Législatives 2024 : cohabitation, coalition, gouvernement technique, instabilité... Quels scénarios pour l'après 7 juillet ?

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Matignon
par Soizic BONVARLET, le Vendredi 5 juillet 2024 à 14:04, mis à jour le Vendredi 5 juillet 2024 à 14:11

Alors que des scénarios de gouvernement technique ou de coalition sont évoqués par nombre de responsables politiques, à commencer par le Premier ministre, Gabriel Attal, qui plaide pour une "Assemblée plurielle", le Rassemblement national continue d'espérer obtenir une majorité absolue, ou presque, qui permettrait à Jordan Bardella de former un gouvernement de cohabitation. Tour d'horizon des configurations possibles avant le second tour. 

Cohabitation, gouvernement de coalition ou purement technique, en attendant le second tour des élections législatives dimanche 7 juillet, responsables politiques et spécialistes de la Constitution envisagent déjà les scénarios possibles et imaginables. Avec un risque non négligeable d'instabilité, qui pourrait s'avérer inédit sous la Vème République.

Majorité absolue et cohabitation ?

Compte tenu des députés déjà élus au premiers tour (76 l'ont été dimanche 30 juin), ou qualifiés pour le second, la majorité absolue (289 sièges sur 577) est :

  • Hors d'atteinte pour la coalition présidentielle Ensemble ;
  • Mathématiquement possible pour le Nouveau Front populaire, mais quasi impossible compte tenu des résultats du premier tour et de la configuration politique locale dans un certain nombre des 501 circonscriptions encore en jeu ;
  • Mathématiquement possible, mais improbable pour le Rassemblement national et ses alliés, en raison des nombreux désistements opérés pour lui barrer la route, même si tout dépendra des reports de voix qui suivront, ou pas, ces désistements. 

Une majorité absolue pour le parti de Jordan Bardella et ses alliés, grâce à l'appoint éventuel de quelques députés supplémentaires, provoquerait la quatrième cohabitation de la Vème République entre un Président et un Premier ministre de sensibilités politiques différentes. Et si, selon l'article 8 de la Constitution, il revient au chef de l'Etat de nommer le locataire de Matignon, il se voit contraint dans un contexte de majorité absolue qui n'est pas la sienne à l'Assemblée nationale, de nommer un Premier ministre issu de cette majorité, sous peine de voir le gouvernement immédiatement renversé par une motion de censure. 

Majorité composite et coalition, "union républicaine", ou... instabilité ? 

Dans l'hypothèse où le Rassemblement national serait la principale force homogène au Palais-Bourbon, mais trop éloigné de la majorité absolue pour prétendre gouverner, sans véritable majorité relative par ailleurs, certains envisagent la formation d'une majorité relative composite. Ce qui serait une expérience inédite depuis 1958 et pleine d'incertitudes.

Un gouvernement en situation de majorité relative est en permanence menacé par la censure, ce qui le contraint à nouer des accords texte par texte à l'Assemblée afin de pouvoir légiférer, voire à former une coalition. L'actuel Premier ministre a fait part de son souhait qu'une "Assemblée plurielle" émerge du scrutin du 7 juillet, "avec plusieurs groupes politiques de droite, de gauche, du centre qui, projet par projet, travaillent ensemble au service de l'intérêt des Français".

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Invité du journal de 20 heures de TF1 le 1er juillet, Gabriel Attal avait estimé "qu'à l'issue de ces élections législatives, étant donné le résultat, il y aura une gouvernance et une manière de fonctionner nouvelle". La maîtresse de conférences en droit public à l'Université de Rouen, Anne-Charlène Bezzina, confirme : en l'absence de cohabitation, "tout le monde va devoir travailler ensemble, il va falloir inventer quelque chose qu'on ne connaît pas", quitte à "heurter la culture constitutionnelle française" en dissociant système de gouvernance et fait majoritaire.

Dans un tel scénario, le président de la République pourrait opter pour un Premier ministre technique, suffisamment consensuel pour ne braquer aucune des formations politiques, par nature diverses, appelées à s'entendre pour légiférer, voire jouer une forme de stabilité et de continuité, au moins cet été, en laissant Gabriel Attal en poste à Matignon, afin de laisser à la situation politique le temps de décanter.  

Ces derniers jours, le président du MoDem, François Bayrou, a souhaité que les conditions soient réunies pour former un gouvernement d'"union républicaine, pour le salut public, pour reconstruire", tandis que le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand (Les Républicains), a appelé de ses vœux un "gouvernement provisoire", en référence au GPRF (gouvernement provisoire de la République française, ndlr) mis en place en juin 1944. Dirigé par le général de Gaulle au sortir de la guerre, il avait réuni ceux qui s'étaient opposés au régime de Vichy, des gaullistes aux communistes. "Cela rassemblera les hommes et les femmes de bonne volonté, capables de s'ouvrir sur un projet concret", a aussi espéré Xavier Bertrand pour la période à venir.

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Marine Le Pen, après avoir estimé que le RN avait "encore la capacité d'obtenir une majorité absolue", a apparenté le scénario de la coalition au "grand rêve d'Emmanuel Macron", à savoir "le parti unique, qui va de La France insoumise aux LR (...) contre la volonté du peuple". Cette entente est cependant loin d'être aisée, au regard de l'érosion du bloc dit central, qui risque de ne pas s’avérer assez fort pour jouer le rôle de pivot et de trait d'union entre des familles politiques situées aux antipodes de l'échiquier politique. Et pour cause, si le RN serait d'emblée exclu de cette coalition, et La France insoumise - n'en déplaise à Marine Le Pen -, peu encline à y participer, un accord qui réunirait des figures allant des communistes aux LR n'est pas acquis. Or en l'absence d'accord politique transpartisan, c'est le scénario d'un gouvernement purement "technique" qui pourrait être envisagé, gérant les affaires courantes du pays sans marge de manœuvre pour le réformer.

En l'absence de coalition, un gouvernement purement technique ?

"Sans majorité absolue, nous aurons une Assemblée divisée, et vous savez quoi ? C'est ce que nous avons depuis cinq ans au Parlement européen", a fait valoir Raphaël Glucksmann au micro de France inter jeudi 4 juillet, prédisant "une transformation de la France en démocratie parlementaire."

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Des propos qui résonnent avec ceux tenus par Gabriel Attal la veille, selon lesquels : "À l'issue de ce deuxième tour, soit le pouvoir sera entre les mains d'un gouvernement d'extrême droite, soit le pouvoir sera au Parlement. Moi, je me bats pour ce deuxième scénario". Tout en plaidant pour une "Assemblée plurielle" pour assurer l'essentiel et tenter de dégager des majorités de projets, le chef du gouvernement a fermé la porte à l'hypothèse d'une coalition en tant que telle : "Je ne vais pas imposer aux Français une coalition qu'ils n'ont pas choisie", a-t-il expliqué.

Dans cette hypothèse donc, pas d'accord de gouvernement, dont le rôle se bornerait à la gestion des affaires courantes, et un pouvoir exercé par le Parlement qui pourrait légiférer au travers d'alliances nouées texte par texte. Un tel gouvernement dit "technique" devrait revêtir un caractère "complètement apolitique" selon Anne-Charlène Bezzina, et être exclusivement composé de "personnalités non irritantes", afin d'être en mesure de "tenir la censure" à distance. 

"Je crois bien plus au gouvernement technique que d'unité nationale, faute de véritable unité et sans savoir qui accepterait de se mettre autour de la table", indique aussi la constitutionnaliste. Elle juge cependant ce scénario "à l'italienne", toute comme celui de la coalition "à l'allemande", difficilement transposable à la France dans le contexte actuel. "On peut imaginer que même avec 220 à 240 sièges, le RN présente quelqu'un à la tête du gouvernement, quitte à attendre une censure", avance-t-elle. Manière pour le RN de montrer qu'il est prêt à gouverner, avant d'arguer qu'il en est empêché en cas de renversement. "L'idée que le système empêche le groupe majoritaire de gouverner pourrait encore imprimer dans l'opinion", estime Anne-Charlène Bezzina. Cette semaine, Marine Le Pen a cependant fixé à 270 députés le seuil à partir duquel Matignon serait envisageable pour son parti. 

Si le blocage l'emporte, il pourrait durer et la situation politique s'enliser, la Constitution ne permettant pas de dissoudre à nouveau l'Assemblée nationale avant un an