A la demande du groupe Rassemblement national, une commission d'enquête "sur les ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères" va être créée par l'Assemblée nationale. La proposition présentée par le RN a été jugée recevable par la commission des lois, mercredi 30 novembre. Plusieurs députés ont cependant mis en garde sur un libellé trop large des faits et des acteurs visés.
Le 8 novembre dernier, Marine Le Pen avait indiqué à la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale, que son groupe souhaitait utiliser son droit de tirage annuel pour obtenir la création d'une commission d'enquête "sur les ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français". Comme c'est la procédure, la commission des lois a examiné, mercredi 30 novembre, la recevabilité de la proposition de résolution présentée par le Rassemblement national.
Dans son propos liminaire, nommé rapporteur sur ce dossier, Pieyre-Alexandre Anglade (Renaissance) a rappelé qu'il ne s'agissait pas, pour la commission des lois, de se prononcer sur "l'opportunité" d'une telle commission d'enquête, mais bien sur sa "recevabilité". C'est à ce titre que le député en a rappelé les trois critères : "Premièrement, la proposition de résolution doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publiques dont la commission doit examiner la gestion ; deuxièmement, la proposition de résolution ne doit pas porter sur des faits sur lesquels une commission aurait déjà conclu ses travaux depuis moins d'un an ; troisièmement, [elle] ne saurait porter sur des faits qui font l'objet d'une procédure judiciaire en cours". Pieyre-Alexandre Anglade a d'emblée fait savoir que les deuxième et troisième critères ne posaient pas de problème dans ce cas précis, avant d'émettre des "réserves" quant au respect du premier critère. Il a ainsi soulevé des risques de "dérive", d'"inquisition" propices à une forme de "règne du soupçon" généralisé, avant d'inviter le Rassemblement national à préciser "le champ et la méthode des investigations" que sa commission d’enquête comptait engager, et de la juger "juridiquement recevable mais avec de grandes réserves".
Le président de la commission des Lois, Sacha Houlié (Renaissance), a lui aussi suggéré au Rassemblement national de resserrer son objet sur des "faits déterminés", au risque dans le cas contraire de "chercher des choses qui n’existent pas", pouvant conduire à une "dénaturation du rôle du contrôle du Parlement". Cécile Untermaier (Socialistes) a également indiqué que c'était "la première fois" qu"elle se trouvait face à une commission d'enquête "aussi large dans son champ d’investigation". Enfin, Erwan Balanant (Démocrate) a évoqué des "critères juridiques qui ne sont pas vraiment maîtrisés" et jugé nécessaire que le périmètre de la commission d'enquête soit "recentré".
L'auteur de la proposition de résolution, Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national), a répondu aux inquiétudes de ses collègues par une métaphore marine, en lien avec ses origines boulonnaises : "En tant que natif de Boulogne-sur-mer, et descendant d'une grande lignée de pêcheurs et de marins, vous pouvez compter sur moi pour que les filets de la commission ne soient non pas dérivants et soumis aux quatre vents, mais très précis et très définis". "La largesse n'est pas l'imprécision", a-t-il également affirmé, avant de souligner que "l'ampleur des sujets qui sont apparus dans le débat public français, lancés d'ailleurs par tous les partis politiques, couvre un espace effectivement important".
La plupart des groupes a néanmoins considéré qu'il s'avérait légitime que le Rassemblement national puisse voir son droit de tirage satisfait, au nom des principes fondamentaux du Parlement. Aucun groupe ne s'est donc prononcé contre la mise en place de la commission d'enquête, même si certains, à l'instar de Jean-François Coulomme (La France insoumise), ont indiqué ne pas être dupes de l'intention du RN de "laver son honneur" au travers de cet outil. Jean-Philippe Tanguy ne s'en était d'ailleurs pas caché, le 27 octobre dernier, à l'occasion de la conférence de presse annonçant la volonté de son groupe de lancer une telle commission d'enquête. "Le but de cette commission est simple : mettre fin à cette manipulation démocratique à laquelle nous assistons depuis plusieurs années, avec une virulence et un cynisme particulièrement révoltants pendant la présidentielle, où sans aucun fondement, le Rassemblement national a été accusé de représenter les intérêts de puissances étrangères", avait ainsi déclaré le député de la Somme. Marine Le Pen avait contracté un prêt de 10,6 millions d’euros auprès d'une banque hongroise pour financer sa dernière campagne présidentielle, après avoir souscrit un prêt auprès d'une banque russe en 2014, justifiant ces emprunts par le refus des banques françaises.
"Peut-être peut-on souhaiter qu’à la fin, l’arroseur soit l’arrosé", a avancé la députée communiste Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine), avant de se prononcer à son tour pour que le RN puisse exercer son droit de tirage. Lors de sa conférence de presse du 27 octobre, Jean-Philippe Tanguy avait indiqué que la commission d'enquête pourrait notamment se pencher sur les relais d'influence de la Chine au Parlement, ou encore sur le rôle de la France dans le fait que le Qatar soit choisi pour accueillir la Coupe du monde qui a lieu actuellement.