Dans son rapport, rendu public mercredi 27 janvier, la commission d'enquête sur le maintien de l'ordre fait 35 propositions parmi lesquelles la restriction du lanceur de balles de défense (LBD) lors des manifestations. Un rapport attendu sur un sujet clivant alors que la question des violences policières a fait la une de l'actualité à la fin de l'année dernière.
La commission d'enquête "relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre", a rendu ses conclusions publiques, mercredi 27 janvier, après plusieurs mois de travail. Des conclusions très attendues, tant le sujet de la gestion des manifestations a cristallisé les tensions et les interrogations dans le sillage du mouvement des "gilets jaunes" et alors que le débat sur les violences policières a été relancé en fin d'année dernière suite au passage à tabac, enregistré par une caméra de vidéosurveillance, d’un producteur de musique, par plusieurs policiers, à Paris. Et ce jusqu'au plus haut sommet de l'État. Lors d'une interview accordée au média en ligne Brut, le président de la République, Emmanuel Macron, a reconnu, en décembre, l'existence de "violences policières", pour la première fois, tout en faisant part de sa méfiance envers un "slogan politisé".
Le président de la commission d'enquête, Jean-Michel Fauvergue (La République en marche), récuse pour sa part le terme, comme il l'explique en préambule du rapport. Pour l'ancien chef du Raid, l'unité d'intervention de la police nationale, cette notion implique l'existence de violences systémiques. Le rapporteur lui-même, le député socialiste Jérôme Lambert, semble douter de sa pertinence, lui préférant la formule "violences policières ayant un caractère illégitime pour certaines d’entre elles".
Lors de la conférence de presse de présentation du rapport, organisée ce mercredi, Jean-Michel Fauvergue s'est félicité de l'unanimité trouvée par les membres de la commission sur les propositions retenues. Et ce malgré le caractère "irritant" du sujet.
La publication du rapport parlementaire intervient alors que le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin a lancé lundi 25 janvier le "Beauvau de la sécurité", grande consultation sur la police et la gendarmerie qui démarrera véritablement le 1er février, et qui doit permettre de réformer, au moins en partie, le fonctionnement des forces de l'ordre. Le ministère de l'Intérieur pourra par conséquent, en matière de maintien de l'ordre, s'emparer des préconisations effectuées par les députés. Ces derniers proposent d'ailleurs de profiter de cette occasion pour entamer la réforme du code de déontologie des deux forces, police et gendarmerie.
Parmi les mesures phares du rapport, figure la fin de l'usage du lanceur de balles de défense (LBD) en manifestation, dès lors qu'une foule est en mouvement, "sauf en cas de grave danger ou d'émeute". Accusée d'être à l'origine de nombreuses mutilations de manifestants, cette arme intermédiaire devrait donc, selon le rapport de la commission d'enquête, être utilisée seulement en dernier recours, et sur des individus isolés.
L'usage du LBD peut malheureusement être nécessaire aux forces de l'ordre dans certaines situations. Jérôme Lambert, député PS
Il s'agit là d'une demande récurrente portée par le Défenseur de droit et les ONG de défense des droits humains, telles qu'Amnesty International. Devant les polémiques entourant le lanceur de balles de défense, la place Beauvau avait d'ores et déjà décidé de conditionner son usage à la présence d'un superviseur en plus du tireur, dans le cadre de la publication du "Schéma national du maintien de l'ordre". Les syndicats de police défendent toutefois l'utilisation du LBD et des armes de force intermédiaire par la nécessité de disposer d'un moyen de défense, autre que celui des armes à feu.
Le LBD est d'ailleurs souvent employé dans le cadre de la gestion des "violences urbaines" par des unités non-spécialisées en maintien de l'ordre, comme les brigades anti-criminalité (BAC). Largement utilisées lors des manifestations de "gilets jaunes", pour compenser le manque d'effectifs de CRS, de gendarmes mobiles et de compagnies d’intervention à Paris, ces unités ont été déployées sans bénéficier d'une formation initiale et continue suffisante. Les députés de la commission d'enquête préconisent de les équiper convenablement et de les former davantage dès lors qu'elles sont régulièrement déployées dans de telles opérations, mais jugent avant tout "essentiel de tout faire pour prioriser l’intervention des unités spécialisées" lors des manifestations.
Plus généralement, les élus pointent l'insuffisance de la formation des forces de l'ordre en matière de déontologie, et appellent à une évolution en ce sens.
Technique devenue emblématique du durcissement du maintien de l'ordre, la nasse, "encagement" ou encerclement est également dans le collimateur des députés. Cette opération, qui consiste à retenir des manifestants dans une zone précise, s'établit dans un cadre juridique "très incertain".
Les élus proposent d'y recourir uniquement dans le cas de manifestations "présentant des risques sérieux de débordements". Ils rappellent également que les points de sortie, destinés aux manifestants pacifiques, doivent être facilement identifiables. L'utilisation de cette technique avait notamment fait débat en novembre 2019, place d'Italie à Paris.
Les députés se prononcent également en faveur d'une évolution de l'inspection générale de la police nationale (IGPN), la "police des polices", qui est chargée d'enquêter sur les faits reprochés aux policiers et dont l'indépendance est remise en question par certains observateurs. Lors de son audition, le journaliste David Dufresne avait ainsi accusé l'IGPN d'être "une lessiveuse aux violences policières". Le chef de l'inspection est révocable à tout moment sur décision du directeur général de la police nationale, participant aux accusations de partialité qui entoure ce service.
Afin de mettre fin à ces soupçons, la commission souhaite que l'IGPN et son homologue pour la gendarmerie, l'IGGN, soient directement rattachées au ministère de l'Intérieur, sans pour autant en faire des structures indépendantes. En outre, elle propose d'ouvrir leurs rangs en y intégrant des représentants de la magistrature et de la société civile et d'autoriser leur saisine directe par le Défenseur des droits.
Lors de la conférence de presse, le rapporteur, Jérôme Lambert, a indiqué que soutenir un détachement strict des inspections du giron de la place Beauvau consisterait à "mettre la charrue avant les bœufs". "Nous proposons un pas important, réaliste", a-t-il ajouté, "J'ai jugé qu'il valait mieux faire des propositions qui permettent des avancées."
Les députés souhaitent également que davantage de publicité soit faite concernant les enquêtes réalisées par les inspections générales, tout comme aux suites disciplinaires et judiciaires données aux enquêtes. Il est "regrettable de ne pas disposer d’éléments chiffrés précis sur le taux de suivi des sanctions disciplinaires proposées par les inspections générales à l’autorité administrative", notent-ils.
En parallèle, les élus veulent favoriser le travail des observateurs lors des manifestations. Ils appellent ainsi à revoir le cadre juridique des "attroupements", afin de permettre à la presse d'assister aux opérations de dispersion, et proposent d'accréditer les observateurs envoyés par des associations.
Soulignant la difficulté qui se pose lors des enquêtes sur des faits de violence illégitimes commis par des représentants de forces de l'ordre, les députés s'attaquent à l'une des racines du problème : le non-respect du port du "RIO", le numéro d'identification qui doit être clairement visible sur l'uniforme d'un policier ou d'un gendarme.
Selon eux, ce phénomène "distille l’idée, dangereuse, d’une opacité délibérée dont le but serait de dissimuler un usage disproportionné de la force par les policiers et les gendarmes". Rapportant une certaine "complaisance de la hiérarchie à l’égard de ces pratiques", ils appellent à diligenter des "poursuites disciplinaires en cas de manquement délibéré".
Plusieurs axes du rapport ont pour ambition de renforcer l'efficacité du traitement judiciaire des plaintes rapportant des violences policières, notamment concernant les relations entre les magistrats et les policiers.
Afin d'éviter tout "obstacle à l’impartialité des enquêtes", les députés proposent de confier directement à un juge d’instruction les enquêtes réalisées dans ce cadre, et de créer des pôles spécialisés.
Plusieurs propositions font également la part belle aux nouvelles technologies afin de faciliter le travail des forces de l'ordre, dans la lignée de la proposition de loi relative à la sécurité globale, dont le co-auteur n'est autre que Jean-Michel Fauvergue. Ainsi, les députés de la commission d'enquête préconisent notamment le déploiement "massif" des caméras-piétons.
Ils se prononcent également en faveur de l'exploitation en temps réel des images captées par les caméras-piétons des agents. À l'heure actuelle, ces vidéos ne sont disponibles que sur réquisition judiciaire, et ne peuvent être utilisées dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre.
Dans le même ordre d'idées, les élus appellent à la mise en œuvre d'un "cadre juridique sécurisant" pour l'utilisation des drones. Là encore, la proposition de loi doit résoudre les difficultés qui entourent l'usage de cette technologie. Par deux fois, le Conseil d'État a condamné le recours à cette technologie par la Préfecture de police et ce mois-ci, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a sanctionné le ministère de l'Intérieur, qui continuait à les utiliser.
Véritable serpent de mer, l'utilisation de produits "de marquage codé", qui permettent d'identifier un délinquant avec un éclairage ultraviolet, est également mise en avant. Elle n'a pour le moment jamais dépassé le stade de la théorie.
En amont des propositions des députés, figure également un tableau d'ensemble des récentes évolutions des manifestations qui se caractérisent selon ce document par une "violence plus visible", avec la présence d'individus présents uniquement pour commettre des dégradations ou en découdre avec les forces de l'ordre.
Ce tournant remonte aux manifestations contre la loi Travail, en 2016. Par ailleurs, les manifestations sont de moins en moins déclarées en préfecture : ainsi, en 2019, 17 % des rassemblements parisiens n'avaient pas fait l'objet d'une déclaration préalable auprès de la Préfecture de police de Paris, pourtant obligatoire. Ce qui peut se révéler problématique dès lors que la manifestation dégénère, l'absence de communication entre les forces de l'ordre et les organisateurs étant préjudiciables.
Le travail mené par les élus de la commission pointe également les mutations engendrées par les réseaux sociaux et la "guerre des images" qui s'y déroule et qui "radicalise" les rapports entre forces de l'ordre et manifestants.