Auditionné à l'Assemblée nationale, Benoît Ribadeau-Dumas, ancien directeur de cabinet d'Edouard Philippe à Matignon, a estimé que l'organisation du marché de l'électricité et les règles européennes ne devaient pas être des "boucs émissaires" pour expliquer tous les problèmes d'EDF.
C'est un personnage central du premier quinquennat d'Emmanuel Macron qui a été auditionné, jeudi 19 janvier en fin de journée, par la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France". Ancien directeur de cabinet d'Édouard Philippe à Matignon, entre 2017 et 2020, Benoît Ribadeau-Dumas est revenu sur les choix qui ont été effectués en matière d'énergie durant cette période, à l'aune des difficultés actuelles.
L'énarque, qui alterne postes de haut fonctionnaire et expériences dans le privé, a notamment énoncé un regret devant les élus : "Nous n'avons pas suffisamment aidé le soldat EDF dans sa transformation industrielle, financière, de régulation", a-t-il reconnu. Et ce malgré un soutien financier assuré et des efforts d'accompagnement, après avoir découvert en 2017 un fleuron en mauvaise situation financière, connaissant des difficultés d'ingénierie et de maintenance. Ce qui explique un certain regard critique sur la manière dont l'entreprise a pu, selon lui, parfois se défausser de sa responsabilité : "Le marché, l'Arenh, l'Europe, le gouvernement, ne peuvent pas être uniquement des boucs-émissaires pour expliquer tous les problèmes d'EDF."
"Le chantier reste ouvert, mais il est d'abord industriel", a-t-il martelé, sous-entendant que le producteur d'électricité n'avait pas su régler l'intégralité de ses problèmes en interne. Et alors que l'exécutif a engagé la renationalisation totale d'EDF, Benoît Ribadeau-Dumas a averti que les mois qui viennent allaient être stratégiques. "Il faut faire très attention à ne pas en faire un arsenal soumis à quatre tutelles de l'État, trois autorités administratives indépendantes, et qu'on en oublie qu'on veut avant tout retrouver l'excellence industrielle."
À rebours des anciens dirigeants d'EDF, ou des représentants du personnel, très critiques sur l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), qui régente le marché de l'électricité en France, l'ancien directeur de cabinet d'Édouard Philippe a défendu le dispositif, ou du moins son principe. "L'Arenh peut être une chance pour la France, à condition de le rénover", a-t-il avancé.
Avant de détailler sa pensée. Selon lui, s'assurer que le consommateur, comme l'industrie, bénéficient d'un tarif accessible n'est pas, en soi, une mauvaise chose. "Ce qui est aberrant, c'est qu'il ne soit pas indexé, ce qui aurait été légitime, mais qu'il reste bloqué à 42 €/MWh", a-t-il indiqué, jugeant par ailleurs "absurde" d'en avoir fait une option pour les fournisseurs alternatifs.
Il a d'ailleurs estimé que l'Arenh devrait probablement être reconduit, à condition de se débarrasser de ses failles et de le renommer, "tellement il est devenu épidermique". "Mais on reviendra sans doute à l'idée qu'il faut avoir un tarif du nucléaire qui est un bien commun de la Nation sur lequel on a investi."
Benoît Ribadeau-Dumas a également détaillé le diagnostic qui a été fait en 2017, à l'issue du quinquennat de François Hollande, puis les éléments qui ont conduit l'exécutif à annoncer le développement de nouveaux réacteurs nucléaires. Selon lui, la politique énergétique de la France se trouvait à un stade plutôt nébuleux à la fin du mandat du Président socialiste, avec beaucoup d'annonces faites sur les énergies renouvelables, mais sans hiérarchisation ni "trajectoire budgétaire cohérente".
Dans le même temps, la politique du nucléaire civil n'a pas été, selon lui, totalement assumée par l'exécutif de l'époque, y compris avec l'annonce de la fermeture de la centrale de Fessenheim en 2017 par François Hollande. "Le nucléaire était un nucléaire honteux, pas complètement assumé", a commenté Benoît Ribadeau-Dumas, fustigeant là encore une trajectoire financière "absolument pas assumée".
Le proche d'Édouard Philippe a assuré que dès leur arrivée à Matignon, il n'a jamais été question de se passer du nucléaire. Il a indiqué que des "jalons" ont été posés tout au long du premier quinquennat, que ce soit dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), dans le soutien à EDF ou dans les nombreuses études et réflexions publiques lancées, et qui ont abouti à la décision de relancer le chantier de nouveaux réacteurs nucléaires.
Cette assertion a cependant fait réagir le président de la commission d'enquête, Raphaël Schellenberger (Les Républicains), qui a souligné le "grand écart"entre les objectifs stratégiques décrits par Benoît Ribadeau-Dumas et "l'incarnation du ministre directement en charge" à cette période, Nicolas Hulot d'abord, puis François de Rugy et Barbara Pompili, n'étant pas connus pour leur fervent soutien au développement du nucléaire.
"Ils ont pourtant tous porté le rééquilibrage du mix énergétique", a rétorqué Benoît Ribadeau-Dumas. Et de rappeler qu'en 2017, le débat sur le nouveau nucléaire était encore loin d'être tranché. "Tous les jalons que nous avons déposé jusqu'en 2021 ont permis de faire progresser un certain nombre de prises de conscience." Qui ont permis d'aboutir, selon lui, au discours de Belfort d'Emmanuel Macron.