Indépendance de la Justice : Taubira et Belloubet auditionnées à l'Assemblée

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Christiane Taubira et Nicole Belloubet à l'Assemblée nationale, le 9 juillet 2020
par Maxence Kagni, le Jeudi 9 juillet 2020 à 14:01, mis à jour le Jeudi 9 juillet 2020 à 17:48

Les deux anciennes ministres de la Justice ont longuement évoqué, jeudi, les remontées d'informations qui parviennent au locataire de la Place Vendôme, mais aussi le cas plus particulier de l'affaire Bismuth/Sarkozy. Christiane Taubira et Nicole Belloubet étaient auditionnées par la commission d'enquête de l'Assemblée "sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire", présidée par le député Ugo Bernalicis (LFI). 

La commission d'enquête parlementaire "sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire" a auditionné jeudi les anciennes ministres de la Justice Christiane Taubira (2012-2016 ; gouvernements Ayrault et Valls) et Nicole Belloubet (2017-2020 ; gouvernements Philippe).

Le travail de cette commission, présidée par le député La France insoumise Ugo Bernalicis, a été particulièrement scruté depuis l'audition de l'ancienne procureure du parquet national financier (PNF) Elianne Houlette. 

Jeudi, Christiane Taubira et Nicole Belloubet ont longuement évoqué la procédure de remontée d'informations dont sont destinataires les ministres en fonction Place Vendôme. Cette procédure a notamment été mise en lumière par l'affaire Urvoas : l'ancien ministre de la Justice (2016-2017 ; gouvernements Valls et Cazeneuve) a été condamné en septembre dernier par la cour de justice de la République pour "violation du secret".

Taubira défend son bilan

Auditionnée la première, Christiane Taubira a défendu son bilan, rappelant que c'est la loi du 25 juillet 2013 et une circulaire datant de 2014 qui ont permis de donner "un cadre légal explicite" aux remontées d'informations.

C'est dans cette loi qu'il est indiqué que les procureurs généraux peuvent faire remonter, de leur initiative ou à la demande du Garde des Sceaux, des informations. Christiane Taubira

"En quelques semaines, les remontées sont passées de près de 50.000 à 5.000", a expliqué Christiane Taubira.

Malgré les soupçons que peuvent faire naître une telle pratique, l'ancienne ministre de la Justice estime que ces remontées sont indispensables dans certains cas : affaires impliquant de nombreuses victimes, terrorisme, affaires médiatiques... Mais le cadre, qu'elle a elle-même fixé dans la loi de 2013, lui semble aujourd'hui trop large : "Objectivement, je crois que cela fait encore un peu beaucoup de remontées."

L'affaire Bismuth dont on lui a "cassé la tête"

"Certaines remontées d'informations mettent le Garde des Sceaux dans l'embarras", a expliqué Christiane Taubira. L'occasion pour elle de revenir sur l'affaire "cocasse" et "folklorique" Paul Bismuth/Nicolas Sarkozy, avec laquelle on lui a, selon ses mots, "cassé la tête". A propos des interceptions de conversations téléphoniques entre Nicolas Sarkozy et son avocat Me Thierry Herzog, Christiane Taubira avait été accusé d'avoir menti sur l'ampleur des informations dont elle avait alors disposé.

"Ce qui remonte, c'est ce qui est déjà fait", a martelé Christiane Taubira, qui réfute toute pression de son ministère, dans l'affaire Bismuth ou dans toute autre affaire. "Les magistrats ne demandent pas d'autorisation ou d'instruction, ils informent."

"Le jour où arrive l'information sur M. Bismuth, ce même jour arrive des tas d'autres informations", a expliqué l'ancienne ministre. "J'avoue que je n'ai peut-être pas consacré à l'affaire toute l'attention qu'elle méritait", a ajouté l'ancienne Garde des Sceaux.

"Je ne serais pas choquée que l'on dispense le ou la Garde des Sceaux d'avoir ces informations-là", a-t-elle conclu, en mettant toutefois les députés en garde face aux conséquences "en cascade" d'un tel choix.

Des tris successifs

Nicole Belloubet et Christiane Taubira ont expliqué qu'en réalité, les informations "remontent" dans un premier temps à la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), qui effectue un premier tri. La DACG transmet ensuite les informations au cabinet du ministre, qui effectue un second tri avant de transmettre au ministre lui-même. 

"Je n'ai eu que très peu de remontées, je n'en ai demandé que très rarement", a ainsi expliqué Nicole Belloubet aux députés, citant par exemple l'affaire des violences survenues récemment à Dijon.

Ensuite, ont expliqué les ministres, des informations peuvent être transmises au président de la République et au Premier ministre : "J'assume la responsabilité d'avoir transmis très peu de choses, mais d'avoir transmis lorsque c'était très sensible", a assuré Christiane Taubira.

"Le pouvoir politique a l'info pour ne pas être bouche bée lorsqu'on lui dit 'voilà il se passe telle chose", a-t-elle résumé. Nicole Belloubet a en substance tenu le même discours : "Je ne peux pas être moins informée que la presse ou que certains parlementaires."

L'ancienne Garde des Sceaux du gouvernement d'Edouard Philippe a notamment fait référence à la séance des questions au gouvernement du 23 juin lors de laquelle Ugo Bernalicis l'a interpellée sur l'affaire concernant le secrétaire général de l'Elysée Alexis Kohler, classée sans suite en 2019. "Manifestement, vous aviez plus d'informations que moi", a affirmé Nicole Belloubet, qui explique avoir demandé une remontée d'informations sur ce dossier à l'issue de la séance des questions au gouvernement.

"J'ai été informée de la perquisition qui a eu lieu à la France insoumise, après qu'elle ait commencée, parce que c'était un dossier très sensible", a aussi indiqué Nicole Belloubet qui souligne n'avoir pas demandé "récemment" d'informations sur la reprise des investigations concernant le nouveau ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, accusé de viol par une femme pour des faits remontant à 2009. Une affaire à propos de laquelle une enquête préliminaire a notamment été classée sans suite en 2018. 

Par ailleurs, devant la commission d'enquête, Nicole Belloubet a trouvé "très choquantes" les récentes révélations du journal Le Point dans l'affaire Sarkozy/Bismuth. Selon l'hebdomadaire, le parquet national financier a épluché les factures téléphoniques de plusieurs avocats de premier plan. A ce sujet, l'ancienne ministre a indiqué avoir demandé une remontée d'informations et avoir saisi l'inspection général de la Justice, qui rendra son rapport à la mi-septembre.