Lutte contre les violences intrafamiliales : un rapport parlementaire formule 59 propositions

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par Soizic BONVARLET, le Jeudi 11 mai 2023 à 16:50, mis à jour le Lundi 22 mai 2023 à 12:59

Missionnées par Elisabeth Borne, la députée Émilie Chandler (Renaissance) et la sénatrice Dominique Vérien (Union centriste) ont remis leur rapport intitulé "Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales" au ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, et à la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Rome. 

Déclarée Grande Cause du quinquennat par Emmanuel Macron le 25 novembre 2017, la lutte contre les violences faites aux femmes a parfois été jugée insuffisante, faute de moyens, par un certain nombre d'associations et de collectifs féministes. Missionnées par la Première ministre, la députée Émilie Chandler (Renaissance) et la sénatrice Dominique Vérien (Union centriste) finalisent actuellement un rapport consacré au traitement judiciaire des violences intrafamiliales. 

A l'issue de la mission qu'elles ont menées, les parlementaires estiment que le Grenelle contre les violences conjugales, qui s'est tenu du 3 septembre au 25 novembre 2019, "[a permis] depuis une mobilisation inédite des acteurs publics et associatifs". Mais elles constatent que "le développement de la politique de lutte contre les violences conjugales n’a cependant pas à ce jour eu un impact significatif sur l’ampleur du phénomène".

Car le nombre de victimes de violences conjugales signalées connaît une augmentation quasi-constante, comme le révèle les chiffres relayés par les co-rapporteures, passant de 152.981 en 2019 à 207.600 en 2021. Ces violences ayant provoqué 125 décès en 2020 (102 femmes et 23 hommes) et 143 décès en 2021 (122 femmes et 21 hommes). Pour ce qui est de l'augmentation du nombre de signalements, les rapporteures ne négligent pas les effets d'un phénomène vertueux lié à la libération de la parole qui s'exerce depuis quelques années, avec notamment des démarches de dépôt de plainte plus systématiques, et une "prise de conscience" globale de la société.

Émilie Chandler et Dominique Vérien notent également les progrès réalisés en matière de formation des acteurs de terrain, "dans l'accueil des victimes par les forces de sécurité intérieures", qui auraient également eu pour effet une augmentation du nombre d'enregistrements. Elles se félicitent du "déploiement d’unités spécialisées dans les violences intra-familiales", de la "création de postes d’intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie" et d'un enseignement spécifique "désormais obligatoire pour tous les élèves policiers et gendarmes".

Des dispositifs existants à renforcer

Le rapport constate une augmentation des recours aux dispositifs mis en place au cours des quinze dernières années, mais il note que leur emploi reste encore assez marginal en comparaison avec d'autres pays européens. C'est notamment le cas de l'ordonnance de protection, introduite par la loi du 9 juillet 2010, qui s'inspire de la procédure espagnole en vigueur depuis 2004, visant à protéger la victime de violences exercées par le conjoint ou l'ex-conjoint, notamment par des mesures d’éloignement.

Si le nombre de demandes d’ordonnances de protection a été multiplié par 3,6 entre 2011 et 2021, leur proportion reste beaucoup plus faible qu'en Espagne. Les co-rapporteures mettent notamment en cause des délais particulièrement longs qui peuvent s'avérer dissuasifs, et préconisent que l'ordonnance de protection puisse être délivrée dans les 24 heures suivant sa demande.

Émilie Chandler évoque également le rôle de la pédagogie, pour expliquer aux victimes les procédures afin de se signaler, mais aussi pour faire connaître davantage des dispositifs comme le téléphone grave danger, généralisé par la loi du 4 août 2014, ou le bracelet anti-rapprochement institué par la loi du 28 décembre 2019, tous deux étant largement utilisés en Espagne. Émilie Chandler, qui s'y est rendue dans le cadre de la mission, évoque "de bonnes choses", mais un modèle qui, pour différentes raisons, "n'est pas tout à fait transposable" à la France. À propos du modèle espagnol, la députée évoque notamment une "justice de l'urgence" très performante pour mettre les femmes à l'abri, mais qui est assortie de délais de sanction encore trop longs.

Intégrer le "contrôle coercitif" dans les signalements

Les co-rapporteures souhaitent également faire connaître la notion de "contrôle coercitif" pour l'intégrer peu à peu dans les procédures de signalement. Ce phénomène désigne les situations de contrôle excessif allant jusqu'à une privation de liberté. Émilie Chandler décrit ainsi le contrôle coercitif comme "ce qui précède l'emprise" et souligne que "dans quasiment tous les cas de féminicides en France, quand on creuse un peu, il y avait une situation de contrôle coercitif". S'il fait déjà l'objet d'une infraction pénale en Angleterre, pouvant être punie de deux ans d'emprisonnement, la députée Renaissance souhaite dans un premier temps l'intégrer dans la grille d'évaluation du danger complétée par les services de police-gendarmerie "qui permettra, au moment où le dossier arrivera sur le bureau du magistrat, qu'il ait une vision très complète de la situation depuis très tôt". 

Il s'agit pour la victime de prendre conscience du fait qu'elle est dans une situation anormale. se dire que non, ce n'est pas normal quE l'on me demande systématiquement où je vais, qu'il y ait une puce GPS dans mon téléphone, ma voiture, que l'on contrôle mes déplacements, mon travail, mes relations, mes dépenses. Émilie Chandler (Renaissance)

Émilie Chandler ne cache pas, par ailleurs, être à titre personnel "très favorable à la création d'un dispositif de sanction autour du contrôle coercitif sur le modèle de l'Angleterre".

Une meilleure prise en compte des enfants

Emilie Chandler et Dominique Vérien se sont également particulièrement penchées sur le sort des enfants dans les contextes de violences intrafamiliales. Elles préconisent ainsi d'appréhender les violences intrafamiliales au niveau du foyer et pas uniquement de la personne, et de faire évoluer judiciairement le statut de l'enfant dans ces situations, pour le faire passer de "témoin" à "victime".

"Être simplement témoin ne permet pas de bénéficier de la même protection que d'être victime, notamment quand on va jusqu'au procès pénal", fait valoir Emilie Chandler, pour qui l'enfant est victime à partir du moment où il vit dans un contexte au sein duquel des violences intrafamiliales s'exercent, quand bien même elles n'ont pas eu lieu directement sur sa personne, et même s'il ne les voit pas se déployer. Reconnaître ce statut de victime permettrait une meilleure appréhension de la place de l'enfant et des effets de ces violences sur son développement, mais aussi de lui octroyer plus de droits dans le cadre judiciaire. "Être victime, cela veut dire se constituer partie civile, ce n'est pas le même statut [que celui de témoin], cela veut dire pouvoir formuler des demandes, quelles qu'elles soient", plaide aussi Émilie Chandler. "La partie civile a des droits que le témoin n'a pas".

Les co-rapporteures préconisent aussi la généralisation des campagnes de sensibilisation aux violences intrafamiliales, la création d’un "pôle VIF" au sein de chaque juridiction, ainsi que d'un fonds interministériel dédié.

Avant même le remise du rapport au gouvernement, lundi 22 mai, la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Rome s'est notamment dite favorable à une prise en compte du contrôle coercitif par le système judiciaire.