Après quatre heures d'examen et de débats houleux, l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, une proposition de loi "visant à protéger le groupe EDF d'un démembrement" et à étendre le bouclier tarifaire énergétique aux artisans, notamment aux boulangers. Jugeant cette mesure qui crée une charge financière pour l'Etat contraire à la Constitution, les députés de la majorité ont protesté contre une "mascarade" et quitté l'hémicycle.
C'était le texte politiquement le plus explosif de la journée d'initiative parlementaire des députés socialistes : la proposition de loi "visant à protéger le groupe EDF d'un démembrement" a fait l'objet d'un débat électrique, jeudi 9 février.
Ce texte s'inscrit dans un contexte marqué par l'importance croissante des questions énergétiques et la crainte de divers acteurs politiques et économiques d'une réorganisation d'EDF, officiellement abandonnée, mais que le rapporteur de la proposition de loi, Philippe Brun (Socialistes et apparentés), craint de voir resurgir.
Alors que le gouvernement a décidé de reprendre 100% du capital de l'entreprise, le texte amendé en commission et disponible ici vise notamment à "nationaliser" le groupe Électricité de France en le protégeant d'un éventuel risque de "démembrement". Pour ce faire, la proposition de loi prévoit de constituer un "groupe public unifié" dont le capital serait à la fois "intégralement détenu par l’État" et "incessible".
Après une discussion générale permettant d'entrevoir les positions de vote de chacun des groupes parlementaires (Nupes, LR, RN et Liot "pour", coalition présidentielle "contre") et un discours du ministre chargé de l'Industrie, Roland Lescure, dénonçant une proposition de loi "au pire inutile, sans doute inopérante", les rappels au règlement se sont multipliés : d'abord en provenance de Jean-René Cazeneuve (Renaissance), qui a critiqué une pression à "aller trop vite" dans l'examen des textes du jour, puis de Boris Vallaud, président du groupe "Socialistes et apparentés", qui a appelé le gouvernement à ne pas entamer de "manœuvre dilatoire" pouvant entraver le déroulement de la niche parlementaire.
Face aux oppositions, décidées à voter le texte, plusieurs députés Renaissance, comme Mathieu Lefèvre et le rapporteur général du budget, Jean-René Cazeneuve, ont exprimé leur scepticisme sur la recevabilité financière de l'article 3 bis de la proposition de loi, qui souhaite établir des tarifs réglementés de l'électricité à destination des artisans, boulangers, TPE, PME et entreprises de tailles intermédiaires, qui font face à l'augmentation importante des factures d'électricité.
Le rapporteur général Jean-René Cazeneuve a insisté sur l'impossibilité d'examiner l'article 3 bis qui ne respecte pas, selon lui, l'article 40 de la Constitution qui limite le pouvoir d'initiative des parlementaires en matière financière en interdisant la création ou l'aggravation d'une charge publique, tandis que Mathieu Lefèvre a estimé que cette mesure, figurant au sein d'une proposition de loi concernant EDF, était un "cavalier législatif", à savoir une disposition sans lien avec le texte examiné, et une "hypocrisie de plus" de la part de la Nupes "dans [sa] défense des petits commerçants et des artisans".
Entre suspensions de séance, rappels au règlement, joutes sur la recevabilité financière et mise en cause de la présidence de la commission des finances présidée par Eric Coquerel (LFI), les oppositions, Nupes en tête, n'ont pas tardé à réagir.
Sur la forme d'abord, par l'utilisation d'une subtilité du règlement intérieur par les députés socialistes, qui ont souhaité éviter l'enlisement en demandant l'examen prioritaire de l'article 3 bis. Sur le fond ensuite, la présidente du groupe "Ecologiste" Cyrielle Chatelain a critiqué la stratégie d'obstruction du gouvernement et de la majorité : "La vérité, c'est que vous ne voulez pas assumer vos votes et vous ne voulez pas assumer le refus de cet article sur les tarifs réglementés".
Une position également partagée par Olivier Marleix, président du groupe "Les Républicains", qui a jugé le gouvernement et la majorité "en panique" sur le sujet et les appelant à ne pas se cacher "derrière la procédure".
Invoquant à la fois leur refus de participer davantage à des débats constituant un "déshonneur pour l'Assemblée" face au non-respect, selon elle, de la Constitution, la présidente du groupe "Renaissance", Aurore Bergé, a quitté l'hémicycle avec les députés de la majorité.
Un départ qui a suscité de vives réactions de la part des autres groupes : Alexandre Loubet (RN) a dénoncé une "situation surréaliste" et une "obstruction politique indécente", Annie Genevard (LR) a estimé que le gouvernement et la majorité se sont mis "tous seuls dans la difficulté", Alma Dufour (LFI) a jugé que les réponses du gouvernement était une "honte" et Sébastien Jumel (GDR) a affirmé que c'était peut-être "la première fois [....] qu'un texte va être voté en l'absence de la majorité" dans l'histoire de la Vème République".
La majorité ayant quitté l'hémicycle, l'examen de la proposition de loi s'est accéléré. Et le texte a été adopté en début de soirée. Mis en cause durant les débats par des députés de la majorité, le président de la commission des finances, Eric Coquerel (LFI), a pris la parole pour rappeler que son rôle visait à "faire en sorte, pour tous les groupes, que les débats puissent venir dans l'Assemblée pour qu'ils se tranchent politiquement".
Votée en première lecture à l'Assemblée nationale, cette proposition de loi ne fait que commencer son parcours législatif. Pour poursuivre son chemin, le texte va maintenant devoir être inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Sur ce sujet, le gouvernement et la majorité ont donc perdu une bataille, mais ils n'ont pas perdu la guerre.