La fraude aux prestations sociales est un sujet qui fait régulièrement la une de l'actualité et dont l'ampleur réelle ou supposée fait souvent débat. D'où la volonté des députés Les Républicains, à l'origine de la commission d'enquête, d'étudier ce phénomène.
A l'issue de ses travaux, la commission, dont le rapport sera rendu public la semaine prochaine, met en avant un aspect qui aurait considérablement changé la donne, à savoir la dématérialisation croissante des relations entre les usagers et les organismes de protection sociale. Les membres de la commission d’enquête, issus des différents groupes de l'Assemblée, semblent en effet unanimes sur ce point : l’outil numérique est une aubaine pour les fraudeurs, notamment pour ce qui relève des fausses identités ou des créations d’entreprises fantoches. En outre, la dématérialisation de la fraude aurait pour corollaire son internationalisation croissante, ce qui occasionnerait des pertes colossales pour les organismes de protection sociale. Selon les parlementaires de la commission d’enquête, la lutte contre ce type de fraude serait donc une nécessité et cela, avant tout, afin de « défendre la solidarité nationale ».
Selon le rapporteur de la commission d’enquête Pascal Brindeau, les cas de fraudes aux prestations sociales concernent tout aussi bien les champs du travail, des allocations familiales que de la santé. Dans ce dernier cas, c’est la surfacturation d’actes de la part des praticiens eux-mêmes, qui a particulièrement retenu l’attention des députés de la commission d’enquête. Une suractivité déclarée entraînant une fraude caractérisée à l’Assurance maladie, qui fermerait les yeux, en raison de la faiblesse du montant de la rémunération de l’acte dans certains domaines de soins, la kinésithérapie, par exemple. "C’est un sujet sensible, reconnaît Pascal Brindeau. Mais nous avons souhaité faire preuve d’un état d’esprit de transparence tout au long de nos travaux".
La députée issue des rangs de LaREM Carole Grandjean, vice-présidente de la commission d’enquête, qui avait elle-même participé à une mission gouvernementale sur le même sujet en novembre dernier et qui avait avancé un chiffre de fraudes compris entre 13 et 45 milliards d’euros par an, ce que les organismes de protection sociale avaient contesté, pointe leur insuffisante connaissance du phénomène. "Je ne pense pas qu’il s’agisse de blocage, mais bien du fait que ces organismes n’ont pas l’information", déclare la députée de Meurthe-et-Moselle. "On est face à des systèmes d’information qui échappent à une vision globale, ne permettant pas le croisement des données entre les différentes administrations". Selon nos informations, parmi les chiffres tout de même avancés par la commission d’enquête, le rapport qui sera rendu public la semaine prochaine fait état d’une fourchette comprise entre 2, 4 et 6, 7 millions de cartes Vitale surnuméraires, par rapport à la population.
Toujours selon nos informations, le rapport de la commission formule quatre grandes recommandations, à commencer par la sécurisation du dispositif d’indemnisation du chômage partiel, afin d’agir contre le travail dissimulé, et la lutte contre la fraude documentaire et à l’identité. Il s’agirait pour ce faire de développer les outils de biométrie auprès des organismes sociaux, ainsi que la coopération entre ces derniers et les services de police judiciaire.
La deuxième préconisation majeure vise à faire en sorte que l'Etat se saisisse davantage de ce sujet en créant notamment une agence de lutte anti-fraude. Car si une mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) existe d’ores-et-déjà, le rapporteur souhaite aller plus loin, en assurant une coordination des données, mais également des moyens, notamment pour « appuyer les organismes de protection sociale en matière de formation de leurs agents »,
En complément de ce volontarisme politique, le rapport stipule en troisième lieu la nécessité de généraliser « une culture anti-fraude », au sein des organismes de protection sociale. Il s’agirait de créer un code de la répression de la fraude aux prestations sociales et de conférer aux agents de ces organismes des prérogatives communes à celles d’officiers de police judiciaire, leur permettant par exemple de procéder à l’audition de suspects.
Enfin, le rapport dresse un bilan des besoins spécifiques en fonction des différents organismes de protection sociale. En ce qui concerne la branche maladie, il préconise un contrôle accru des professionnels de santé. Pour la branche famille, le rapport prône la nécessité de sortir d’un système dit « déclaratif », en confiant aux agents des caisses de Sécurité sociale un pouvoir de contrôle, voire de production de preuves, notamment en cas de doute sur une situation de concubinage. Par ailleurs, selon nos informations, la branche vieillesse doit, indique le rapport, sécuriser le versement des prestations en dehors du territoire national en versant ces prestations, notamment les pensions de retraite, sur des comptes bancaires exclusivement français ou européens, et en organisant à échéance régulière des contrôles sur place.
La traduction législative d’un certain nombre de mesures prônées par la commission d’enquête pourrait avoir lieu dans le cadre des prochains projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale. En tant que représentante de la majorité, la députée Carole Grandjean a assuré mardi l’opposition de droite de sa volonté de poursuivre le travail en commun, dans l’hémicycle au cours des mois à venir, afin de mettre un frein à un phénomène qu’elle juge comme étant « aussi grave que la fraude fiscale ».