Quelque semaines après la rupture du "contrat du siècle" par l'Australie, Jean-Yves Le Drian était auditionné à l'Assemblée nationale. Le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères a lancé des messages à destination de Washington et de Canberra, mais aussi envers les alliés européens.
Trois semaines après la "trahison" de l'Australie, des États-Unis et, dans une moindre mesure, du Royaume-Uni, la blessure est encore vive, mais les regards sont tournés vers l'avenir. C'est ce que Jean-Yves Le Drian a tenu à défendre mercredi 6 octobre devant les députés de la commission de la défense nationale et la commission des affaires économiques, qui ont auditionné le ministre pour analyser les conséquences de la "crise des sous-marins".
Retraçant la chronologie des faits depuis la signature du "mégacontrat" en 2016, le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères a réitéré plusieurs fois l'ignorance que l'exécutif français avait du revirement australien, et ce jusqu'au 15 septembre. Selon lui, des échanges réguliers ont eu lieu avec Canberra, et ce jusqu'à la date fatidique. Ce n'est que lorsque la presse a commencé à en faire état que l'Australie comme les États-Unis ont fini par reconnaître la constitution d'un nouveau partenariat stratégique, baptisé Aukus, et l'accord portant sur la fourniture de sous-marins à propulsion nucléaire. Signifiant l'abandon de la commande de douze sous-marins français conventionnels.
Démentant toute "naïveté" de la France, Jean-Yves Le Drian a regretté le fond du procédé comme la forme. Il a également profité de cette audition pour envoyer des messages ciblés à chacunes des parties prenantes. Ainsi, il a fait part de son étonnement quant à la décision australienne, censée être justifiée par la menace chinoise de plus en plus prégnante dans la région indo-pacifique. Or, le premier sous-marin ne sera pas opérationnel avant des années, d'autant plus que Canberra "n'a aucune culture nucléaire". Un argument également brandi par l'ancien Premier ministre australien, Malcolm Turnbull.
Pire, en se plaçant sous l'autorité de l'encombrant allié que sont les États-Unis, l'Australie fait le "choix de la sécurité", au détriment de celui de la souveraineté. "J'espère pour eux qu'ils ne sacrifieront pas les deux", a lancé le ministre. Le chef de la diplomatie française a également annoncé le retour de l'ambassadeur français à Canberra, signe d'une certaine normalisation des relations, tout en indiquant vouloir en rédefinir les termes. Et en rappelant que des négociations allaient désormais s'ouvrir pour les compensations financières de la rupture du contrat.
Concernant le Royaume-Uni, Jean-Yves Le Drian s'est fait plus évasif. "La balle est dans leur camp", a-t-il répété à deux reprises, rapportant des relations de plus en plus distendues entre les pays européens et Londres. Et de rappeler que d'autres dossiers envenimaient ces relations, appelant à ce que le Royaume-Uni arrête de "violer" les accords consécutifs au Brexit, que ce soit concernant l'Irlande du Nord, les licences de pêche ou en matière d'immigration.
Avec les États-Unis, "des premiers engagements ont été pris" pour aplanir la situation, mais "la crise est grave", "va durer" et, plus que des paroles, il faudra "des actes forts" pour en sortir, a averti le chef de la diplomatie française, au lendemain d'une rencontre organisée à l'Élysée avec son homologue américain, Antony Blinken. Il a par ailleurs annoncé qu'Emmanuel Macron et Joe Biden échangeraient à nouveau à la mi-octobre. Plus largement et dans le prolongement de l'évacuation chaotique de l'Afghanistan, le ministre voit dans cette nouvelle décision américaine la nécessité de repenser l'autonomie stratégique de la France.
"Les États-Unis se replient", a ainsi noté Jean-Yves Le Drian. En conséquence, il a estimé que la France devait repenser son rôle au sein de l'OTAN. Pas question de quitter le commandement unifié de l'organisation, comme l'a suggéré Alexis Corbière (LFI), mais la nécessité de la "rééquilibrer". Le ministre a d'ailleurs tenu à déplorer, en fin d'audition, des propos du secrétaire général de l'OTAN. Jens Stoltenberg avait critiqué l'idée d'une défense européenne à même de "concurrencer" l'alliance militaire. Une "déclaration malencontreuse", a jugé le chef de la diplomatie française.
Car c'est bien là le message final que Jean-Yves Le Drian a porté devant les députés, à l'approche de la présidence française du Conseil de l'Union européenne : plus que jamais, il est selon lui impératif de porter la construction d'une autonomie stratégique européenne en matière de défense. "L'Europe de la défense n'est plus une utopie", a-t-il affirmé. "Nous avons nos propres intérêts à défendre, qui ne sont pas toujours ceux des États-Unis", a continué le ministre, appelant à poursuivre le renforcement des capacités militaires et technologiques de l'UE. Ce qui semble être, à moyen terme, la suite à donner à la crise des sous-marins pour l'exécutif.