L'Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi "visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques" du député Renaissance Marc Ferracci. Le texte développe le "testing" et permet de "sécuriser juridiquement la pratique du 'name and shame'".
L'Assemblée nationale veut se doter d'un nouvel outil pour lutter contre les discriminations. Les députés ont adopté mercredi, en première lecture, la proposition de loi "visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques" du député Renaissance Marc Ferracci (102 pour, 81 contre). "Nombreux sont nos concitoyens qui à force de se voir refuser l'accès à un emploi, à un logement, décident de changer de nom, de mentir sur leur âge ou sur leur adresse", a déclaré Marc Ferracci à la tribune de l'Assemblée nationale. "Les discriminations ressenties restent intenses dans notre pays (...) mais aussi les discriminations objectives", a-t-il ajouté.
Démontrer l'existence des discriminations requiert des actions spécifiques. Marc Ferracci
Concrètement, son texte crée un nouveau service "placé sous l’autorité du Premier ministre" dont la mission sera "d’œuvrer à la connaissance, à la prévention et à la correction des situations de discrimination". Cette compétence sera confiée à la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (Dilcrah), dont les attributions seront élargies.
Pour lutter contre les discriminations, la Dilcrah sera chargée de lancer des campagnes de "testing" : cette méthode consiste par exemple à soumettre à un employeur des profils comparables pour une demande identique en les différenciant par un unique critère susceptible d'entraîner des discriminations. Il peut s'agir d'un critère d'âge ou d'origine, d'une adresse, etc. Quand la réponse est différente en fonction des deux profils, alors la discrimination est caractérisée.
Deux types de campagnes seront lancées :
Les tests individuels sont admis par le code pénal et permettent d'ouvrir droit à réparation, tandis que les tests statistiques, qui se basent sur des candidatures fictives, ne peuvent être admis comme preuve dans le cadre d'un recours juridictionnel. "En revanche, la publicité des résultats (...) peut conduire à changer les comportements des acteurs", a expliqué Marc Ferracci.
Le texte prévoit donc de "sécuriser juridiquement" le principe du "name and shame" (nommer et faire honte, ndlr). Les entreprises qui auront eu des pratiques discriminatoires révélées par un test et qui refuseront d'amender leur processus de sélection pourront voir leur nom rendu public. Elles pourront également faire l'objet d'amendes administratives équivalente à 1% de leur masse salariale. L'amende sera portée à 5% en cas de nouveau test mettant en lumière des discriminations dans un délai de dix-huit mois à cinq ans.
Les entreprises mises en cause auront un délai de six mois pour lutter contre les discriminations découvertes par le "testing" en prenant les mesures adéquates via un accord au sein de l'entreprise ou en mettant en place un "plan d’actions après consultation du comité social et économique". Cette durée pourra être prorogée de trois mois "afin de favoriser la conclusion d'un accord". La mesure favorisant le "name and shame" a été soutenue par Jean-Félix Acquaviva (Liot), qui a estimé que "s'attaquer à l'image de marque est le meilleur moyen de faire réagir une entreprise".
Pour créer de la confiance entre les différents acteurs, le texte crée également un "comité des parties prenantes" qui participera à "l’élaboration de la méthodologie des tests de discrimination et émet[tra] des avis sur les suites devant leur être données". Il réunira notamment des parlementaires, des représentants d’organisations d’employeurs et d’organisations syndicales de salariés, des personnalités "indépendantes" ou encore un représentant du Défenseur des droits. Le président du Cese choisira les associations de lutte contre les discriminations qui participeront au comité.
"Cette proposition de loi concrétise la promesse faite par le président de la République de lutter plus efficacement contre les discriminations dans notre pays", a déclaré Bérengère Couillard. La ministre déléguée chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations a précisé que le texte s'inscrivait "dans le plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine 2023-2026 annoncé en janvier 2023 par la Première ministre".
Le soutien de l'exécutif au texte faisait peu de doutes : Marc Ferracci avait déposé un amendement au projet de loi de finances pour l'année 2024 visant à doter la Dilcrah de moyens supplémentaires. Le but : lancer dès le début de l'année prochaine des campagnes de testings, sans attendre l'adoption définitive de la proposition de loi. L'amendement a été incorporé au budget par le gouvernement, qui a choisi de le retenir dans le cadre de son usage du 49.3. Bérengère Couillard a indiqué mercredi que l'objectif était de tester 500 entreprises en 2024.
Le Rassemblement national a critiqué la proposition de loi, accusant la majorité de vouloir "faire un coup de com'" et de "dévoyer" le combat de la lutte contre les discriminations. "Ceux qui nous présentent [ce texte] aujourd'hui n'ont pas la volonté de combattre fermement par la voie judiciaire les discriminations", a expliqué Emmanuel Blairy (RN). L'élu a également dénoncé une "procédure de type inquisitoriale contre nos entreprises et nos administrations".
Du côté des Républicains, Raphaël Schellenberger a lui aussi dénoncé la proposition de loi, jugée "d'une complexité sans nom" et "particulièrement inopérante". Selon lui, le texte pose "une présomption de culpabilité quasi systématique sur les entreprises". Le député LR s'est également opposé au principe du "name and shame", qui "tend à se substituer à la justice" et à "transformer les administrations en juge".
A la tribune de l'Assemblée nationale, le député La France insoumise Carlos Martens Bilongo a fait part de sa propre expérience des discriminations, avant de qualifier la réforme de "trop timide, floue" et de "manquant d'ambition".
Par ailleurs, Frédéric Maillot (GDR) et Mariette Karamanli (PS) se sont opposés à la réalisation par la Dilcrah de "tests individuels à visée contentieuse" car cette "mission est assurée par la Défenseure des droits". Sur ce point précis, Marc Ferracci a expliqué que le nombre de tests individuels réalisés par la Défenseure des droits était "très faible" et que le travail de la Dilcrah serait "complémentaire" à celui opéré par les services de Claire Hédon. Finalement, les députés ont limité la capacité de la Dilcrah à mener ces tests individuels : cette nouvelle mission sera une expérimentation de trois ans.