Emmanuel Macron en Guyane : un territoire engagé dans une "course contre la montre" pour son développement, alerte un rapport parlementaire

Actualité
Image
La commune guyanaise de Roura vue du ciel. Crédits photo Jean-Emmanuel Hay
La commune guyanaise de Roura vue du ciel. © Jean-Emmanuel Hay
par Léonard DERMARKARIANMaxence Kagni, le Dimanche 24 mars 2024 à 14:55, mis à jour le Dimanche 24 mars 2024 à 15:15

Alors qu'Emmanuel Macron effectue un déplacement en Guyane ce lundi 25 mars, le rapport de la mission d'information sur "l’aménagement et le développement durables du territoire en Guyane" à laquelle a notamment participé le député Jean-Victor Castor, élu de ce territoire, rendu public en fin d'année dernière, éclaire sur les enjeux de la visite du président de la République dans cette collectivité d'outre-mer. 

"Si nous n'arrivons pas à être fermes, nous n'aurons que des miettes..." Cette phrase a été prononcée par le député de Guyane Jean-Victor Castor (Gauche démocrate et républicaine) lors d'une conférence de presse organisée récemment, le 11 mars, à l'Assemblée nationale. Une phrase prononcée alors que le président de la République, Emmanuel Macron, se rend ce lundi 25 mars dans cette collectivité d'outre-mer située au nord-est de l'Amérique du Sud. "Les grands dossiers guyanais sont connus", a expliqué Jean-Victor Castor lors de cette conférence de presse. Sur place, le chef de l'Etat est notamment attendu sur la question du foncier, l'agriculture, la pêche, la sécurité, l'orpaillage et l'évolution institutionnelle.

L'élu, qui revendique une "stratégie du harcèlement" de l'exécutif, attend des réponses concrètes aux "interpellations multiples" formulées depuis son élection à l'Assemblée nationale, en juin 2022. Jean-Victor Castor est notamment à l'origine d'une mission d'information sur "l’aménagement et le développement durables du territoire en Guyane", dont le rapport a été adopté à l'unanimité par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire en novembre dernier.

"Acter un retard à rattraper"

"La Guyane est engagée dans une course contre la montre". Signe de l'urgence l'expression est présente, tant dans le rapport la mission d'information, que dans l'avant-propos du président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, Jean-Marc Zulesi (Renaissance), qui souligne que la Guyane est aujourd'hui "sous-aménagée". Outre Jean-Victor Castor et Jean-Marc Zulesi, deux autres députés ont participé au travail de cette mission d'information et à la rédaction du rapport qui en est issu : Clémence Guetté (La France insoumise) et Gérard Leseul (Socialistes). 

D'une superficie équivalente à celle du Portugal ou de l'Autriche, la Guyane est un territoire riche en ressources naturelles, qui connaît une très forte croissance démographique, et dont la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Dans leur rapport, les quatre députés appellent l’Etat et la collectivité territoriale à "développer" et "réunifier un territoire à la fois enclavé et spatialement fracturé", notamment par des investissements en matière de réseau routier et d'énergie. Selon Jean-Victor Castor (GDR), le rapport présenté en novembre dernier visait à "acter un retard à rattraper" et à permettre de "prendre les décisions maintenant pour anticiper la croissance démographique" qui, indique le rapport, est six fois plus importante que dans l'Hexagone.

"Un aménagement anarchique"

Notamment nourri par un déplacement que les députés de la mission d'information ont effectué en Guyane au mois de septembre dernier, le rapport dresse donc le constat d'un "territoire à développer" et insiste sur le rôle de l’Etat, tant en matière de foncier que d'aménagement, ainsi qu'en matière de logement et d'éducation. "Le manque d’infrastructures ne permet pas de répondre aux besoins vitaux de la population", alors que la collectivité ultramarine est prise en tenaille entre la difficulté de mettre à disposition des terres pour le développement du territoire - l'Etat étant le principal détenteur du foncier - et une croissance démographique importante, entraînant un "aménagement anarchique".

toutes les politiques publiques menées en Guyane sont désastreuses. Jean-Victor Castor (GDR)

Partant de cette situation, le rapport définit cinq priorités sur lesquelles "concentrer les crédits publics pour avoir un maximum de conséquences positives sur la vie sociale" :

  • "Rétablir la sécurité", notamment face au "fléau" de l'orpaillage clandestin, cinq fois plus important que l'orpaillage légal (1,5 tonne/an) ;
  • "Mettre fin à la fracture spatiale par des infrastructures de transports et
    d’énergie
    " par la création de "nouvelles liaisons routières" et le développement des énergies renouvelables ;
  • "Développer l’agriculture pour une meilleure autonomie du territoire" en soutenant autant les "filières à fort potentiel sur le marché local" (élevage de porc, agroforesterie) que les "cultures à haute valeur ajoutée", comme la vanille ;
  • "Poursuivre les efforts en matière d’éducation", tant en matière de recrutement que d'équipements, alors qu'une commune comme Saint-Laurent-du-Maroni construit une nouvelle école tous les douze mois ;
  • "Agir pour le bien-être de la population, en concentrant les efforts sur le
    logement et la santé
    ", notamment en matière de construction de nouveaux logements et d'assainissement.

Des priorités qui s'inscrivent dans un contexte de "difficultés budgétaires" et une situation rendant nécessaire "d’ajuster les normes nationales aux réalités guyanaises", afin de "permettre une action politique et administrative plus efficace".

"Enfumage" du gouvernement et "singularité" de la Guyane

Au-delà de ces cinq priorités, la question de l'avenir institutionnel de la Guyane demeure un enjeu important pour certains acteurs ultramarins, dont Jean-Victor Castor : mardi 5 février lors des Questions au gouvernement, critiquant un "enfumage" de la part de l'exécutif, il a demandé une "évolution statutaire" de la Guyane, le "statu quo [n'étant] pas tenable". Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, a indiqué en retour, la nécessité de "consulter les habitants" avant toute évolution institutionnelle.

Dans l'attente d'une éventuelle consultation populaire, un projet de loi spécifique à la Guyane pourrait-il permettre de répondre aux préconisations du rapport ? Si ce dernier mentionne la possibilité d'une "loi de programmation pour la Guyane", elle n'est pour autant pas jugée centrale, et il est seulement recommandé "d'inscrire à l'ordre du jour" un tel texte. Le rapport est, en revanche, beaucoup plus explicite sur la nécessité de "législations expérimentales ou dérogatoires du droit national", a minima dans six domaines : "agriculture et pêche ; chasse ; énergie ; déchets ; logement ; navigabilité des fleuves".

La politique d’aménagement du territoire en Guyane ne peut ressembler à
aucune de celle à l’œuvre dans l’Hexagone. Extrait du rapport

Interrogé par LCP, Jean-Victor Castor estime que le développement de la Guyane ne viendra pas tant d'un texte législatif que d'une révision constitutionnelle. La Guyane est pour l'heure, comme la Martinique, une "collectivité territoriale unique" régie par l'article 73 de la Constitution, disposant à la fois des compétences d'un département et d'une région. Le député de Guyane, à l'instar du Congrès des élus du territoire en mars 2022, plaide pour la création d'un article dédié à la Guyane, reconnaissant sa "singularité" dans la Constitution, afin de tendre vers davantage d'autonomie, à l'image de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie française.

Fourmillement de réflexions à l'Assemblée et à l’Elysée

En-dehors du rapport parlementaire et de la mobilisation de certains députés, la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale travaille, depuis octobre dernier, sur l'évolution institutionnelle des territoires ultramarins, dans le cadre d'une mission d'information parlementaire composée de quatre députés : Philippe Gosselin (Les Républicains), Tematai Le Gayic (Gauche démocrate et républicaine), Guillaume Vuilletet (Renaissance) et Davy Rimane (Gauche démocrate et républicaine), ce dernier étant président de la délégation aux outre-mer. Un récent déplacement à la Réunion a mis en lumière les différentes aspirations des départements, régions et collectivités d'outre-mer, l'île de l'océan Indien plaidant, par exemple, pour la "stabilité institutionnelle".

Conscient des attentes et des enjeux, l'exécutif s'est également emparé du sujet : l’Elysée a annoncé fin janvier la nomination de deux experts : Pierre Egéa, professeur de droit public, et Frédéric Monlouis-Félicité, auteur et entrepreneur, chargés de travailler sur plusieurs thématiques (compétences des collectivités, droit des outre-mer, développement économique). 

Les conclusions des deux missions - parlementaire et élyséenne - sont attendues d'ici à l'été et contribueront à alimenter le débat, sans suffire à rassurer, à ce stade, le sentiment d'inquiétude de Jean-Victor Castor, qui considère que la France est à la croisée des chemins en Guyane : "Soit on continue à aller vers le chaos, soit on prend des décisions drastiques, radicales, innovantes".