Créée en février 2020, la mission d'information sur le suivi de la fermeture de la centrale de Fessenheim a présenté son rapport ce mercredi. Fait notable, il est marqué par de nombreuses divergences entre le président de la mission, Raphaël Schellenberger (Les Républicains), et les conclusions du rapporteur, Vincent Thiébaut (La République en marche).
Dix-neuf mois d'auditions, des travaux perturbés par la pandémie de Covid-19 et, désormais, un différend politique entre son président et son rapporteur. Créée en février 2020, la mission d'information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim a rendu mercredi ses conclusions. La commission du développement durable a décidé de valider la publication du rapport du député Vincent Thiébaut (La République en marche).
Pour autant, le président de la mission, Raphaël Schellenberger (Les Républicains), ne semble pas partager l'ensemble de son diagnostic : dans un long avant-propos, l'élu dénonce ainsi la décision "irrationnelle" de fermer la centrale alsacienne, tout en pointant du doigt la responsabilité de l'ancien président de la République, François Hollande, ainsi que celle de l'actuelle majorité.
Plus nuancé, le rapporteur, Vincent Thiébaut, s'interroge dans son rapport sur les élus locaux hostiles aux fermetures de centrales : "Faut-il aujourd'hui se battre sur les dates et consacrer les forces collectives à les repousser ou bien faut-il se battre ensemble pour la reconversion des territoires ?" Avant de trancher : "La bonne réponse est évidemment la seconde."
Dans son introduction, Vincent Thiébaut reconnaît de nombreuses qualités à l'énergie nucléaire : "Le parc actuel de centrales permet de répondre aux enjeux de décarbonation, de souveraineté et [permet] de maintenir une des tarifications les plus basses de l'électricité au niveau européen", peut-on lire dans le rapport. Le député LaREM reconnaît en outre que le déploiement des énergies renouvelables "provoque de multiples débats", notamment sur leur "acceptabilité".
Pour autant l'élu valide les orientations de la politique gouvernementale, avec l'objectif de réduire la part du nucléaire à 50% du mix énergétique d'ici 2035, contre 75% aujourd'hui. Pour défendre ce choix il pointe ainsi "les risques de sûreté et de sécurité" de l'énergie nucléaire, les questionnements sur ses "impacts environnementaux" et évoque "les enjeux de continuité" – la crise du Covid ayant entraîné, en octobre 2020, l'arrêt de "près de 50% des réacteurs".
Le député La République en marche ne manque cependant pas de rappeler que la responsabilité de la décision de fermer Fessenheim incombe à la précédente majorité : "La fermeture de Fessenheim est, avant tout, le résultat d’une volonté politique, exprimée lors des élections présidentielles de 2012 par le Président de la République M. François Hollande". Quant au gouvernement actuel, Vincent Thiébaut salue son action sur le sujet : "La fermeture de la centrale fait l'objet d'un plan d'accompagnement, de revitalisation et de transition territoriale", explique le député, qui ajoute que "ce plan a été réalisé sous la direction de M. Sébastien Lecornu en 2018, en tant que secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition énergétique".
Dernier argument, le rapporteur émet également des doutes sur la viabilité de la centrale : "Lors des auditions, des interrogations ont été émises sur sa capacité à passer positivement positivement la quatrième visite décennale et donc à obtenir le renouvellement de l'autorisation d'exploitation", peut-on lire dans le rapport.
Ces conclusions, qui confirment globalement que le choix de la fermeture était le bon, n'ont, loin s'en faut, pas convaincu le président de la mission d'information, Raphaël Schellenberger. Dans un avant-propos d'une vingtaine de page, chose rare en matière de rapport parlementaire, l'élu Les Républicains expose longuement ses désaccords. Évoquant dès les premières lignes "la lutte idéologique contre l'énergie nucléaire", le député se dit "le représentant d'un territoire qui s'est senti stigmatisé" et dénonce "le mépris du ressenti des habitants". Pour lui, la centrale de Fessenheim a été "le bouc-émissaire d'une stratégie électorale".
Raphaël Schellenberger affirme ainsi que "ni la sûreté, ni la sécurité de la centrale n'ont conduit à l'arrêt des réacteurs". L'élu explique que "l'Autorité de sûreté nucléaire a relevé dans nombre de ses derniers rapports les performances favorables en matière de sûreté dans la centrale nucléaire, en en faisant une des références du parc".
La fermeture serait donc "très politique" et en aucun cas "rationnelle". Raphaël Schellenberger met en cause en premier lieu François Hollande, qui a voulu, lors de la campagne électorale, "rallier le soutien et le vote des écologistes" : "Il ne prendra pas d'engagement systémique sur la stratégie énergétique française, mais laissera en gage la centrale de Fessenheim", commente, amer, le député. Raphaël Schellenberger, qui parle d'"injustice", met également en cause Emmanuel Macron, qui a "réitéré" en 2017 cette promesse : "Mais le gouvernement de M. Edouard Philippe n'aura aucune justification idéologique à son choix de réaliser la promesse [de François Hollande]."
Raphaël Schellenberger critique également "la rhétorique" de Sébastien Lecornu. L'actuel ministre des Outre-mer avait dirigé en janvier 2018, alors qu'il était secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique, le premier comité de pilotage de reconversion du territoire de Fessenheim : "Le message véhiculé par le secrétaire d'Etat consistait à pointer une supposée inaction des élus locaux (...) Je m'inscris en faux contre cette idée."
Sur ce point, le rapporteur, Vincent Thiébaut livre une autre analyse : "La prise de conscience de la fermeture et de l'arrêt des réacteurs est différente en fonction des divers acteurs, notamment des collectivités territoriales, ce qui a amené à de faux espoirs et impacté la mise en œuvre du plan de revitalisation du territoire", peut-on lire dans l'introduction du rapport. "Si on n'a pas été prêts au bout de 40 ans, qu'est-ce qui fait qu'on aurait été prêts au bout de 50 ou 60 ?", a demandé mercredi le député La République en marche.
Par ailleurs, estime Raphaël Schellenberger, "cette décision a été prise à contretemps par les gouvernements de M. Emmanuel Macron" : face à "l'impératif de lutter contre le réchauffement climatique", le nucléaire est une "opportunité", analyse l'élu. "L'énergie nucléaire donne son indépendance énergétique à la France et en fait le pays avec l'un des systèmes électriques le plus sobre en carbone d'Europe", explique-t-il encore.
Fessenheim est un cas unique. Fessenheim est un cas irrationnel. Fessenheim est un cas incompréhensible. Avant-propos de Raphaël Schellenberger.
Et le député Les Républicains du Haut-Rhin de proposer ses propres solutions... En premier lieu, il demande la mise en place d'un "plan de diversification énergétique et de production de basse puissance significative" pour assurer l'avenir de "la bande rhénane et de l'Alsace". Sa crainte ? Un "black-out et la fermeture d'usines qui ne disposeraient plus d'énergie électrique de quantité et qualité suffisantes pour fonctionner".
L'élu estime par ailleurs qu'il faut revoir la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) : "Non, les besoins en électricité ne diminueront pas dans les années qui viennent." Raphaël Schellenberger estime nécessaire d'engager une "politique de renouvellement du parc électronucléaire français", sans se "désarmer" : "Pour chaque capacité construite, nous pourrons alors stopper une capacité ancienne."
La décision de fermer la centrale sera coûteuse, estime en outre Raphaël Schellenberger, qui parle de "gabegie financière". L'élu dresse une liste des coûts directs et indirects : 377 millions d'euros d'indemnisation "auxquels il faudra ajouter une part variable", "13 millions d'euros de pertes de recettes fiscales annuelles pour les collectivités locales", "35 millions d'euros de pertes de recettes fiscales annuelles pour l'État", 5.000 emplois "impactés", 2.000 supprimés, un nouveau "projet de territoire à financer", mais aussi "un manque à gagner colossal, la centrale étant amortie". Selon lui, le prix de l'électricité risque par conséquent d'augmenter.
La cour des comptes a d'ailleurs alerté, rappelle le député, sur un "processus de décision chaotique" et une fermeture "qui risque d'être coûteuse pour l'État". Des "critiques sévères" évoquées aussi par le rapporteur, Vincent Thiébaut, qui recommande d'ailleurs à l'État et à EDF de préciser davantage les clauses des protocoles qui pourraient être signés à l'avenir.
De son côté, Raphaël Schellenberger dénonce enfin "l'affichage" de l'État vis-à-vis du "projet de reconversion du territoire". Le député Les Républicains évoque notamment un manque de moyens "excepté le fonds d'amorçage de 10 millions d'euros obtenu grâce à un rapport de force politique" et le "recyclage de projets préexistants". L'élu souhaite notamment donner "la priorité aux infrastructures" mais aussi de demander un "engagement financier" plus important à l'Allemagne.
Le rapport de Vincent Thiébaut contient sept recommandations. Le député La République en marche évoque par exemple la situation des personnels de la centrale. En 2025, il ne restera sur le site que 66 salariés d'EDF, contre 737 en 2018. Selon le PDG d'EDF, Jean Bernard Lévy, 82% d'entre-eux ont déjà été reclassés. Des "résultats très satisfaisants" selon Vincent Thiébaut, qui souligne l'efficacité de la démarche d'accompagnement personnalisé des personnels mise en oeuvre à Fessenheim. L'élu recommande donc de mettre en place des démarches analogues "dans tous les territoires sur lesquels sont implantées des installations importantes de production d'énergie".
Autre proposition : élaborer un nouveau cadre juridique permettant de mettre en œuvre de "nouvelles modalités contractuelles". Le but est de "sécuriser l'activité des prestataires et donc de favoriser leur investissement de long terme sur le marché du démantèlement". Vincent Thiébaut estime également nécessaire de publier un "programme prévisionnel des réacteurs ayant vocation à être démantelés dans les prochaines années". Le but serait d'"anticiper sereinement et efficacement la baisse d'activité", ainsi que la "reconversion socio-économique du territoire et des travailleurs concernés".
Le rapporteur évoque également le projet de "technocentre" pour le recyclage de déchets métalliques faiblement radioactifs issus des chantiers de démantèlement. Il doit se situer aux abords de l'ancienne centrale et participer à la reconversion du site. Tout en reconnaissant "l'intérêt" que présente le projet, Vincent Thiébaut "appelle le gouvernement à publier rapidement" les décret et arrêté ministériel créant les dérogations nécessaires à son éventuelle construction. Il "invite" également le gouvernement, Orano (anciennement Areva) et EDF à poursuivre leurs efforts pour "améliorer l'acceptabilité" d'un projet critiqué par plusieurs associations environnementales.