Philippe Latombe s'oppose à un article polémique du projet de loi de finances, qui permet à l'administration fiscale de collecter massivement les données publiques des internautes pour lutter contre la fraude et le travail au noir. Le député MoDem estime que la proposition ne respecte pas assez les libertés publiques.
Jusqu'où peut aller le fisc pour traquer les fraudeurs ? Aujourd'hui, les inspecteurs des impôts surveillent déjà de manière ciblée l'activité en ligne des Français soupçonnés d'avoir triché avec les impôts.
Demain, grâce à un article au projet de loi de finances 2020, les agents des services fiscaux et des douanes pourront utiliser des robots pour scanner les réseaux de manière automatisée. Un changement d'échelle mais aussi de méthode, puisque les données de Monsieur-tout-le-monde seront potentiellement aspirées et scrutées.
"L’article ne fait que prévoir l’usage de l’intelligence artificielle pour mieux cibler des contrôles, en exploitant des informations que les contribuables mettent eux-mêmes en ligne, ce que les agents des impôts peuvent déjà faire aujourd’hui mais sans les outils adaptés", justifie jeudi Gérald Darmanin dans Le Figaro.
Le ministre de l'Action et des Comptes publics précise que seuls le trafic illicite de marchandises comme les cigarettes, le travail au noir et la fraude à la domiciliation fiscale seront visés.
Mais cette expérimentation, prévue pour trois ans, suscite de vives critiques y compris dans la majorité. Philippe Latombe, qui s'est saisi de cette question au sein de la commission des lois, va même proposer de supprimer en séance une disposition qu'il juge en l'état attentatoire aux libertés publiques.
"Le vrai souci, c'est que le fisc va collecter des données de personnes qui ne sont absolument pas des fraudeurs fiscaux", déplore le député MoDem. De fait, l'administration fiscale va effectuer un "renversement de ses méthodes de travail", comme le remarquait la Commission nationale de l'informatique et des libertés dans un avis au vitriol contre l'article du gouvernement.
Le gendarme des libertés publiques juge également cette méthode de surveillance généralisée "susceptible de porter atteinte à la liberté d'opinion et d'expression" des personnes concernées.
Autre point noir selon les adversaires du dispositif, le champ des sites internet visés est beaucoup trop large. Actuellement, non seulement les sites type Le Bon coin ou Amazon et les "marketplaces" comme celle de Facebook sont visés, mais aussi les plates-formes de partage comme Youtube ou Dailymotion, ainsi que les chats et autres forums de discussion.
Un périmètre beaucoup trop large selon Philippe Latombe, qui a échoué à le restreindre aux seuls sites marchands jeudi en commission des finances.
La majorité a toutefois modifié à la marge cet article, sans remettre en cause la philosophie d'une surveillances par algorithme. Bercy ne pourra ainsi pas recourir à une entreprise sous-traitante pour traiter les données des internautes et ne pourra pas garder les données qui ne seront pas jugées "strictement nécessaires" au-delà de 5 jours (contre 30 dans le texte initial).
Des évolutions qui ne permettent pas cependant d'atteindre "un point d'équilibre entre libertés publiques et fraude fiscale", juge Philippe Latombe. Dans l'hémicycle, l'élu pourra compter sur le soutien des groupes Les Républicains, Socialistes et Insoumis et des élus Libertés et Territoires, qui s'opposent aussi à la mesure.
Enfin, comme l'ont révélé nos confrères de NextInpact, le Conseil d'État estime que l'article "ne relève pas du domaine de la loi de finances". Un cavalier législatif, qui pourrait être à ce titre censuré par le Conseil constitutionnel s'il est adopté définitivement. Le débat aura lieu dans l'hémicycle à partir de jeudi 14 novembre.