Auditionnés par les députés de la commission d'enquête sur le maintien de l'ordre, trois responsables policiers ont déploré devoir faire face à une violence de plus en plus répandue lors des manifestations. La directrice centrale des CRS, Pascale Regnault-Dubois, a pointé l'impact des réseaux sociaux dans cette évolution. Les policiers ont évoqué l'adaptation de leurs services pour affronter ce phénomène.
La violence en manifestation n'est pas nouvelle, mais elle a pris une nouvelle envergure depuis quelques années. Tel est le constat dressé par trois directeurs de la police nationale, qui étaient auditionnés ce jeudi après-midi par les députés de la commission d'enquête relative à "l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l’ordre".
Comme l'a relevé la directrice centrale des CRS, Pascale Regnault-Dubois, 353 CRS ont blessés en manifestation en 2018, et 413 en 2019. La même année, plus de 1 500 blessés légers ont été à déplorer. Elle a indiqué que les jets de projectiles, les pillages et les dégâts étaient devenus un mode de contestation à part entière.
Pour la responsable policière, cette évolution s'explique en partie par les réseaux sociaux. "Il n'y a plus de barrière", a-t-elle souligné, faisant part de manifestants qui peuvent "se radicaliser de manière ponctuelle". Selon la directrice, il est en outre de plus en plus difficile pour les policiers de voir les images de violence tourner en boucle sur les réseaux sociaux.
Ce constat a été partagé par Jérôme Foucaud, directeur de l'ordre et de la circulation de la Préfecture de police de Paris. La DOPC est chargée des opérations de maintien de l'ordre - manifestations et événements sportifs ou culturels - sur Paris et la petite couronne. Entre 2007 et 2019, cette direction a dû faire face à une augmentation de 54 % d'opérations de maintien de l'ordre.
Jérôme Foucaud a déploré que certains manifestants ne respectent plus les règles juridiques prévues pour les manifestations. Ainsi, en 2019, 17 % des rassemblements n'étaient pas déclarés, un chiffre "nettement supérieur à la moyenne". De manière similaire, les services d'ordre ont quasiment disparu, même au sein des manifestations organisées par les grandes centrales syndicales. Le DOPC a en outre remarqué l'apparition de "pré-cortèges" plus ou moins noyautés par des groupes radicaux. Selon lui, d'autres critères viennent gêner la gestion des manifestations : leur instantanéité de plus en plus souvent fréquente, mais également la "radicalisation" de manifestants et la "haine continue" déversée au cours de certains rassemblements.
Le directeur a par ailleurs lui aussi regretté l'usage intensif qui est fait des réseaux sociaux lors des manifestations, estimant qu'ils ont "libéré la parole de ceux qui ne l'avaient pas avant. Il est utopique de penser que la justice pourrait poursuivre tous ceux qui s'y expriment de manière haineuse", a-t-il ajouté.
Face à ce constat, les policiers ont dû s'adapter pour assurer le maintien de l'ordre. Une adaptation qui est "toujours en cours", selon le DOPC. De son côté, Pascale Regnault-Dubois a affirmé que "les CRS bâtissent leur doctrine au fur et à mesure de l'évolution de la société". Selon la directrice, "adaptabilité et réactivité" sont les deux maîtres mots des CRS pour faire face à ce niveau de violence, et faire en sorte qu'une opération de maintien de l'ordre se déroule sans encombre.
Un blessé en manifestation est un blessé de trop, que ce soit un policier ou un manifestant. Pascale Regnault-Dubois, directrice centrale des CRS
L'adaptabilité des forces a également été mise en avant par le directeur central de la sécurité publique, Jean-Marie Salanova. Les effectifs de la voie publique sont très souvent déployés sur des opérations de maintien de l'ordre. Quelque 60 % de ces opérations sont ainsi effectués sans la présence d’unités spécialisées. Pour Jean-Marie Salanova, il est essentiel de davantage former les effectifs, d'adapter les techniques en manifestation. Le directeur a également fait part de l'importance de l'encadrement, de l'usage des images par la police et de la communication vis-à-vis des médias et de la population. Il a en outre estimé que la hiérarchie devait accompagner les effectifs après les opérations de maintien de l'ordre, afin d'assurer des retours d'expérience et de préparer au mieux les prochaines échéances. Enfin, il a fait le constat d'une violence qui est aujourd'hui répandue, non seulement en manifestation, mais qui est aussi de plus en plus fréquente à l'encontre des policiers sur la voie publique.
Pour Jérôme Foucaud, cette évolution de la violence et des comportements de manifestants d'un "nouveau genre" justifie de faire appel en priorité à des personnels spécialisés. "On ne peut pas demander à un fonctionnaire lambda de faire preuve de résilience", a-t-il expliqué. Alors que, selon lui, les personnels spécialisés sont habitués aux insultes, aux jets de projectile et à la confrontation physique.
Frédéric Péchenard, ancien directeur général de la police nationale (entre 2007 et 2012) et actuel vice-président Les Républicains du Conseil régional d'Île-de-France, a pour sa part été auditionné dans la matinée. Il a notamment questionné l'usage du lanceur de balles de défense lors des manifestations. Une prise de position qui va, dans une certaine mesure, dans le sens de celle exprimée par la Défenseure des droits, Claire Hédon, avec des termes toutefois plus policés. Pour lui, si cette arme de force intermédiaire est "absolument nécessaire" dans un contexte de violences urbaines, elle est "moins intéressante", voire "peu judicieuse" en maintien de l'ordre.
Dans les manifestations, ces armes intermédiaires doivent être "efficaces, mais ne doivent pas causer des dégâts irréversibles ou gravissimes", a pointé Frédéric Péchenard. Rappelant que le lanceur de balles de défense est suspecté d'avoir causé de multiples blessures, notamment lors du mouvement des gilets jaunes, l'ancien DGPN a estimé que les responsables policiers et politiques ont "la responsabilité de se pencher sur l'existence de ces armes intermédiaires et de faire une balance précise entre leur efficacité et leur dangerosité". "Il y a des choses qui ne sont pas acceptables par la population", a-t-il ajouté, appelant à une évolution de l'équipement des policiers.