Dans un rapport dévoilé mercredi, les députés Jean-Noël Barrot (Modem) et Jean-François Éliaou (LREM) demandent la création d'une "agence parlementaire d'évaluation" afin de contre-expertiser les projets du gouvernement et mieux chiffrer le coût des politiques publiques. Une révolution...
La confiance n'exclut pas le contrôle. Une maxime qui s'applique parfaitement au projet de Jean-Noël Barrot (MoDem) et Jean-François Éliaou (LREM). Dans un document publié mercredi, le président et le rapporteur du groupe de travail sur les moyens de contrôles et d'évaluation de l'Assemblée proposent de créer une "agence parlementaire d'évaluation" (APE).
Aussi byzantin que cela puisse paraître, les députés n'ont aujourd'hui aucun moyen, en propre, pour vérifier le coût de leurs propositions et des mesures proposées par le gouvernement :
Le Parlement demeure tributaire de l'administration, donc du pouvoir exécutif, pour obtenir l'information qu'il souhaite.Rapport du groupe de travail sur les moyens de contrôle et d'évaluation de l'Assemblée nationale
La création de cette APE permettrait donc de "contre-expertiser les projets du gouvernement et de vérifier la pertinence des politiques mises en œuvre", écrit Jean-Noël Barrot. Responsable du budget pour la majorité, Amélie de Montchalin (LREM) s'indignait elle aussi "du flou" qui règne actuellement pour voter en toute connaissance de cause les finances de l'État.
Lors de la présentation du rapport, mercredi, Jean-François Éliaou a précisé le rôle qu’aurait cette agence d’évaluation :
Pourquoi créer une agence parlementaire d'évaluation ? Pour contrôler, en amont, les projets de loi avant leur promulgation et, en aval, les effets des politiques publiques, explique @JFEliaou.#DirectAN #RéformesAN pic.twitter.com/XbYlZBJ0dy
— LCP (@LCP) June 20, 2018
Un tel organisme serait complémentaire de la Cour des comptes, qui fait déjà oeuvre utile pour éclairer le pouvoir législatif, mais ses analyses sont d'abord "centrées sur les coûts", note l'élu MoDem. Et les besoins des parlementaires, qui travaillent de plus en plus dans l'urgence, exigent selon lui d'obtenir un chiffrage rapide des propositions de l'exécutif.
Concrètement, les deux députés veulent recruter "une équipe dotée d'outils mobilisables à tout moment et capable en quelques jours de fournir des éléments d'appréciation sur un projet de loi, une proposition de loi ou un amendement". Le coût de cette agence se chiffrerait à 5 millions d'euros par an. L'équipe ne serait pas créée ex nihilo : une partie des effectifs de France Stratégie, celle qui s'occupe déjà de l'évaluation des politiques publiques, pourrait être transférée au Parlement.
En vitesse de croisière, l'APE compterait quarante personnes, principalement des analystes et des chercheurs, recrutés comme contractuels ou sur concours. Les premiers pourraient arriver dans les prochains mois, afin de travailler sur le Budget 2019. L'agence monterait en puissance en 2020 et pourrait être mobilisée sur tous les textes présentés par le gouvernement, mais aussi sur les propositions de loi des députés inscrites à l'ordre du jour.
Agence parlementaire d'évaluation : fin 2018, les premières "contre-expertises" des projets de loi de finances pourraient avoir lieu. En 2019, l'agence serait entérinée par la loi. En 2020, tous les PJL, les PPL et certains amendements en bénéficieraient.#DirectAN #RéformesAN pic.twitter.com/S4odLmPva4
— LCP (@LCP) June 20, 2018
Ponctuellement, les amendements aux conséquences économiques "substantielles" pourraient eux aussi bénéficier des projections de l'agence
Le pouvoir législatif français ne ferait là que rattraper son retard sur des pratiques qui ont cours de longue date à l'étranger. Aux États-Unis, le Congress Budget Office a réalisé l'année dernière 740 études de coût, avec un délai moyen de 15 jours. Elles sont toutes publiées intégralement sur Internet.
"Expertise non partisane", "transparence des méthodes de travail", "relations étroites avec le monde scientifique et universitaires"... Les auteurs du rapport égrènent les garde-fous à respecter pour faire accepter cet organisme qui pourrait, à l'avenir, être saisi par l'opposition :
Les exemples étrangers montrent tous que la crédibilité des instances d'expertise rattachées aux Parlements passe par une réelle autonomie de fonctionnement, par l'indépendance de leurs organes de direction et par l'impartialité et la loyauté des personnels qui les composent.Rapport du groupe de travail sur les moyens de contrôle et d'évaluation de l'Assemblée nationale
Le contrôle pourrait également s'exercer après le vote d'une loi, et plus généralement se pencher sur les effets d'une politique publique dont le champ est souvent plus large qu'un seul texte. Par exemple, l'état des lieux de la politique pénitentiaire ou la gestion du personnel dans le monde hospitalier.
Jean-Noël Barrot et Jean-François Éliaou proposent que majorité et opposition définissent chaque année un agenda des politiques publiques à contre-expertiser en priorité.
Enfin, le Sénat est invité à partager la paternité de cette nouvelle agence, dont le directeur pourrait le cas échéant être nommé conjointement par les bureaux des deux chambres.
Sur le plan pratique, une simple proposition de loi pour modifier l'ordonnance de 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires suffit à la création d'un tel organisme. Dans les faits, pour qu'il soit pleinement opérationnel, le projet des deux députés requiert en outre de changer la Constitution.
D'une part, pour imposer au gouvernement "un délai incompressible de quatre semaines" entre le moment où les lois de finances sont déposées puis examinées, afin de laisser le temps aux nouveaux cerveaux de l'Assemblée de faire leurs calculs.
D'autre part, les députés veulent que l'APE accède facilement aux données détenues par l'administration, Bercy en tête. "Les données, c'est le nerf de la guerre", a témoigné devant le groupe de travail le directeur parlementaire du budget du Canada, Jean-Denis Fréchette.
L'agence d'évaluation n'aura d'intérêt que si "deux verrous" constitutionnels sont levés dit @jnbarrot : forcer le gouvernement à déposer les lois de finances 4 semaines avant leur examen et exiger un accès du Parlement aux données des administrations.#DirectAN #RéformesAN pic.twitter.com/FTeFZUYxBb
— LCP (@LCP) June 20, 2018
Or, le pouvoir d'accéder à tous renseignements d'ordre financier ou administratif est aujourd'hui le privilège des présidents de commission et des rapporteurs généraux. Il faudrait amender la Constitution pour déléguer ce pouvoir aux "agents" du Parlement.
Un changement de pratique assez radical, dans la mesure où les administrations centrales sont loin d'être toutes gagnées par la culture du partage et de la transparence...
Le rapport l'écrit d'ailleurs noir sur blanc, avec un vocabulaire choisi :
La résolution des difficultés d'accès aux informations détenues constituera sans aucun doute la première préoccupation de l'agence parlementaire d'évaluation, d'autant plus qu'il lui faudra non seulement accéder aux données elles-mêmes, mais également aux équipes ayant développé ou utilisant les modèles permettant de les exploiter.Rapport du groupe de travail sur les moyens de contrôle et d'évaluation de l'Assemblée nationale
En mettant ainsi sur un pied d'égalité pouvoir législatif et exécutif, nul doute que les débats budgétaires prendraient alors une autre tournure.
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