Dans une circonscription des Hauts-de-Seine traditionnellement acquise à la droite, quatre candidats se disputent la légitimité de succéder à Stéphane Séjourné, désormais commissaire européen. Alors que ce dernier avait bénéficié d’un large rassemblement lors des législatives anticipées de l’été dernier, l'offre de candidatures issues de la coalition présidentielle et de la droite est particulièrement éclatée avant le 1er tour qui aura lieu dimanche prochain.
Echarpes blanches autour du cou, des militants tractent pour un candidat, sous une petite pluie fine. Non loin, un kakémono à l'effigie d'une candidate tente de se maintenir droit, malgré le vent, quand un autre est rapidement déployé, et accroché, juste en face par l'équipe d'un concurrent. Quelques minutes plus tard, un vélo cargo siglé au visage d'une prétendante s'engage boulevard Jean-Jaurès. Vendredi, c'était jour de marché à Boulogne-Billancourt.
Et dimanche prochain, le 2 février, ce sera jour d'élection. Après le départ de l'ex-député Stéphane Séjourné, devenu commissaire européen, la 9e circonscription des Hauts-de-Seine doit désigner son nouvel élu à l'Assemblée nationale. Dans la dernière ligne droite avant le 1er tour, chaque camp veut faire entendre ses arguments.
Les électeurs ont l'embarras du choix. Pas moins de onze candidats se présentent, avec une particularité par rapport à juin 2024 : l'éclatement du "socle commun", l'expression inventée pour désigner l'éventail de partis soutenant le gouvernement Barnier. Sur la ligne de départ : Elisabeth de Maistre (Les Républicains), dont le suppléant n'est autre que le maire de la ville, Pierre-Christophe Baguet ; Laurianne Rossi (Renaissance) ; Antoine de Jerphanion (Horizons) et Philippe Tellini (Nouvelle énergie). Tous se targuent du soutien d'une figure nationale, placée bien en vue sur les documents de campagne. Dans l'ordre : Bruno Retailleau, Gabriel Attal, Edouard Philippe et David Lisnard.
De quoi créer la confusion. D'autant plus qu'aucun de ces candidats n'était tête de liste de son camp il y a huit mois, lors des législatives anticipées. “C'est comment vous ?”, lance, un rapide coup d'œil vers les tracts, une habitante à Laurianne Rossi dans une allée du marché. Un peu plus loin, on entend : “Ces divisions, c'est dommage”. Ou encore : “On se pose beaucoup de questions.”
L'été dernier, Elisabeth de Maistre (LR) était la suppléante de Stéphane Séjourné. Elle se considère donc comme “la plus légitime". "Ma candidature est la suite logique”, explique l'adjointe au maire de Boulogne-Billancourt, café aux lèvres, avant de se remémorer le deal passé à l'époque, au niveau départemental, entre Les Républicains et Renaissance : “Séjourné devait être ministre et je devais siéger à l'Assemblée nationale. L'accord prévoyait que je sois dans le groupe LR.” Sauf que depuis... l'ex-ministre de l'Europe et des Affaires étrangères a rejoint la Commission européenne, provoquant une législative partielle.
Le fait que Stéphane Séjourné soit membre de Renaissance, parti qui revendique donc la circonscription ? "On n'est pas propriétaire d'une circonscription !", rétorque Elisabeth de Maistre. Encore moins, à ses yeux, quand il s'agit de Laurianne Rossi qui est "ancrée à Montrouge" (elle y est conseillère municipale) et "a perdu, il y a une semaine, son recours face à Aurélien Saintoul (député LFI, ndlr)" dans la 11e circonscription des Hauts-de-Seine, où elle était candidate en 2024. "Elle aurait fait comment si elle l'avait gagné ?", interroge sa concurrente.
"Aucun habitant ne m'a reproché d'être parachutée", répond Laurianne Rossi, qui répète aux passants qu'elle "habite Boulogne-Billancourt depuis 18 ans" – précision qui figure, en gras, sur son tract de campagne – et qu'elle "porte la candidature du bloc central". Regrettant "ces divisions" et confiant avoir "essayé de rassembler" jusqu'au bout, Laurianne Rossi met en avant son expérience de députée (de 2017 à 2022) et estime que sa connaissance des membres du gouvernement, ainsi que sa proximité avec Gabriel Attal, voisin de circonscription, lui donne "davantage de facilité et de capacité à défendre des projets".
À cette dispersion des candidatures de la droite et du centre s'ajoute une autre équation, celle des rivalités locales. Deux ex-adjoints, démis de leurs fonctions le 16 janvier, sont candidats, à savoir Antoine de Jerphanion (Horizons) et Philippe Tellini (Nouvelle énergie). Il faut dire que dans cette circonscription-ville, les enjeux municipaux ne sont jamais loin, à tel point que cette législative partielle ressemble, selon certains, à un tour de chauffe destiné à préparer la prochaine échéance. "C'est la municipale, avant la municipale ! Ils ne sont pas du tout concentrés sur les législatives", déplore Lauriane Rossi, qui avance qu'elle ne "sera pas candidate aux municipales à Boulogne" en 2026.
Philippe Tellini, proche du maire de la ville, Pierre-Christophe Baguet, quinze années durant, explique quant à lui être en rupture de ban depuis la candidature en 2024 de Stéphane Séjourné, alors soutenue par le premier édile, qu'il qualifie de "vieux monarque en fin de règne qui décapite ses fous". Et d'affirmer que c'est bel et bien lui qui aurait "dû être le candidat de la circonscription" en 2022 et en 2024. Il dénonce donc un "coup de poignard" du maire à son égard. Le tout assorti d'un désaccord farouche avec le projet de fermeture de la patinoire municipale.
"Entre Séjourné et Retailleau, c'est le grand écart !", tacle-t-il aussi à propos de la candidature d'Elisabeth de Maistre, représentante selon lui "d'une droite catholique extrêmement dure". À quelques mètres de là, à proximité de la halle du marché, une Boulonnaise, qui vient de refuser le tract d'Elisabeth de Maistre, prend celui de Philippe Tellini. "Ce qui m'a définitivement décidée, c'est le refus des tambouilles du maire, et l'opposition claire à La France insoumise", explique celle qui n'a pas soutenu la candidature de rassemblement de Stéphane Séjourné en 2024, préférant voter blanc.
Le rassemblement, Antoine de Jerphanion estime que c'est lui qui l'incarne. La preuve, selon lui, il fait équipe avec Virginie Mathot, sa suppléante, et tête de liste choisie par l'appareil national des Républicains en 2024. "Notre duo est à l'image de ce que devra être la présidentielle de 2027. On incarne cette unité de la droite ; les autres, c'est la division", affirment-ils en choeur, attablés à un café rue de Silly. Edouard Philippe n'a pas dit autre chose ce dimanche 26 janvier lors d'un meeting à Bordeaux. Evoquant notamment la partielle de Boulogne-Billancourt, l'ex-Premier ministre a dit regretter que "les candidats de l’espace central [soient] partis en ordre dispersé". Et d'ajouter, 2027 en ligne de mire : "Nous ne gagnerons que si se dessine un rassemblement au sein de l’espace central."
"Edouard Philippe est rassurant, il incarne une certaine stabilité. C'est celui qui correspond le mieux à Boulogne", poursuit Antoine de Jerphanion, qui fut un temps responsable des jeunes UMP dans cette ville des Hauts-de-Seine. À ceux qui l'accusent de viser l'élection municipale de 2026, il répond : "Chaque chose en son temps." Pour l'heure, lui et Virginie Mathot espèrent qu'une majorité de Boulonnais ne se retrouvera ni dans la candidature de la "parachutée" Laurianne Rossi, ni dans celle d’Elisabeth de Maistre, protégée du maire qu'ils estiment de plus en plus contesté.
À noter que Philippe Tellini et Virginie Mathot sont menacées d'exclusion par Les Républicains, lors du bureau politique qui aura lieu le 5 février, en raison de leurs candidatures contre la candidate investie par le parti, à savoir Elisabeth de Maistre.
Dans un bastion ancré à droite, ces divisions font des heureux. "Il est certain que cet éclatement nous profite", veut croire Matteo Giammarresi, le candidat du Rassemblement national, qui estime incarner "la seule véritable offre à droite". Les autres ? "Quatre options centristes", n'hésite-t-il pas à dire, souhaitant faire venir à lui les électeurs préoccupés par les questions de sécurité et d'immigration. Il moque aussi les divisions municipales : "Ils s'allient en 2024, et se divisent en 2025, ce sont des frères et soeurs qui se chamaillent."
À gauche, Pauline Rapilly-Ferniot verrait sa présence au 2nd tour comme une performance notable. À 29 ans, c'est déjà sa sixième campagne, dont trois législatives. Figure des réseaux sociaux, elle est la "maman", comme elle aime à l'indiquer sur X (ex-Twitter), du "Collectif Ibiza" connu pour son sosie de Jean-Michel Blanquer et ses happening durant la mobilisation contre la réforme des retraites, notamment. Membre d'Europe Ecologie Les Verts et investie par le Nouveau Front populaire, la candidate attablée dans un coffee shop 100% vegan, fait ses calculs : à Boulogne-Billancourt "le stock de voix de droite" culmine à 70% de l'électorat. Son objectif est donc de remobiliser les 10.500 électeurs qui s'étaient portés sur sa candidature en 2024 et de... croiser les doigts pour que "la division par quatre" des voix du centre et de la droite constitue le trou de souris qui lui permettra de se qualifier pour le tour suivant, qui aura lieu le 9 février.
Reste que, même dans "une ville qui vote bien" dixit plusieurs prétendants au siège à pourvoir à l'Assemblée nationale, le taux de participation à cette partielle demeure la principale inconnue. À quelques jours du scrutin, chacun s'imagine tirer son épingle du jeu. Esprit de victoire ou méthode Coué ? Dans quelques jours, la parole sera aux électeurs.
L'ensemble des candidats à l'élection législative partielle de la 9e circonscription des Hauts-de-Seine :
Laurianne Rossi (Renaissance), Elisabeth de Maistre (Les Républicains), Philippe Tellini (Nouvelle Energie), Antoine De Jerphanion (Horizons), Pauline Rapilly Ferniot (NFP-Les Ecologistes), Matteo Giammarresi (Rassemblement National), Nicolas Erwan (Parti Equinoxe), Anne-Laure Chaudon (Lutte ouvrière), Aloïs Lang-Rousseau (La France naturellement), Jean-Baptiste Layly, Marc Lesteven.