 du rapport : aligner le salaire des chercheurs français sur les meilleurs standards internationaux. "Cela doit être une priorité, et devrait être du bon-sens."
Pour éviter de futures pénuries, elle et Jean-Louis Touraine appellent également au renforcement de la transparence sur les stocks disponibles tout au long de la chaîne d’approvisionnement et à l'harmonisation des règles de stockage des médicaments au niveau européen. Ils suggèrent aussi de renforcer les sanctions prévues en cas de manquement par les laboratoires et les acteurs de la répartition de leurs obligations. Quant aux relocalisations, les députés appellent à les cibler sur les productions de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur confrontés à des risques de pénurie.
Pour "rééquilibrer les rapports de force avec les industriels", les députés préconisent aussi le renforcement de la transparence du prix des médicaments, en obligeant "les laboratoires, au-delà d’un certain niveau de prix d’un médicament, à rendre transparents les coûts de R&D, de marketing, les bénéfices et les prix pratiqués dans d’autres pays."
Afin de prendre en compte les enjeux de souveraineté et de sécurité d'approvisionnement, c'est l'ensemble des critères de fixation des prix qu'il faudrait modifier, indiquent les députés. En définissant, dans la loi, "les critères qui fondent l’appréciation de l’amélioration du service médical rendu", dans l'objectif de "couper la dynamique inflationniste de l’innovation, dans laquelle chaque produit nouveau se prévalant d’un apport à une thérapeutique existante peut se voir attribuer un prix supérieur au produit déjà sur le marché."
Dans cette optique, les élus suggèrent in fine de fixer les prix des médicaments à l’échelle européenne. Une proposition dont Jean-Louis Touraine et Audrey Dufeu reconnaissent qu'elle poserait des difficultés. Et dont l'application est aujourd'hui plus qu'hypothétique. "Ca ne sera pas atteint immédiatement, parce qu'il faut convaincre tous nos partenaires européens. Mais une fois que ça sera fait (...) on pourra commencer à réfléchir à une unification beaucoup plus complète de toute la chaine du médicament et développer une authentique Europe de la santé, mais je pense qu'on est obligés d'avancer pas à pas", explique Jean-Louis Touraine.
En outre, les députés entendent mettre à jour le modèle de gouvernance du médicament en France, en créant une fonction de haut-commissaire "aux produits de santé." Il serait chargé "de définir une stratégie globale en matière de médicaments, laquelle pourrait utilement trouver à s’incarner dans le cadre d’une loi de programmation sur la santé", peut-on lire dans le rapport.
Ces 31 propositions seront-elles reprises par le gouvernement ? C'est le souhait exprimé par plusieurs députés en commission. "Ce que j'ai peur, c'est qu'on pioche dedans les trois propositions les moins onéreuses et qu'on nous dise qu'on nous a écouté", craint Jean-louis Touraine, avant de conclure : "C'est le total qu'il faut reprendre, ou du moins l'esprit global : se donner une obligation de résultats à relativement courts termes."