Faciliter le travail des élus locaux au quotidien et harmoniser les relations entre Etat et collectivités territoriales. Tel est l'esprit du projet de loi 3DS (différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification) qui est examiné par l'Assemblée nationale en commission. Le texte a déjà été adopté et largement retouché et augmenté par le Sénat, notamment à propos de l'installation d'éoliennes et des conditions d'attribution du RSA.
Après moult rebondissements, le projet de loi "relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale" a enfin atteint l'Assemblée nationale. Le sort du texte a un temps été suspendu, notamment en raison d'un calendrier législatif contraint, mais l'Exécutif a finalement décidé de le porter sur les fonts baptismaux en mai dernier. Anciennement dénommé projet de loi "4D", le texte vise à simplifier ou clarifier les relations entre l’État et les collectivités territoriales, dans des domaines aussi variés que l'éducation, la santé ou l'environnement.
Cet opus législatif regorge par conséquent d'articles techniques, mais il comporte aussi des mesures qui touchent au quotidien des Français et à l'action publique locale. "La vision que je défends, c'est celle d'une loi utile, concrète, de terrain", a ainsi expliqué Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, auditionnée à l'Assemblée lundi 22 novembre. Le texte doit "simplifier partout ou c'est possible l'exercice des pouvoirs locaux, lever les normes trop contraignantes", a-t-elle précisé, démentant toute vision d'un "grand soir" de la décentralisation. "Les élus ne veulent pas d'un Big Bang, ils veulent de la stabilité, des moyens et un cadre sécurisant."
Au-delà des compétences supplémentaires qu'auront les collectivités concernant l'emploi, la formation, la préservation de l'environnement, se pose évidemment le financement de ces missions. L'Exécutif a tranché pour que les ressources attribuées au titre de compensation soient équivalentes aux dépenses consacrées à la date du transfert. Une vision que ne partage pas le Sénat, qui souhaite une réévaluation tous les cinq ans. Craignant que le coût réel de ces compétences supplémentaires ne s'envole dans le futur.
Déçus par un texte qu'ils jugent insuffisamment ambitieux, les sénateurs ont très largement enrichi le projet de loi, passé de 84 à 217 articles lors de son examen au Palais du Luxembourg. Classiquement, l'Assemblée nationale devrait procéder à un élagage de ce texe considérablement augmenté et revenir sur plusieurs dispositions introduites par le Sénat. "Aucune des mesures phares du projet de loi n'a toutefois été supprimée", a rassuré Jacqueline Gourault.
Il en va ainsi de la décentralisation des routes aux collectivités qui le souhaitent : départements, métropoles, mais aussi régions, dans le cadre d'une expérimentation de 8 ans. Plus de 10 000 kilomètres sont potentiellement concernés, soit 50 % du réseau national. Même chose concernant le transfert de petites lignes ferroviaires et de leurs gares aux collectivités qui en font la demande. Le Sénat a toutefois proposé d'avancer l'ouverture à la concurrence des lignes de RER en Île-de-France. Le gouvernement y était défavorable et la majorité porte un amendement de suppression de cette évolution.
Le projet de loi prévoit aussi que les collectivités puissent déployer et gérer des radars automatiques. Cette démarche pourra exclusivement se faire après avis du préfet.
Le projet de loi entérine la poursuite du développement du parc de logements sociaux, alors que loi dite "SRU" de 2000 doit s'éteindre en 2025. Elle impose aux communes importantes de disposer d'au moins 20 % de logements entrant dans cette catégorie. Un taux relevé à 25 % en 2013. Selon la ministre Emmanuelle Wargon (LaREM), quelque 1000 communes n'ont pas atteint cet objectif et près de la moitié ne devraient probablement pas pouvoir rattraper leur retard.
Le projet de loi comporte donc des instruments supplémentaires pour inciter ou sanctionner les mauvais élèves, largement atténués par le Sénat. Les conditions d'exemption et la prise en compte des logements concernés ont été également assouplies.
Autre axe porté par le texte : la modernisation des services publics afin d'améliorer l'expérience des utilisateurs. L'article 50 notamment, accélère le partage de données entre les différentes administrations et unifie la réponse de l'action publique. "L'une des complexités principales rencontrées par les usagers lors de leurs démarches, c'est de devoir fournir les mêmes données et les mêmes informations, encore et encore", a résumé Amélie de Montchalin. également auditionnée.
La ministre de la Transformation et de la Fonction publiques a réitéré son ambition de voir FranceConnect, dispositif qui sécurise la connexion d'un usager d'un service public, à l'ensemble des départements, intercommunalités et communes. Actuellement, le partage d'informations entre administrations est impossible, sauf dérogation. Le texte inverse ce schéma, dès lors que cela est bénéfique. À plus long terme, cela doit permettre aux citoyens concernés de bénéficier automatiquement des aides ou dispositifs auxquels ils sont éligibles, sans même qu'ils en fassent la demande. "Nous devons décloisonner l'action publique", a conclu Amélie de Montchalin.
Il s'agit de l'un des articles les plus controversés de la version du texte transmise par les sénateurs : ces derniers ont conditionné l’octroi du RSA par les départements à un certain niveau de patrimoine. Actuellement, seuls les revenus sont pris en compte. Les élus ont également renforcé les prérogatives de contrôle des départements.
Des débats animés devraient également avoir lieu concernant l'implantation d'éoliennes, quelques mois après ceux de la loi "climat et résilience". Les sénateurs ont en effet offert un droit de veto au maire pour toute installation de ces dispositifs — ainsi que des téléphériques urbains — sur la commune concernée. Un référendum local pourra être organisé. En outre, la région pourra réguler la distance minimale des éoliennes par rapport aux habitations : usuellement fixée à 500 mètres, cette distance pourra être modulée en fonction de la taille des éoliennes, via un coefficient multiplicateur.
Autre mesure proposée par le Palais du Luxembourg : autoriser l'abattage de loups dans les zones de protection renforcée. Autant de dispositions qui devraient disparaître dès l'examen en commission à l'Assemblée.
Parmi les quelques articles qui concernent spécifiquement les collectivités d'outre-mer, l'exécutif propose de créer à titre expérimental un état de "calamité naturelle", mis en œuvre par décret, à la suite de la survenue d'un aléa naturel particulièrement exceptionnel au sein de ces territoires. Il permettra de mieux coordonner la réponse des autorités et de limiter les freins administratifs pour faire face à la situation, a expliqué la rapporteure, Maina Sage (Agir ensemble). L'expérimentation, dont la gestation a été enclenchée à la suite de l'ouragan Irma de 2017, doit durer cinq ans.
Le projet de loi, auquel sera appliqué la procédure du temps législatif programmé, sera l'un des derniers textes majeurs du quinquennat. Son adoption en première lecture par l'Assemblée nationale est prévue au retour des fêtes, début janvier 2022.