Au terme de débats techniques, parfois passionnés, les députés de la commission des lois ont adopté le projet de loi relatif à la réforme de la justice pénale des mineurs. Le texte doit désormais être examiné en séance publique à compter du jeudi 10 décembre. Certains professionnels du secteur demandent toujours le report ou le retrait de la réforme, la jugeant inapplicable.
Le projet de loi destiné à ratifier l'ordonnance de 2019 réformant la justice pénale des mineurs a franchi une première étape, mercredi 2 décembre 2020. Le texte, dont l'examen avait commencé la veille, a été adopté par les députés de la commission des lois. Les élus n'ont pas apporté de modification majeure à l'esprit de cette ordonnance, qui vient toiletter son aînée de 1945 en regroupant ses dispositions dans la partie législative d'un nouveau code de la justice pénale des mineurs. L'entrée en vigueur de la réforme est fixée au 31 mars 2021.
Durant la discussion, les députés ont débattu longuement sur certains points techniques, comme l'évolution du rôle du juge des enfants, l'audition libre, l'opportunité de la surveillance électronique dans le cadre de la détention à domicile ou de l'assignation à résidence.
Les élus ont décidé de renforcer les garanties d'un mineur dans le cadre de l'audition libre, en adoptant un amendement du rapporteur, Jean Terlier (La République en marche), qui supprime la possibilité d'exclure la présence de l'avocat dans cette procédure. Des dispositions similaires étaient proposées par les groupes socialiste, communiste et par Michel Zumkeller (UDI).
Les députés ont, en outre, décidé de renforcer le contrôle parlementaire de cette réforme, sur proposition d'Erwan Balanant (MoDem). Le gouvernement devra ainsi remettre aux élus un rapport dressant le bilan de l'évolution, dans un délai de deux ans après l'entrée en vigueur de l'ordonnance. Ce document doit permettre de remédier à d'éventuelles difficultés rencontrées.
Les députés ont aussi adopté un amendement de Yaël Braun-Pivet (LaREM) qui renforce l'amplitude horaire de l'interdiction d'aller et venir sur la voie publique prononcée à l'encontre d'un mineur dans le cadre d'une mesure éducative judiciaire. Ils ont également procédé à quelques modifications sur proposition du gouvernement, supprimant la possibilité de placer à l’aide sociale à l’enfance des mineurs condamnés et cela, éventuellement, jusqu’à leurs 21 ans.
Les élus ont débattu à de nombreuses reprises du rôle du tribunal de police dans la nouvelle réforme. Le député LFI Ugo Bernalicis a ferraillé, tout au long de l'examen du texte, afin de supprimer l’intervention de ce tribunal, le jugeant "inadapté" à la justice des mineurs. Une vision battue en brèche par le rapporteur comme par le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti. Les députés de la commission ont finalement permis au tribunal de police de prononcer des peines complémentaires, comme l’interdiction de conduire certains types de véhicule, en adoptant un amendement d'Erwan Balanant.
Les élus ont plus largement modifié certains points de procédure précis. Parmi eux, l'obligation du prononcé d’une mesure éducative judiciaire provisoire dès le placement du mineur en détention provisoire, sur proposition d'Alexandra Louis (LaREM). Ils se sont également prononcés en faveur de la possibilité de placer à l’aide sociale à l’enfance des mineurs déclarés coupables, durant la période de mise à l’épreuve éducative, jusqu’à leur majorité (amendement du gouvernement), ou encore de permettre au juge des enfants ou au président du tribunal pour enfants d’ordonner aux autres parties de se retirer au moment de l’examen de la situation personnelle du mineur (amendement du rapporteur).
Plusieurs points de tension ont émaillé les débats. Le ministre de la Justice s'est notamment vivement opposé à un amendement des Républicains, qui prévoyait de pénaliser les parents lorsqu'un mineur poursuivi ou condamné pour une infraction viole des obligations décidées par l'autorité judiciaire, et ce jusqu'à 30 000 euros d'amende.
Mais la crispation la plus forte a eu lieu lors d'un échange opposant Ugo Bernalicis et Éric Dupond-Moretti au sujet de l'enregistrement des auditions de mineurs, le ministre reprochant au député de sous-entendre que la police s'arrangeait pour que l'enregistrement ne fonctionne pas. "Vous êtes dans la suspicion permanente. Cela créé un vrai problème dans notre pays", s'est emporté le ministre. Pour calmer les esprits, la présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, a fini par décider de suspendre les travaux pendant cinq minutes.
En fin d'après-midi, Yaël Braun-Pivet (LaREM), a rappelé qu'un travail parlementaire sur le long terme avait eu lieu sur le texte, via la mise en œuvre d'une mission d'information réunissant tous les groupes. De ce fait, elle s'est opposée à la critique d'Ugo Bernalicis, qui se plaignait du sort fait à ses amendements et qui reprochait à la commission de n'être qu'une "chambre d'enregistrement". Une objection que le députée de La France insoumise a trouvée "minable". "Je vous demande de respecter ma présidence et de vous exprimer dans un langage courtois, c'est la moindre des choses que vous devez aux citoyens que vous représentez", a rétorqué Yaël Braun-Pivet.
Après un rassemblement, mardi, devant le palais de justice de Bobigny, la mobilisation des professionnels de la justice pénale contre le projet de loi s'est par ailleurs poursuivie par la publication d'une tribune. Dans le journal Le Monde, cette tribune signée par 120 associations et personnalités, appelle de nouveau au report de la réforme. Les signataires dénoncent une évolution "chronophage alors que les juridictions sont exsangues du fait de la pandémie". Ils demandent notamment aux parlementaires d'exiger "de voir des moyens éducatifs déployés pour qu’un éducateur n’ait pas plus de vingt-cinq jeunes à charge, au risque de n’en suivre vraiment aucun". Ces craintes ont été évoquées lors de l'examen du projet de loi.
Si vous attendez qu'il n'y ait plus de stock pour mettre en œuvre cette réforme, elle n'entrera jamais en vigueur. Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice
"Si ce projet est adopté, le juge des enfants n’instruira plus, le rôle du parquet sera renforcé, la nouvelle procédure ouvrira grandes les vannes vers le flagrant délit pour les mineurs. Un nouveau pas sera franchi pour rapprocher cette justice des enfants de celle des adultes", alertent en outre les auteurs de la tribune. "Ce projet a surtout comme objectif affiché de juger toujours plus vite, au détriment du travail éducatif pourtant essentiel pour un enfant en délicatesse avec la loi", estiment-ils. En parallèle, une pétition a été lancée par le collectif. Sans vraiment mobiliser pour le moment puisque moins de 150 personnes l'avaient signée jeudi 3 décembre au matin.