Alors que l'examen du projet de loi "relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement" commence mardi 1er juin à l'Assemblée, LCP revient sur le renforcement de l'arsenal antiterroriste depuis 2015. Pour faire face à la série d'attentats qui a frappé la France depuis l'attaque contre Charlie Hebdo, treize lois ont été promulguées ces six dernières années.
Pour la cinquième fois depuis le début de la législature, les députés s'apprêtent à examiner dans l'hémicycle un texte en lien avec la lutte antiterroriste. Les élus vont en effet débattre, à compter de ce mardi 1er juin, du projet de loi "relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement".
Un texte qui s'inscrit dans une logique récente d'inflation législative en la matière, l'année 2015 ayant marqué un tournant en la matière. Coup sur coup, plusieurs attentats vont amener l'exécutif à réagir en renforçant l'arsenal antiterroriste : les attaques de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes, puis les attaques de novembre 2015 perpétrées à Paris (Bataclan, terrasses) et à Saint-Denis (aux abords du Stade de France), cette deuxième vague d'attentats étant la plus meurtrière de l'histoire moderne française avec 131 morts et plus de 400 blessés.
En novembre 2015, quelques heures après les attaques, alors que différents hôpitaux de Paris continuent de gérer l'afflux important de blessés, le président de la République, François Hollande, annonce avoir pris deux décisions : la fermeture des frontières (a posteriori, l'exécutif corrigera cette annonce qui s'apparente en fait au rétablissement des contrôles aux frontières) et la mise en place de l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire. Cet instrument, utilisé lors de la guerre d'Algérie, n'a été utilisé qu'à de rares fois au cours de la Vème République, la dernière lors des émeutes dans les banlieues en 2005.
Surtout, ce régime dérogatoire, qui offre des prérogatives étendues au ministère de l'Intérieur et aux préfets, n'a pas vocation à être utilisé sur le temps long. Le 14 juillet 2016, François Hollande confirme sa levée programmée. Quelques heures après la prise de parole présidentielle, survient l'attentat de Nice sur la promenade des Anglais, qui cause la mort de 86 personnes.
Afin de ne pas desservir l'effort des forces de sécurité intérieure, l'exécutif doit revoir sa décision. L'état d'urgence est à nouveau prorogé par la loi, d'abord pour une période de six mois, puis jusqu'au mois de juillet 2017. Au cours de la campagne présidentielle de 2017, la promesse de la fin de l'application de ce régime d'exception est brandie par plusieurs candidats. Quelques mois après son élection, Emmanuel Macron annonce à son tour son désir de mettre fin à l'état d'urgence.
Pour autant, pas question de prendre le risque de subir un nouvel attentat. Afin de permettre la sortie de l'état d'urgence, l'exécutif présente un projet de loi qui permet d'introduire, à titre expérimental, certaines mesures exceptionnelles dans le droit commun (à savoir, les périmètres de protection, la fermeture administrative de lieux de culte, les perquisitions administratives et les mesures individuelles de surveillance, comme le "pointage"). Le 1er novembre 2017, près de deux ans après son entrée en vigueur. il est officiellement mis fin à l'état d'urgence, grâce à l'entrée en vigueur de la loi "Silt".
Le caractère temporaire de certaines mesures du texte pousse le Parlement à se pencher à nouveau sur leur utilité. Elles sont prolongées par la loi du 24 décembre 2020, qui repousse l'échéance de sept mois supplémentaires. Dernier texte antiterroriste à arriver devant le Parlement, le projet de loi examiné à compter de ce mardi vise notamment à pérenniser ces mesures.
En parallèle de l'état d'urgence, plusieurs textes de loi ont renforcé l'arsenal antiterroriste. La loi du 22 mars 2016 confie ainsi des prérogatives étendues aux agents de sûreté de la SNCF et de la RATP, notamment pour les fouilles de bagages, afin de contribuer à la sécurisation des transports en commun.
La loi du 3 juin 2016 est un texte à la portée large, qui entend renforcer la procédure pénale et la lutte contre le terrorisme. Elle confie aux juges et aux procureurs des moyens d'investigation renforcés (en matière de sonorisation de lieux privés, de perquisitions de nuit ou d'usage des "IMSI-catcher", des appareils de surveillance), durcit les conditions d'acquisition d'armes et crée une incrimination spécifique pour le trafic de bien culturel en provenance de territoires en guerre. Le texte renforce également la sécurisation des grands événements, quelques semaines avant la tenue de l'Euro 2016 de football sur le territoire.
La loi du 28 février 2017, relative à la sécurité publique, vise pour sa part à renforcer la protection des membres des forces de sécurité intérieure, quelques mois après le double assassinat terroriste de Magnanville (Yvelines). Le texte unifie également l'usage des armes des policiers, gendarmes et agents municipaux, et renforce les prérogatives des agents de sécurité privée et des policiers municipaux.
Enfin, à l'initiative de la présidente de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (LaREM), les parlementaires ont instauré un régime de sûreté à l'encontre des sortants de prison condamnés pour terrorisme. La loi du 10 août 2020 a toutefois été largement censurée par le Conseil constitutionnel.
Cet empilement de textes législatifs a été plusieurs fois critiqué par les députés de l'opposition de gauche depuis le début du quinquennat, ainsi que par plusieurs organisations de défense des libertés fondamentales. "2015 représente à la fois une continuité et un tournant en matière de législation antiterroriste", explique à LCP Jean-Marie Burguburu, président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). L'avocat met en garde contre le risque de pérennisation de l'usage des régimes exceptionnels à chaque fois qu'une menace émerge, ce qui constituerait une "dérive de la notion d'état d'urgence".
D'autant que si la mise en place d'un autre état d'urgence, sanitaire cette fois, semble avoir eu un rôle indéniable pour endiguer l'épidémie de Covid-19, son efficacité est, selon Jean-Marie Burguburu, plus discutable en matière de terrorisme. "C'est beaucoup plus difficile d'arriver à cette conclusion", estime-t-il. La nature de la menace elle-même a en effet évolué ces dernières années. La survenue d'attaques destinées à faire un grand nombre de victimes, comme en 2015 et 2016, s'est estompée, mais un terrorisme plus individuel continue à se manifester régulièrement. "Ce qui prouve que les mesures qui ont été prises n'ont pas été suffisantes pour l'enrayer", analyse l'avocat.
Selon lui, le gouvernement "dispose à l'heure actuelle de tous les éléments nécessaires pour protéger la population". "De la même manière qu'il va falloir vivre avec le risque sanitaire, le risque terroriste ne sera jamais nul, sauf à vouloir mettre en place une surveillance généralisée", ajoute le président de la CNCDH.
Parmi les dispositions visées, la loi "Silt" est celle qui concentre les critiques. Pour l'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation Patrice Spinosi, elle représente la "défaite" du droit français. Lors d'une table ronde organisée par l'Assemblée nationale en 2018, il a fait part de ses craintes sur l'utilisation "dévoyée" que pourrait faire un gouvernement des instruments offerts par le texte, qui rend de surcroît l'état d'urgence "inutile", dès lors que ses mesures les plus emblématiques ont été transposées dans le droit commun.
Auditionné par des députés européens en janvier 2018, l'ancien Défenseur des droits, Jacques Toubon avait lui aussi fait part de ses réserves, estimant que les évolutions de la législation antiterroriste française depuis 2015 avaient fait entrer le pays "dans une logique de suspicion". Selon lui, l'état d'urgence a peu contribué à déboucher sur des dossiers relatifs au terrorisme, mais a surtout permis aux services d'accélérer des affaires liées aux stupéfiants et aux armes, voire d'interdire la tenue de manifestations.
Dans ce cadre, le Parlement a un véritable rôle à jouer dans ses fonctions de contrôle de l'exécutif. Il a d'ailleurs immédiatement réagi en instaurant, dès novembre 2015 des organes de contrôle inédits de l'état d'urgence dans chaque Chambre, qui ont permis de dégager des statistiques précises dans l'utilisation des mesures prévues par le régime d'exception et de préconiser des améliorations.
Ce rôle s'est poursuivi après la promulgation de la loi "Silt", puisque le Parlement a continué de suivre l'exécution des mesures du texte, puis a insisté sur la tenue d'un véritable débat public en vue de leur pérennisation. "Le Parlement a réagi, utilement et visiblement", reconnaît d'ailleurs Jean-Marie Burguburu. "Il n'en reste pas moins que le gouvernement garde la main sur certaines prérogatives parlementaires", tempère le président de la CNCDH, qui évoque les nombreuses ordonnances prises par l'exécutif depuis quelques mois, notamment dans le cadre de la crise sanitaire.
Lors de l'examen du projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme en commission des Lois, les députés ont adopté un amendement transpartisan élargissant le contrôle du Parlement sur les dispositifs antiterroristes. Si cette modification-ci venait à figurer dans la loi, le gouvernement serait alors obligé de communiquer chaque année sur l'ensemble des mesures administratives mises en oeuvre et pas uniquement sur celles prises sur le fondement de la loi "Silt". Une manière de montrer que le Parlement souhaite continuer à jouer son rôle dans la recherche de l'équilibre entre la prévention et la lutte contre le terrorisme et le respect des droits et libertés fondamentaux.
Voici la liste chronologique des treize textes de loi à portée antiterroriste promulgués depuis 2015 :