À l'initiative du président de l'Assemblée nationale, les principaux acteurs de l'évaluation des politiques publiques ont été conviés, jeudi matin, à délivrer leurs pistes d'amélioration à l'élaboration de la loi. Objectif des députés : réduire la dépendance à l'exécutif.
Richard Ferrand a décidé d'avancer le printemps. Si cette saison est synonyme de fleurs et de réveil de la nature, à l'Assemblée, printemps rime désormais, et depuis l'année dernière, avec "évaluation et contrôle des politiques publiques". Étaient présents pour y réfléchir et en débattre la Cour des comptes, le Cese, France Stratégie, l'Inspection générale de l’administration et, entre autres, la Société française de l’évaluation. Les pontes de l'évaluation face aux députés spécialistes des finances.
Dans une Ve République où les députés disposent peu du pouvoir d'initiative de la loi, et dépendent très largement des informations du gouvernement pour réaliser leurs jugements, l'accès à une information indépendante, factuelle et détaillée devient de plus en plus une revendication prioritaire des oppositions comme de la majorité.
"Je constate de manière croissante l’engagement de nombreux députés en faveur de l’évaluation des politiques publiques. C'est un atout pour notre institution qui a la responsabilité de peser son juste poids dans la balance des pouvoirs."Richard Ferrand, président de l'Assemblée nationale
Une volonté d'émancipation et de sérieux très bien accueillie par le premier président de la Cour des comptes au cours de cette table ronde amenée à se répéter annuellement ou biannuellement. "Pendant très longtemps il n’y a pas eu beaucoup de culture de l’évaluation dans notre pays, remarque Didier Migaud lui-même ancien président de la commission des Finances de l'Assemblée, et rapporteur général du Budget cinq années consécutives sous Lionel Jospin. Une forte expérience qui l'amène à prévenir les députés : "Il ne suffit pas d’avoir des évaluations, il faut pouvoir se les approprier, pouvoir les exploiter, pouvoir en débattre."
Plusieurs freins empêchent les parlementaires de posséder une réelle indépendance de jugement dans leurs votes. Absence – encore à l'heure actuelle – d'une administration dédiée à la production de statistiques réservées aux députés, des études d'impacts de la loi rédigées intégralement par l'exécutif et un accès encore relatif aux informations des administrations. "Les études d'impact varient en fonction de ce qu'on veut leur faire dire. J'ai vu des études d'impact, avec des changements de gouvernement, en gardant à peu près les mêmes textes, qui disaient à peu près le contraire", relate, désabusé, Eric Woerth. Le président actuel de la commission des Finances de l'Assemblée ajoute même : "Elles sont assez peu lues et jamais utilisées."
"On n'a pas accès aux documents. J'avais bien plus d'informations à ma disposition en étant attaché d'administration au ministère de l'Intérieur qu'aujourd'hui en tant que parlementaire." Ugo Bernalicis, député "La France insoumise" du Nord
Un constat très partagé pendant la table ronde. Les députés comme les administrations ont fait état d'une grande difficulté dans les administrations au partage d'informations et à l'échange de données. Quitte à entraîner la multiplication de rapports, d'études, de missions d'information, dont l'écho reste (trop) faible du fait d'une organisation en silos.
Le chef de l’inspection générale de l’administration regrette que les députés auditionnent "peu" les membres des inspections générales "que ce soit sur des rapports ponctuels ou des thématiques", dit Michel Rouzeau.#DirectAN pic.twitter.com/OeNpkWZ2ug
— LCP (@LCP) March 14, 2019
Les différents acteurs de l'évaluation des politiques publiques ont martelé aux députés la nécessité d'une réflexion en amont de la loi. Trop souvent, l'évaluation des politiques publiques vient a posteriori alors qu'elle devrait suivre de bout en bout le travail législatif dans une chronologie d'accompagnement, de bilan et enfin de correctif. La députée La République en Marche Amélie de Montchalin, en pointe sur le sujet, prône la mise en place de "clauses de revoyure" sur les lois adoptées définitivement au Parlement. Un ajustement permanent de façon également à vérifier l'application des lois, la publication des décrets, et la traduction dans le réel. Une concrétisation qui peut alors faire défaut...
- @RichardFerrand raconte son désarroi d’avoir constaté que, dans sa circonscription, le ‘droit à l’erreur’ n’était appliqué "nulle part" : "Nous avons le sentiment de voter des lois et que dans la vraie vie nos administrations n’appliquent guère que les circulaires…"#DirectAN pic.twitter.com/QvmqldhHp4
— LCP (@LCP) March 14, 2019
Le président de l'Assemblée nationale a promis de futures propositions tenant compte des échanges de ce jeudi. Il donne rendez-vous à la prochaine édition des "printemps de l'évaluation" pour la semaine du 17 juin. Un printemps cette fois tardif, il rimera déjà avec l'été.