Les députés ont adopté en deuxième lecture, mercredi 9 février, la proposition de loi issue de la majorité "visant à démocratiser le sport en France". L'occasion pour Les Républicains de pointer ce qu'ils ont estimé être un manquement du texte en matière de laïcité, quand la majorité a répondu que son leitmotiv était d'encourager la pratique sportive pour le plus grand nombre.
Après l'échec des députés et sénateurs à s'accorder sur un texte commun en commission mixte paritaire, l'Assemblée s'est à nouveau penchée sur la proposition de loi "visant à démocratiser le sport, améliorer la gouvernance des fédérations sportives et sécuriser les conditions d'exercice du sport professionnel". En l'absence de Roxana Maracineanu, ministre déléguée chargée des Sports et testée positive au Covid, c'est la secrétaire d’État auprès du ministre de l'Éducation nationale, Nathalie Elimas, qui a représenté le gouvernement.
La ministre a défendu un texte participant à une réforme de la gouvernance sportive, citant notamment les mesures en faveur de la parité intégrale à la tête des fédérations, et la limitation à trois du nombre de mandats des présidents de fédérations, évoquant "une mutation vertueuse". Elle s'est également réjouie des mesures visant à "renforcer et sécuriser le modèle économique du sport".
Nathalie Elimas a en revanche déploré ce qu'elle a qualifié de "prise d'otage à des fins partisanes", faisant référence à la réécriture du texte par le Sénat afin d'interdire "le port de signes religieux ostensibles (...) pour la participation aux événements sportifs et aux compétitions sportives organisés par les fédérations sportives et les associations affiliées".
La ministre a été rejointe dans ses propos par la rapporteure du texte Céline Calvez (La République en marche), qui a regretté que le passage du texte au Sénat ait "installé de la confusion, de la division" et de "purs affichages". Elle a cependant également mis en avant des enrichissements introduits par la Chambre haute, comme la possibilité de prescription d'activités sportives pour les malades chroniques.
C'est Eric Ciotti (Les Républicains) qui a présenté la motion de rejet préalable de son groupe, déclarant que cette dernière visait plus "ce que ce texte ne contient pas que les éléments qui y figurent". Il a évoqué l'annonce d'une manifestation aux abords de l'Assemblée nationale "pour le hijab dans le sport", faisant référence à un match de football organisé par le collectif "les Hijabeuses" sur l'esplanade des Invalides qui n'a finalement pas eu lieu. Cette manifestation avait été frappée d'un arrêté d'interdiction de la préfecture, ensuite cassé par le tribunal administratif.
À propos de l'interdiction du port de signes religieux ostensibles lors des compétitions et événements sportifs, introduite par le Sénat, le député des Alpes-Maritimes a estimé que les députés, au nom d'un "flou juridique grave" avaient "collectivement le devoir de l’inscrire dans ce texte, en Républicains de tous horizons". En cas de non-adoption de la mesure, il a déclaré : "le quinquennat d’Emmanuel Macron s’achèvera avec un arrière-goût, un terrible arrière-goût de soumission face à l’islamisme", évoquant également "une tâche de honte".
Je ne sais pas si voulez devenir Premier ministre de Madame Pécresse, mais vous pourriez faire un bon Premier ministre de Monsieur Zemmour, car même Madame Le Pen ne voudrait pas de votre dureté politique. Pierre-Yves Bournazel à l'adresse d'Eric Ciotti
"Rompez avec l’esprit munichois qui prépare la soumission et le déshonneur", a conclu Eric Ciotti, avant d'être visé par les critiques de ses collègues. Régis Juanico (apparenté au groupe Socialistes) a ainsi parlé d'instrumentalisation et d'une "opération politicienne irresponsable". Mais c'est peut-être Pierre-Yves Bournazel (Agir ensemble), anciennement Les Républicains, qui a porté la charge la plus virulente. "Il y a cinq ans autour d’Edouard Philippe nous avons quitté LR", a-t-il ainsi relaté, "et quand on entend vos discours nous sommes très heureux de l’avoir quitté". Le député de Paris a poursuivi en faisant référence à l'actualité et à la campagne présidentielle par ces termes : "Je considère aujourd’hui que Monsieur Woerth et Madame Vautrin ont bien raison de quitter LR en entendant votre discours, parce que je ne sais pas si voulez devenir Premier ministre de Madame Pécresse, mais vous pourriez faire un bon Premier ministre de Monsieur Zemmour, car même Madame Le Pen ne voudrait pas de votre dureté politique".
Si la motion de rejet préalable portée par Eric Ciotti a été repoussée par 104 voix contre, 25 pour, le député est revenu à la charge via un amendement visant à rétablir l'article introduit par le Sénat. Ce dernier a également été rejeté. Gouvernement et majorité ont notamment argué que si "oui, le sport est confronté à la radicalisation", selon les mots de Nathalie Elimas, la loi "confortant le respect des principes de la République" du 24 août 2021 permet, par la mise en place des "contrats d’engagement républicain", de lutter contre ce phénomène dans le sport.
Pierre-Alain Raphan (La République en marche), également rapporteur du texte, a quant à lui interrogé : "Qu'est-ce qu'on va faire dans le football, quand des joueurs font un signe de croix en entrant sur le terrain, pour célébrer un but, ou quand ils ont des tatouages inscrivant la religion directement sur leur corps ? Expliquez-nous ce que vous voulez faire au lieu de viser uniquement un sexe et une religion !" Et Michel Larive (La France insoumise) de renchérir : "Est-ce-qu'il va falloir empêcher Neymar de se signer quand il va marquer un but ?"
"Vous êtes les complices de l'islamisme, et les Français jugeront", n'a pas hésité à déclarer Eric Ciotti à l'adresse des députés La République en marche auxquels il a reproché une convergence de vues avec La France insoumise.
Plusieurs députés de la majorité ont cependant soutenu, aux côtés des députés Les Républicains, un amendement porté par François Cormier-Bouligeon (La République en marche), proposant "d’instituer dans le code du sport l'obligation de neutralité afin de servir de base légale aux clubs et associations dans leur action". Gouvernement et commission ont émis un avis défavorable à cet amendement, qui n'a pas été adopté.
Outre les débats liés au port du voile, les députés ont assez longuement débattu sur un amendement présenté par Régis Juanico, et soutenu notamment par Marie-George Buffet (Gauche démocrate et républicaine), ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports, visant également à rétablir un article inséré par le Sénat. Pas question de signes religieux dans cet amendement, qui souhaitait que la négociation annuelle sur l'égalité professionnelle et la qualité de vie au travail porte également sur les mesures permettant de favoriser les activités physiques et sportives des salariés.
En revanche, un amendement proposé par Raphaël Gérard (La République en marche) a été adopté, visant à élargir l'obligation d'un enseignement contre les violences sexuelles au sein des cursus sportifs, introduite par le Sénat, à la lutte contre tout type de violences et de discriminations, et notamment celles qui ciblent les personnes LGBT+.
Les députés ont, un peu avant minuit, voté en faveur de la proposition de loi, à une majorité de 60 voix pour (10 contre). Elle devrait être adoptée définitivement et in extremis au cours de la dernière semaine de février, juste avant l'interruption des travaux parlementaires pour cause de campagne présidentielle.