Le Parlement acte la rénovation du débat budgétaire dès 2023

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Laurent Saint-Martin et Éric Woerth (à gauche et au centre), coauteurs des propositions de loi (2020, AFP)
par Jason Wiels, le Jeudi 18 novembre 2021 à 11:01, mis à jour le Jeudi 18 novembre 2021 à 16:59

Députés et sénateurs ont trouvé un accord pour moderniser le calendrier et la présentation des projets de loi de finances. L'objectif est aussi de mieux cerner et mieux contrôler l'évolution des dépenses programmées par le gouvernement. Deux propositions de loi destinées à mettre en œuvre cette réforme ont été définitivement adoptées par l'Assemblée jeudi 18 novembre. 

Aussi essentiel pour le fonctionnement de l'État que complexe dans son déroulement, le débat budgétaire vient de subir sa réforme la plus importante depuis 2001, date de l'adoption de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances). Deux propositions de loi (une organique et une ordinaire) pour "moderniser la gestion des finances publiques" ont en effet fait l'objet d'un accord entre députés et sénateurs lundi 15 novembre, en commission mixte paritaire. L'Assemblée a définitivement adopté ces textes jeudi 17, par 35 voix contre 5, lors d'un vote entre spécialistes du Budget.

Une procédure rationalisée

Les deux auteurs de la réforme, Éric Woerth (LR) et Laurent Saint-Martin (LaREM), respectivement président de la commission des finances et rapporteur général du Budget, se sont donné trois objectifs : faciliter le pilotage des dépenses de l'État, rendre plus transparents les documents budgétaires et muscler la place du Parlement dans les discussions des lois de finances. Pas de révolution, mais des retouches qui devraient simplifier tant les procédures que la vie des deux commissions des finances du Parlement.

Ainsi, le texte prévoit que les lois de finances et les lois de programmation pluriannuelle exprimeront à l'avenir les objectifs de dépenses "en milliards d'euros" plutôt qu'en points de PIB, avec des évolutions exprimées en pourcentage. Chaque programme présenté par les ministères, censé décliner leurs grandes missions, devra se doter d'une trajectoire de performance sur trois ans. Et le gouvernement devra justifier les "déviations" à ses propres objectifs de dépenses devant le Haut conseil aux finances publiques, avant le dépôt de son projet de Budget.

Autre changement important à la "Constitution financière" du pays, les deux députés ont voulu une meilleure lisibilité des ressources employées par chaque ministère. La présentation des crédits budgétaires, mais aussi des prélèvements sur recettes, taxes affectées et autres niches fiscales, devra être unifiée dans les documents budgétaires. Objectif : mieux comprendre ce que financent nos impôts et par quel biais.

Enfin, la présentation des grands équilibres budgétaires devra désormais faire la distinction entre les charges d'investissement et de fonctionnement, que les parlementaires pourront amender directement. Cette démarcation entre type de dépenses, parfois sujette à interprétation, permettra de "renforcer la dimension politique de cette discussion", assument les deux députés. La réforme s'appliquera à partir du projet de loi de finances 2023, qui sera présenté à l'automne 2022 par le prochain exécutif.

"Sans être le 'grand soir' de la réforme budgétaire, cette réforme améliorera l'examen des textes financiers et le contrôle parlementaire sur l'exécution budgétaire", a approuvé Jean-François Husson, sénateur LR. Le Sénat a proposé avec succès de regrouper l'examen des taxes affectées dans le seul volet recette des lois de finances et a obtenu le rendu par le gouvernement d'un rapport annuel sur les finances publiques locales.

Un calendrier repensé

La réforme propose aussi de simplifier le calendrier des rendez-vous budgétaires. Le débat d’orientation des finances publiques qui se tient début juillet à l’Assemblée sera fusionné avec le débat relatif au programme de stabilité, envoyé par Bercy chaque année à Bruxelles à la mi-avril. Le temps libéré pourrait permettre de consacrer un débat annuel à la dette et à son financement, "sujet capital s’il en est dans les années à venir", insiste le duo.

Le Printemps de l'évaluation est, quant à lui, inscrit dans la loi pour en pérenniser la tenue. Ce rendez-vous a été instauré sous la législature actuelle pour offrir aux rapporteurs spéciaux un autre moment - en plus de l'automne budgétaire - pour contrôler les actions et dépenses des ministères.

Les deux Chambres ont aussi entériné la possibilité pour les présidents des commissions des finances et pour les rapporteurs généraux du Budget de désigner un agent des impôts afin d'accéder "aux données couvertes par le secret statistique pour chiffrer les dispositions financières"

Des critiques à gauche

Cette dernière disposition a heurté la présidente du goupe Socialistes et apparentés, Valérie Rabault. L'ancienne rapporteure générale du Budget aurait souhaité une procédure plus encadrée sur le modèle de celle existant pour les chercheurs qui exploitent déjà les données de l'administration fiscale. "Les garanties ne sont pas là, je pense que cet article est dangereux", s'est-elle opposée. Alors que les modalités doivent être définies par décret, "les données dont nous parlons sont rendues anonymes", a voulu rassurer Jean-François Husson en commission mixte paritaire.

À la gauche de la gauche, si Éric Coquerel (LFI) comme Jean-Paul Dufrègne (PCF) ont acté des avancées dans la transparence, ils ont fustigé la création de la nouvelle norme fixant un objectif de dépenses publiques à chaque loi de finances. Les deux élus craignent l'élaboration d'un "cadre contraignant", propice à la mise en place de politiques austéritaires. "Ce n'est qu'un outil dont le pouvoir en place fera ce qu'il voudra, a plaidé Laurent-Saint Martin. La politique elle-même restera libre." Le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, a certes récemment remis sur la table l'idée d'une règle d'or budgétaire contraignante, mais une telle réforme nécessiterait un changement de la Constitution.