Ecologie : une législature tiraillée par des injonctions contradictoires

Actualité
Image
Francois Laurens / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
par Maxence Kagni, le Jeudi 10 mars 2022 à 10:54, mis à jour le Vendredi 11 mars 2022 à 17:54

Pendant cinq ans, Emmanuel Macron et la majorité à l'Assemblée nationale ont tenté de concilier ambitions environnementales (la "fin du monde") et revendications sociales (la "fin du mois"). Dans un contexte de hausse des prix de l'énergie, le Président a fait le choix de relancer la filière nucléaire avec un double objectif de décarbonation et de souveraineté. 

Le mois de décembre 2018 marque un tournant. Confronté au mouvement des gilets jaunes, le gouvervement décide, après s'y être longtemps refusé, de suspendre (puis d'abandonner) la hausse de la taxe carbone. Le mécanisme de hausse annuel, instauré sous le précédent quinquennat, répond officiellement à des impératifs écologiques. Mais, couplé à l'augmentation des prix des carburants, ce dispositif est impopulaire, en particulier auprès des Français installés en dehors des grands centres urbains et qui n'ont d'autre choix que de se déplacer en voiture.

Une réalité qui illustre bien les tensions observées pendant toute la législature entre les objectifs environnementaux affichés par la majorité et leur mise en œuvre pratique. Le quinquennat débute pourtant avec un geste fort d'Emmanuel Macron : la nomination de Nicolas Hulot au poste de ministre d'Etat chargé de la Transition écologique et solidaire. L'été suivant son élection, le Président réplique aussi à la décision de Donald Trump de se retirer de l'accord de Paris sur le climat en utilisant le slogan "Make our planet great again". Mais un an plus tard, en août 2018, Nicolas Hulot démissionne : il dénonce une politique des "petits pas".

A la même époque, le Parlement est sur le point d'adopter définitivement la loi "pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous" (Egalim). Ce texte qui vise notamment à préserver le revenu des agriculteurs interdit par ailleurs les touillettes et les bouteilles en plastique dans les cantines scolaires. L'interdiction des contenants alimentaires de cuisson en plastique dans les cantines des écoles, des universités et des établissements accueillant des enfants est quant à elle prévue pour 2025.

Le texte crée aussi de nouvelles restrictions dans les restaurants collectifs "dont les personnes morales de droit public ont la charge". Ainsi, les cantines scolaires, par exemple, doivent désormais servir des repas qui comprennent une part au moins égale à 50% de produits bénéficiant de labels ou issus des circuits courts et au moins 20% de produits issus de l’agriculture biologique. 

Tweet URL

En matière de grands équipements et d'aménagement, l'Exécutif prend deux décisions sur des sujets qui ont fait débat pendant de nombreuses années : l'abandon du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes en 2018 et la fin du projet de site géant de loisirs et de commerces Europa City en 2019. 

"Fin du monde" et "fin du mois"

En novembre 2018 survient la crise des gilets jaunes. Apparaît alors au grand jour la dichotomie entre la "fin du monde", c'est-à-dire la lutte contre le réchauffement climatique, et la "fin du mois", les difficultés sociales rencontrées par une partie de la population française. Pour apaiser les tensions, Emmanuel Macron annonce une série de "mesures d'urgence économiques et sociales", adoptées par le Parlement à la fin du mois de décembre 2018.

Autre conséquence : le chef de l'Etat décide d'installer une Convention citoyenne pour le climat, composée de 150 membres tirés au sort et chargée de "redessiner toutes les mesures concrètes d'aides aux citoyens sur la transition climatique". Tout en prenant quelques précautions, Emmanuel Macron indique être prêt à soumettre "sans filtre, soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe" les propositions de la Convention. Cette dernière travaille d'octobre 2019 à juin 2020 et remet 149 propositions pour limiter le réchauffement climatique. Les députés commencent à examiner en février 2021 un projet de loi qui reprend une grande partie de ces propositions.

Face à ce projet, construit de façon inédite, les députés sont partagés. Certains, comme Pascal Brindeau (UDI et indépendants), revendiquent le droit de modifier et d'amender le texte : "Des citoyens tirés au sort ne représentent pas les Français (...) la logique de nos institutions c'est que c'est le Parlement qui doit avoir le dernier mot." D'autres critiquent une loi qui "déshabille" les travaux de la Convention citoyenne.

Tweet URL

Le projet de loi "portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets" rappelle que l'État s'engage à respecter l'objectif européen de baisse d'au moins 55% des émissions des gaz à effet de serre d'ici 2030. Les publicités en faveur des énergies fossiles sont interdites dès 2022, celles en faveur des voitures les plus polluantes le seront en 2028 et les avions publicitaires seront interdits à la fin de l'année 2022. Autres mesures : les grandes et moyennes surfaces devront consacrer 20% de leur surface de vente au vrac d'ici 2030, les cantines scolaires doivent proposer un menu végétarien hebdomadaire.

Passoires thermiques

Le texte poursuit également la dynamique opérée en 2019 avec la loi d'orientation des mobilités (LOM). Cette dernière interdisait d'ici à 2040 la vente de véhicules à énergies fossiles : la loi climat-résilience prévoit la fin des véhicules neufs les plus polluants en 2030. La loi LOM instaurait aussi les zones à faibles émissions (ZFE), des zones dans lesquelles les véhicules les plus polluants sont interdits de circulation : la loi climat-résilience instaure 33 nouvelles zones où ces ZFE pourront être déployées. De plus, les vols domestiques sont interdits quand existe une alternative ferroviaire de moins de 2h30. 

Le projet de loi complète par ailleurs la loi énergie-climat, qui avait été définitivement adoptée en septembre 2019. Le texte contenait notamment des mesures pour lutter contre les "passoires thermiques". La loi climat-résilience en contient aussi : dès 2023, les logements classés G devront être rénovés si les propriétaires veulent en augmenter le loyer. Les logements classés G ne pourront plus être loués dès 2025, les logements classés F subiront la même interdiction en 2028 et les E seront concernés en 2034. Le texte crée aussi un "délit d'écocide".

Tweet URL

Les membres de la Convention citoyenne pour le climat jugent durement le texte du gouvernement : ils lui donnent la note de 3,3 sur 10. L'exécutif ne réussit pas non plus à inscrire dans l'article 1er de la Constitution la "préservation de l'environnement", comme avait pourtant promis de le faire, devant les membres de la Convention, Emmanuel Macron. Si l'Assemblée nationale a bien voté en ce sens, le Sénat n'a pas souhaité le faire. Et le gouvernement a renoncé, en juillet 2021, à soumettre cette réforme de la Constitution à référendum.

Un mois plus tard, l'Exécutif subit un autre revers : le Conseil d'Etat condamne l'Etat à payer la somme de dix millions d'euros pour sanctionner son incapacité à ramener la pollution en dessous des normes sanitaires. En octobre 2021, dans "l'Affaire du siècle", la justice administrative ordonne au gouvernement de réparer "le préjudice écologique dont il est responsable" : le dépassement du plafond des émissions de gaz à effet de serre fixé par le premier budget carbone 2015-2018 doit être compensé au plus tard le 31 décembre 2022.

Lutte contre gaspillage

D'autres dispositifs sont votés pendant le quinquennat. En 2020, le gouvernement décide de consacrer 30 milliards d'euros de son plan de relance à la transition écologique et une partie des 30 milliards d'euros du plan France 2030 sera consacrée à la décarbonation de l'économie. 

Les parlementaires adoptent en janvier 2020 le projet de loi relatif "à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire". Le texte pose de nouveaux objectifs de réduction des déchets d'ici 2030. Il fixe également l'objectif de 100% de plastique recyclé d'ici 2025 et prononce la fin de la mise sur le marché d'emballages en plastique à usage unique d'ici à 2040. Le texte instaure l'interdiction de la destruction des invendus non alimentaires neufs, comme l'électroménager, les livres, les vêtements, les chaussures. Enfin, les tickets de caisses ne seront plus systématiquement imprimés à partir de 2023, sauf "demande contraire du client". 

A la fin de l'année 2020, les parlementaires réautorisent jusqu'en 2023 l'utilisation des insecticides néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière, menacée par le virus de la jaunisse. Une décision qualifiée de "faute" par une partie de l'opposition et critiquée par l'ancien ministre Nicolas Hulot. Mais, selon le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie, cette réintroduction temporaire est nécessaire pour protéger une "filière d'excellence française qui représente 46.000 emplois". 

Tweet URL

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté en juillet 2019, en première lecture, le projet de loi autorisant la ratification du CETA, le traité de libre-échange avec le Canada. Si le texte n'a pas été définitivement adopté, il faut rappeler que le traité s'applique provisoirement depuis septembre 2017.

Relance du nucléaire

La fin du quinquennat d'Emmanuel Macron est marquée par le retour sur le devant de la scène des questions énergétiques : fin 2021, le gouvernement décide de bloquer les prix du gaz à leur niveau d'octobre 2021 jusqu'au 30 juin 2022 et attribue un chèque inflation à 38 millions de Français pour compenser la hausse des prix du carburant. Mais la guerre lancée par la Russie contre l'Ukraine accentue encore la tension sur les prix de l'énergie. Sous l'effet de la réaction des marchés, les tarifs continuent d'augmenter. Le gouvernement envisage donc de prolonger le "bouclier tarifaire" jusqu'à la fin de l'année 2022 et réfléchit à la meilleure façon d'aider les Français les plus en difficulté face à cette situation. 

Le conflit entre la Russie et l'Ukraine pose aussi la question de l'indépendance énergétique française et européenne. "Nous ne pouvons plus dépendre des autres et notamment du gaz russe pour nous déplacer, nous chauffer, faire fonctionner nos usines", déclare le chef de l’État au début du mois de mars. Une prise de parole dans la droite ligne du discours prononcé à Belfort en février : Emmanuel Macron fixe l'objectif d'implanter 50 parcs éoliens en mer d'ici 2050 et de multiplier par dix "la puissance installée" d'énergie solaire.

Mais le chef de l’État, qui a mis en oeuvre la fermeture de la centrale de Fessenheim décidée lors du quinquennat précédent, annonce surtout sa volonté de relancer la filière nucléaire en construisant six réacteurs de type EPR2 d'ici à 2050, auxquels s'ajouteront des "petits réacteurs modulables". Huit EPR2 supplémentaires pourraient être construits. En 2019, la loi énergie-climat avait déjà repoussé de 2025 à 2035 l'année lors de laquelle la part du nucléaire devra être réduite à 50% du mix énergétique.

Emmanuel Macron décide également de prolonger au-delà de 50 ans la durée de vie de "tous les réacteurs qui peuvent l'être". Un "spectaculaire retournement de veste" selon l'opposition : l'Exécutif avait annoncé en 2018 vouloir fermer 14 réacteurs, d'ici à 2035. Le gouvernement, lui, assume : "Nous avons une stratégie qui nous permettra d'atteindre la neutralité en 2050 tout en répondant aux besoins de la population", explique la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili. Pour permettre ce changement de doctrine, le chef de l'Etat a annoncé la tenue en 2023 de "discussions parlementaires" afin de "réviser la programmation pluriannuelle de l’énergie".