Pour assurer le bon fonctionnement de l'institution, l'Assemblée nationale doit constituer son bureau composé vingt-deux membres. En théorie, le règlement Palais Bourbon prévoit d'y reproduire l'équilibre des forces politiques présentes dans l'hémicycle. Sans majorité claire, toutes les (re)configurations semblent possibles...
Il n'y a pas que l'exécutif qui doit trouver une autre méthode devant la nouvelle donne politique au Palais Bourbon. Le bureau de l'Assemblée nationale, qui décide du fonctionnement interne de l'institution – comme par exemple le déroulement des débats – doit se renouveler. Et la tache s'annonce périlleuse. D'ordinaire, la force majoritaire dans l'hémicycle s'octroie les postes stratégiques dans la limite des règles de l'Assemblée, qui prévoit une juste représentation des oppositions jusqu'alors minoritaires...
Aujourd'hui supérieurs en nombre, les députés d'opposition peuvent voir les choses en grand. Le premier test aura lieu mardi, avec l'élection du futur président de l'Assemblée nationale. Tout compte fait, le bloc présidentiel (Renaissance, MoDem, Horizons) devrait sauf surprise réussir à imposer sa candidate Yaël Braun-Pivet. Dès le lendemain, elle aura alors la charge de constituer le bureau de l'institution en composant avec les sept groupes de l'opposition (RN, LR, LFI, PS, EELV, PCF et ultramarins, ainsi qu'un hypothétique groupe d'élus indépendants, corses et d'Outre-mer).
L'ex-député Sylvain Waserman (MoDem), rapporteur de la réforme du règlement de l'Assemblée nationale en 2019, pense qu'il faut d'emblée mettre en place le bon compromis : "La mission de Yaël Braun-Pivet sera de trouver un consensus. C'est la bonne personne pour le faire... et la majorité a intérêt à un accord politique !" De fait, les tractations ont déjà démarré entre les groupes pour sonder les ambitions de chacun. En plus du perchoir, quelque vingt-et-un postes seront en jeu : six vice-présidents, trois questeurs et douze secrétaires.
Une vice-présidence permet à un groupe politique d'envoyer l'un des siens superviser les débats dans l'hémicycle. La questure ouvre la voie à la gestion du budget de l'Assemblée (environ 650 millions d'euros par an). Enfin, les secrétaires peuvent permettre de peser dans les décisions du bureau, qui se réunit au moins une fois par trimestre.
Inscrit noir sur blanc dans le règlement, un système de points est censé traduire le poids de chaque groupe politique afin d'encadrer ses prétentions. En tout, 35,5 points sont à distribuer sur la base de 4 points pour la présidence de l'Assemblée nationale, 2,5 points pour un questeur, 2 pour un vice-président et 1 pour un secrétaire. En 2019, fort de près de 20 points, Renaissance (ex-La République en marche) occupait la présidence de l'Assemblée nationale et deux vice-présidences, détenait les clés du budget du Palais Bourbon avec deux questeurs sur trois et comptait une armada de sept secrétaires.
Après les législatives et la perte d'environ une centaine de députés, le groupe vaut environ 11 points selon les calculs de LCP. Renaissance ne pourra donc pas prétendre garder à la fois le perchoir, une majorité d'élus à la questure et une ou plusieures vice-présidences. Fort de 90 députés (quasiment 6 points), le Rassemblement national pourrait sur le papier faire une entrée en force en obtenant jusqu'à un questeur, un vice-président et un secrétaire. D'autant plus que le règlement prévoit que la répartition des postes "s’effectue par choix prioritaire en fonction des effectifs respectifs des groupes". Le RN a donc le droit de "se servir" avant La France insoumise, troisième groupe politique, puis Les Républicains et ainsi de suite.
En cas d'échec des négociations mercredi matin, un deuxième scénario se profile, au résultat encore plus incertain. Toutes les fonctions qui n'auraient pas fait l'objet d'accord entre les formations, et pour lesquelles il y aurait donc plus de candidats que de places, seront mises au vote dans l'hémicycle. Un scénario qui pourrait se répéter chaque été, puisque l'instance est renouvelée tous les ans, sauf l'année précédent les élections législatives.
En 2017 déjà, un vote avait mis le feu aux poudres dès le début de la législature. Quatre candidats prétendaient à la questure. Thierry Solère, alors membre du groupe Les Constructifs, clairement identifié comme pro-Macron, avait ravi la troisième place à Éric Ciotti (LR), déclenchant l'ire de sa famille politique d'origine. L'épisode avait abouti à la sanctuarisation dans le règlement d'au moins une des trois places de questeur à l'opposition et à la formalisation du système de points.
Demain, dans un bureau où les voix des oppositions seront majoritaires, "on peut tout imaginer, prévient Sylvain Waserman. Les oppositions auront le pouvoir de réécrire intégralement le règlement." Surtout, si ces dernières s'estiment mal servies par le résultat des votes dans l'hémicycle, elles pourraient dégainer l'arme ultime en déposant un recours devant le Conseil constitutionnel, garant du pluralisme dans les instances de l'Assemblée nationale. Le feuilleton ne fait que commencer.