Le Sénat a voté en faveur de l'inscription dans la Constitution de la "liberté de la femme" de recourir à l'IVG : une formulation différente de celle votée en novembre à l'Assemblée nationale. Pour que le processus aboutisse, il faut désormais que les deux Chambres s'accordent sur une version commune pour demander aux Français de se prononcer par référendum ou que le gouvernement dépose un projet de loi sur le sujet.
Après l'Assemblée nationale en novembre, le Sénat s'est prononcé, mercredi 1er février au soir, en faveur d'une proposition de loi constitutionnelle prévoyant l'inscription de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Loi fondamentale de la République. Les sénateurs ont adopté un amendement de compromis du sénateur Les Républicains Philippe Bas, quelques mois après avoir rejeté une autre proposition aux objectifs similaires.
Un vote "historique" pour les députés Mathilde Panot (présidente du groupe LFI) et Aurore Bergé (présidente du groupe Renaissance), à l'origine de la proposition de révision de la Constitution lancée à l'Assemblée nationale en fin d'année dernière. Pour que le processus se poursuive, les parlementaires doivent désormais s'accorder sur un texte commun afin de provoquer un référendum sur la question. A moins que le gouvernement ne dépose un projet de loi sur le sujet, en vue d'une adoption par le Congrès.
Le texte adopté par le Sénat inscrit à l'article 34 de la constitution la phrase suivante :
La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. Amendement de Philippe Bas
La version sénatoriale, qui retient la notion de "liberté", est différente du texte voté le 24 novembre par les députés. L'Assemblée nationale a, quant à elle, retenu la rédaction suivante : "La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse." Les députés ont également choisi d'inscrire la constitutionnalisation de l'IVG dans un nouvel article 66-2. Un choix qui met ce principe au même niveau que l'interdiction de la peine de mort, inscrite à l'article 66-1.
Le texte adopté par le Sénat, lui, intègre la protection du droit à l'IVG à l'article 34 de la Constitution, dont le but est de déterminer ce qui relève de la loi. "Il s’agit concrètement de définir l’étendue de la compétence du législateur en matière d’interruption volontaire de grossesse pour protéger cette liberté de rang constitutionnel", écrit Philippe Bas dans son amendement.
"Moi, je ne trouve pas cela satisfaisant", a réagi jeudi Pascale Martin (La France insoumise), interrogée par LCP. L'élue, membre de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée, est la première signataire de la proposition de loi juste après les quatre présidents de groupe de la Nupes.
Selon elle, le vote du Sénat est une "victoire" mais la rédaction retenue par les sénateurs n'est pas la bonne : "Le mot 'liberté' est beaucoup moins fort que celui de 'droit'." Une impression partagée par la présidente des députés LFI et rapporteure du texte à l'Assemblée nationale, Mathilde Panot : "Nous sommes attachées au fait que l'avortement est un droit fondamental.
Ce n'est pas tous les jours qu'on modifie la constitution, il faut que ce qui y entre soit conforme à ce qu'on défend. Pascale Martin
Un travail sera donc nécessaire pour rapprocher les deux versions. Après le vote de la proposition de loi au Sénat, le texte doit maintenant revenir à l'Assemblée pour une nouvelle lecture.
S'ils veulent modifier la Constitution, députés et sénateurs vont devoir s'entendre sur une rédaction commune du texte. Pour aboutir, une proposition de loi constitutionnelle doit en effet être votée "en termes identiques" par l'Assemblée et le Sénat avant d'être obligatoirement soumise aux Français par référendum.
Toutefois, la voie du référendum ne fait pas l'unanimité. "Cela risque de faire resurgir les propos les plus abjects concernant l'avortement", craint Pascale Martin. En novembre dernier, l'élue LFI avait reçu par courrier un foetus en plastique assorti d'une lettre qualifiant l'IVG "d'acte sanglant par lequel il est mis fin à la vie d'un être humain".
Pour éviter le risque d'un débat qui dégénérerait, la députée espère que le gouvernement déposera un projet de loi sur le sujet. En effet, le président de la République peut, sur proposition de la Première ministre, prendre l'initiative d'une révision de la Constitution. Dans une telle hypothèse, le chef de l'Etat pourrait décider de faire valider la révision par un vote des députés et sénateurs réunis en Congrès plutôt que par un référendum.
"Ce serait beaucoup plus sain pour la société", estime Pascale Martin. Une procédure qui a aussi la préférence de Mathilde Panot : "Maintenant, c'est au gouvernement de prendre la main", estime la présidente du groupe La France insoumise à l'Assemblée. En effet, selon elle, un texte du gouvernement permettrait de se "donner du temps pour pouvoir travailler à la rédaction la plus ambitieuse et la plus inclusive possible".
Comme Pascale Martin, Mathilde Panot s'inquiète d'un débat référendaire qui "libérerait un temps de parole pour les mouvements anti-choix, avec des choses extrêmement violentes". Elle espère donc "éviter un débat assez nauséabond".
Une vision que ne partage pas tout à fait Aurore Bergé. "Je pense qu'il faut faire confiance aux Français et je pense que massivement, sur ces questions, ils ont envie que les droits des femmes soient protégés", a déclaré la présidente des députés Renaissance, mercredi soir sur LCI, en évoquant un éventuel référendum. Avant d'estimer que, si cela était nécessaire, il existerait "une majorité" au Congrès pour valider l'inscription de l'IVG dans la Constitution par la voie parlementaire.