La mission d'information de l'Assemblée nationale "sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate" a rendu, mardi, ses conclusions : selon son co-rapporteur Jean-Baptiste Moreau (La République en marche), "le coût économique de l'arrêt du glyphosate va être important" pour les agriculteurs. Les parlementaires proposent donc de les accompagner encore davantage en créant un crédit d'impôt.
Ne pas "laisser les agriculteurs en situation d'impasse". La mission d'information "sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate" a rendu mardi ses conclusions. Instaurée en septembre 2018, celle-ci avait pour but de "suivre la transition" d'un monde agricole sommé de réduire drastiquement l'usage de cette molécule présente dans des herbicides et classée "cancérogène probable" en 2015 par une agence de l'OMS.
"On a voulu être le plus pragmatique possible, accompagner les agriculteurs, faire avec eux et pas faire contre", a expliqué lors d'une conférence de presse le député La République en marche Jean-Baptiste Moreau. Co-rapporteur aux côtés de son collègue Jean-Luc Fugit (LaREM), l'élu a précisé ne pas vouloir "poser d'interdiction abrupte".
Les débats passionnés sur le glyphosate ont souvent abouti, et cela est regrettable, à pointer du doigt les agriculteurs. Julien Dive, président de la mission d'information
La mission d'information, présidée par le député Les Républicains Julien Dive, propose donc d'accompagner davantage les agriculteurs, en créant notamment un nouveau crédit d'impôt en 2023 ou en rendant plus lisibles les nombreuses aides dont ils peuvent bénéficier.
Le chef de l'Etat Emmanuel Macron l'avait promis en novembre 2017 dans un message publié sur Twitter : "J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans."
Trois ans plus tard, le président de la République a reconnu son échec lors d'une interview accordée au média Brut : "Je n'ai pas changé d'avis, je suis pour que l'on sorte du glyphosate mais je n'ai pas réussi."
Mardi, lors de la conférence de presse, le rapporteur Jean-Baptiste Moreau a jugé que le délai visé par Emmanuel Macron en 2017 était "trop court" : "Le glyphosate est le produit le plus utilisé aujourd'hui, pas par plaisir mais parce qu'il est le plus efficace et le moins cher et trois ans c'était trop juste pour mobiliser la recherche."
Pour autant, l'usage du glyphosate baisse en France : "L’utilisation des produits phytosanitaires, dont le glyphosate, est interdite pour les collectivités depuis le 1er janvier 2017 et pour les particuliers depuis le 1er janvier 2019", rappelle Julien Dive dans l'avant-propos du rapport de la mission.
"Les usages non agricoles du glyphosate ont diminué de deux tiers depuis 2011 en raison des interdictions d’utilisation", notent les rapporteurs Jean-Baptiste Moreau et Jean-Luc Fugit. Cette baisse devrait encore s'accentuer dans les années à venir avec l'"interdiction du glyphosate le 1er juillet 2022 dans tous les lieux de vie (campings, terrains de sport, copropriétés, etc.)". Ces conclusions pourraient justifier des interdictions encore plus strictes, a estimé mardi le député La France insoumise Loïc Prud'homme.
Dès 2021, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ne délivrera plus d'autorisations de mise sur le marché (AMM) pour les produits à base de glyphosate si une alternative "non chimique" existe. Le nombre d'AMM, proche de 300 en 2016, est passé à "une trentaine aujourd'hui". "Par ces interdictions, est attendue une réduction de 60 à 80% des quantités utilisées", a expliqué mardi Jean-Luc Fugit.
Les rapporteurs veulent aller plus loin et "demandent à ce que les autorisations délivrées en 2020 par l’Anses puissent être revues d’ici 2022 en cas d’élément scientifique nouveau ou de découverte d’une nouvelle alternative".
Pour accélérer la transition, le gouvernement a promis en novembre dernier d'allouer sept millions d'euros supplémentaire à la recherche d'alternatives au glyphosate. Une somme qui s'ajoute aux 30 millions d'euros déjà prévus sur six ans, avait annoncé le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, lors de son audition par la mission d'information.
Mais dans certains cas, le glyphosate semble irremplaçable : Jean-Baptiste Moreau a estimé mardi de "5 à 10%" le taux "d'impasses techniques réelles", citant notamment "l'agriculture de conservation des sols".
Dans son rapport, le député évoque également le domaine de la viticulture : selon l'Anses, aucune alternative n'existe dans des vignes en forte pente ou en terrasse, ou dans des parcelles "aux sols caillouteux".
"Les agriculteurs ont conscience qu'il est désormais indispensable de faire évoluer les pratiques", a précisé mardi le président de la mission d'information, Julien Dive. Dans leur rapport, Jean-Baptiste Moreau et Jean-Luc Fugit reconnaissent toutefois que l'interdiction progressive du glyphosate créera des "surcoûts" parfois "conséquents" pour le monde agricole, "selon les types de culture et les pratiques culturales".
"Le coût total pour la filière céréalière française serait de 950 millions d'euros", a ainsi déploré Josiane Corneloup (Les Républicains). "Il est faux de penser que l'abandon du glyphosate permettra de créer de la valeur pour nos agriculteurs", a expliqué mardi Jean-Baptiste Moreau. "L'interdiction du glyphosate pèsera lourdement sur les exploitations agricoles", a ajouté le co-rapporteur.
Les agriculteurs devront ainsi "recourir à une main-d’œuvre supplémentaire, qualifiée et parfois rare" et devront "acquérir de nouveaux équipements mécaniques."
Le surcoût moyen annuel entre désherbage chimique et mécanique est estimé à 210 euros par hectare pour les vignes larges et à 408 euros par hectare pour les vignes étroites. Extrait du rapport
Comme le notent les rapporteurs, plusieurs aides existent déjà : plan Ecophyto II+, "fonds avenir bio", prime à la conversion des matériels anciens et peu performants, paiements pour services environnementaux...
Le Parlement est d'ailleurs en passe de voter un crédit d'impôt temporaire de 2.500 euros destiné aux exploitants qui renonceront en 2021 et en 2022 à désherber avec du glyphosate.
Mais les agriculteurs ont parfois du mal à s'y retrouver : "Il est temps maintenant qu'ils puissent identifier – à l’échelle de leurs exploitations – les crédits disponibles au niveau national comme au niveau de la future politique agricole commune", écrivent Jean-Baptiste Moreau et Jean-Luc Fugit. Les deux élus souhaitent donc qu'un "guide des aides" soit diffusé pour "clarifier et simplifier les démarches".
Ils proposent aussi d'"aller encore plus loin dans l'accompagnement des agriculteurs" en créant "un crédit d'impôt destiné aux agriculteurs se passant de glyphosate" à partir de 2023. Jean-Baptiste Moreau et Jean-Luc Fugit proposent aussi de créer un "guide du panel de formations existantes".
Lors de son interview par le média Brut, Emmanuel Macron avait estimé que la solution au problème du glyphosate passerait forcément par l'Union européenne.
Quand on veut lutter contre les pesticides, c'est l'Europe le bon niveau. Emmanuel Macron
Fin 2022, la Commission européenne se prononcera sur le renouvellement ou non de l'autorisation du glyphosate : selon Jean-Luc Fugit et Jean-Baptiste Moreau, cela sera l'occasion pour la France de "défendre une généralisation de l’interdiction de l’herbicide auprès des instances européennes".
Car l'absence d'harmonisation créerait, selon Jean-Baptiste Moreau, "des distorsions de concurrence qui mettront davantage à mal nos agriculteurs". Là aussi, cette interdiction se ferait "dès lors qu'il existe des techniques de substitution non chimiques satisfaisantes (...) avec un coût économique viable".
"Qu'adviendrait-il pour nos agriculteurs si par mégarde l'Union européenne reprolongeait une nouvelle fois l'agrément pour le glyphosate au-delà de 2022 ?", a néanmoins demandé Julien Dive.
Le rapport préconise également d'intégrer quatre parlementaires au comité d'orientation stratégique et de suivi Ecophyto, mais aussi "que les questions liées aux produits phytopharmaceutiques puissent être inscrites à l’ordre du jour de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques".