Présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet publie un "Plaidoyer pour un Parlement renforcé" que LCP a pu consulter. La députée formule 25 propositions visant à "rééquilibrer les pouvoirs".
C'est presque devenu une tradition, bien que trop rarement suivie d'effet. À chaque fin de législature, des figures du Parlement rivalisent d'imagination pour redonner du lustre à leur fonction, dans une Ve République où l'exécutif dicte largement l'agenda des réformes. En son temps, l'ancien président socialiste de l'Assemblée nationale Claude Bartolone avait proposé un ambitieux programme allant dans ce sens. Cette fois, c'est la députée des Yvelines Yaël Braun-Pivet (La République en marche) qui reprend le flambeau, à travers une contribution* publiée mercredi par la Fondation Jean Jaurès.
La forme peut surprendre : ni rapport parlementaire, ni proposition de loi, ses vingt-cinq préconisations prennent donc la forme d'un "plaidoyer" visant à réformer en profondeur la procédure législative et à (re)cadrer le débat parlementaire. Aucune mesure spectaculaire, mais une somme d'idées nées de la pratique du pouvoir et de presque cinq années passées aux manettes de la commission des lois : "J’apporte des réponses techniques, très précises, qui permettent de retrouver la place que doit occuper un Parlement dans une société démocratique", explique Yaël Braun-Pivet à LCP.
Au fond, celle qui était encore novice en politique lors de son entrée en 2017 au Palais-Bourbon demande d'abord une chose : donnez-nous du temps ! Prise par le rythme effréné des projets de loi, houspillée par des oppositions sans réelles prérogatives, la majorité présidentielle – celle-ci comme les précédentes – se retrouve finalement frustrée de n'avoir pas pu réellement agir, en tout cas pas suffisamment, sur le cours des décisions publiques :
La maîtrise du temps est fondamentale. c'est la prévisibilité des sujets, c'est l’organisation de nos travaux, c’est le terrain, c’est la consultation ! Malheureusement, nous en manquons aujourd’hui sur certains textes. Tout le monde y gagnerait : les citoyens, le Parlement, le gouvernement, les corps concernés. Yaël Braun-Pivet à LCP.fr
Pour redonner de l'air aux parlementaires, l'élue estime qu'il faut installer huit semaines incompressibles entre le dépôt d'un projet de loi et son examen par la première assemblée, six semaines pour la deuxième chambre saisie. Aujourd'hui, ces délais sont de six et quatre semaines. "Je n'ai pas le sentiment de bouleverser la mécanique avec deux semaines en plus, mais en sanctuarisant ces délais, on va permettre la maturation pour faire des bons textes", explique-t-elle.
Dans le même mouvement, une autre proposition vise à remettre de l'ordre dans le calendrier parlementaire. Aujourd'hui, il alterne entre une session ordinaire d'octobre à juin, et une ou plusieurs sessions extraordinaires durant l'été. Résultat, les élus ne savent jamais vraiment quand ces sessions supplémentaires se terminent (souvent au cœur de l'été) ou reprennent (dès début septembre cette année, parfois plus tard). Le députée veut donc un calendrier simple : une session ordinaire unique, du 15 septembre au 30 juillet. En complément, les ministres seraient tenus à l'ouverture de chaque session de présenter leur feuille de route pour l'année, afin de présenter ou du moins annoncer les projets de loi qu'ils comptent faire voter.
La députée aimerait en parallèle muscler les prérogatives de la conférence des présidents. Cet organe stratégique réunit chaque semaine le président et les vice-présidents de l’Assemblée, les chefs de groupes politiques, les présidents de commissions, les rapporteurs généraux et un membre du gouvernement. C'est là que s'organise le calendrier des travaux dans l'hémicycle, dont découle ensuite le travail des députés et de l'administration.
Mais sa maîtrise de l'agenda est plus que limitée, y compris pour les textes rédigés par les parlementaires : "Aujourd’hui, si les propositions de loi ne sont pas endossées par le gouvernement sur son ordre du jour, ou par un groupe lors de ses journées réservées [NDLR : une journée par groupe politique et par an], elles ne seront jamais discutées", souligne-t-elle. Elle prend l'exemple du texte sur la fin de vie qui, bien que signé par une majorité de députés, n'a pas pu être réinscrit à l'ordre du jour après son examen partiel en avril 2021 lors de la "niche parlementaire" du groupe Libertés et Territoires.
Yaël Braun-Pivet souhaite donc qu'à l'aide d'une majorité qualifiée (les trois cinquième des députés, soit 347 élus) et avec l'appui d'au moins un groupe d'opposition, la conférence des présidents puisse inscrire de manière prioritaire des propositions de loi à l'ordre du jour. L'instance aurait de plus les mains libres pour faire cheminer ces textes jusqu'au bout : elle pourrait ainsi saisir le conseil d'État pour les expertiser, convoquer des commissions mixtes paritaires entre députés et sénateurs pour presser leur adoption et enfin contester la légalité de décrets pris par l'exécutif qui ne respecteraient pas l'esprit de la loi.
La conférence des présidents pourrait aussi exiger l'examen des textes de ratification des ordonnances. Si le gouvernement est en effet prompt à demander des habilitations à légiférer par ordonnances, grâce auxquelles il peut régler seul les détails de la loi, il l'est beaucoup moins à faire voter des lois de ratification, une étape pourtant obligatoire.
La marcheuse espère en outre rétablir un certain parallélisme des formes entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif : "Le gouvernement a certains pouvoirs que nous n’avons pas et qui me paraissent exorbitants", reconnaît-elle. L'exemple le plus criant ? Le droit d'amendement du gouvernement, non limité dans le temps et grâce auquel il peut ajouter des dispositions substantiels dans les textes, même à un stade d'examen avancé. Dernier exemple en date, particulièrement marquant, le dernier projet de loi de finances de la législature a fait l'objet de ce genre d'ajouts de dernière minute, parfois pour des montants de plusieurs milliards d'euros.
Yaël Braun-Pivet veut en finir avec cette "marge de manœuvre quasi illimitée". "Le gouvernement doit être contraint par le périmètre qu'il a lui-même fixé, estime-t-elle. Lorsqu’on ajoute une disposition substantielle au dernier moment, elle n’a pas fait l'objet d’une étude d’impact, ni été examinée par le conseil d’état ou les rapporteurs. Tout cela nuit à la construction de la loi."
Il resterait toutefois une arme à l'exécutif qui existe déjà dans l'arsenal législatif : la présentation d'une lettre rectificative au Conseil des ministres, examinée par le conseil d'État, qui permet d'ajouter des articles à un texte.
Forcer le gouvernement à dévoiler ses cartes en amont, limer un peu ses armes en aval... La volonté de "reparlementariser" le régime s'arrête là :
Je ne veux pas que les pouvoirs s’opposent, mais il faut que les pouvoirs composent les uns avec les autres dans l’intérêt général. Yaël Braun-Pivet à LCP.fr
Cette juriste de profession veut d'ailleurs "laisser une soupape face aux circonstances exceptionnelles". Elle propose ainsi de pouvoir déroger à certains délais pour voter des textes en quelques jours ou se réunir en plein mois d'août en cas d'urgence impérieuse. Mais ce qui est parfois aujourd'hui la règle doit "devenir l'exception", espère-t-elle.
C'est aussi la limite de son plaidoyer : la pratique impose parfois ses usages, au-delà de ce que peut prévoir la règle. Pour preuve, en tentant de rationaliser le débat, la dernière réforme du règlement de l'Assemblée nationale en 2019 n'empêche nullement, dans les faits, les opposants de faire durer les débats, voire de continuer à pratiquer une forme d'obstruction. Le projet de loi sur les retraites début 2020 en a fait les frais.
Surtout, les mesures qui nécessitent une majorité qualifiée pourront-elles être activées quand le dialogue entre opposition et majorité tourne souvent à la guerre de tranchées ? "Les citoyens attendent qu’on se retrouve sur des points d’intérêt général, qui peuvent faire consensus, plutôt que de mettre en scène, parfois, des affrontements joués ou stériles. Ce sont aussi les petites règles qui peuvent avoir de grands effets", veut croire Yaël Braun-Pivet.
*"Institutions, où est le problème ? Plaidoyer pour un Parlement renforcé", préfacé par le président de l'Assemblée Richard Ferrand. Fondation Jean Jaurès Éditions, décembre 2021.
En finir avec l'hémicycle vide lors des votes décisifs
Pour éviter que les projets de loi importants soient parfois adoptés par un faible nombre de députés, Yaël Braun-Pivet souhaite systématiser la pratique du vote solennel. Il s'agit d'un scrutin programmé à l'avance et à un moment dédié dans l'agenda de l'Assemblée par la conférence des présidents. Elle propose de regrouper le vote de tous les textes chaque semaine sur un seul créneau, par exemple le mardi après les questions au gouvernement. Un quorum fixé à la moitié des élus de l'Assemblée serait nécessaire pour procéder au scrutin, avec possibilité de voter à distance. Une manière d'en finir une bonne fois pour toute avec les textes votés tard dans la nuit ou le week-end. "Cela donne l’impression que nous nous désintéressons du sujet ou que le vote n’est pas représentatif. Je trouve cela dommageable", explique-t-elle.