Les députés ont adopté, samedi en première lecture, le projet de loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 16 février 2021, ainsi qu'une période de transition de six semaines, jusqu'au 1er avril, vers la sortie de l'état d'urgence. Retour sur une journée de débats dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.
Dès l'ouverture des débats, le ministre de la Santé, Olivier Véran, l'a dit avec gravité : alors que la France affronte la deuxième vague de l'épidémie de coronavirus, la période qui s'ouvre s'annonce "longue" et "difficile". L'état d'urgence sanitaire a été déclaré, une nouvelle fois, sur l'ensemble du territoire depuis le 17 octobre. Et en adoptant, samedi, le projet de loi "autorisant la prorogation de l'état d'urgence", l'Assemblée a donné un premier feu vert à son application potentielle jusqu'au 16 février 2021.
"Si nous pouvons en sortir avant les trois mois [prévus] nous le ferons", a promis le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran, qui a rappelé que la veille, en 24 heures, 300 personnes sont mortes dans les hôpitaux et les Ehpad français.
Le rebond de l'épidémie de Covid-19 a ainsi rendu caduc le régime "transitoire" instauré en juillet dernier, et dont la prolongation était en discussion au Parlement.
C'est en effet sous le régime d'état d'urgence sanitaire que l'exécutif a pu mettre en place le couvre-feu dans de nombreux territoires. Et "la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois nécessite une autorisation du législateur", explique le gouvernement dans l'exposé des motifs du texte.
"Martin Hirsch, le directeur général de l'AP-HP, dit que la deuxième vague peut être pire que la première", a notamment justifié en séance le député La République en marche Pacôme Rupin.
Mais les explications du ministre et de la majorité n'ont pas convaincu les députés Les Républicains, qui ont défendu une motion de rejet préalable du texte. "Nous ne souhaitons pas empêcher le gouvernement d'agir, encore faut-il que cela soit sur le bon fondement juridique", a expliqué Philippe Gosselin (LR), qui a reconnu que "la maison brûle".
L'élu estime en effet que les mesures de couvre-feu, qui sont "une forme de confinement nocturne", ne nécessitent pas le vote d'une loi sur l'état d'urgence.
Si la décision future du gouvernement est un retour au confinement généralisé, alors oui il faut l'état d'urgence, mais dites-le ! Philippe Gosselin
Le projet de loi prévoit aussi la mise en oeuvre d'un régime de "sortie de l'état d'urgence" du 16 février au 1er avril 2021. "C'est encore l'état d'urgence", a déploré Philippe Gosselin, qui craint sa "banalisation".
Le député a demandé une "clause de revoyure", au même titre que Pascal Brindeau (UDI), qui a réclamé des "rendez-vous législatifs réguliers". "Nous ne pouvons accorder un tel blanc-seing", a lui aussi estimé Stéphane Peu (PCF), tout comme George Pau-Langevin (PS).
La motion, soutenue par Martine Wonner (Libertés et Territoires), qui a évoqué des "manoeuvres attisant la peur", et Stéphane Peu (PCF), a été rejetée.
"Les choix de ce gouvernement et de cette majorité nous ont fait perdre bataille après bataille", a déploré pour sa part Danièle Obono (La France insoumise), qui a notamment évoqué des fermetures de lits dans les hôpitaux en 2018 et 2019.
"J'ai l'impression que l'on dit 'la maison brûle' mais on va d'abord débattre de la couleur du Canadair", leur a répondu Olivier Véran.
Soutenue par Constance Le Grip (Les Républicains) et Stéphane Peu (PCF), la socialiste George Pau-Langevin a tenté sans succès d'imposer une exception aux règles du couvre-feu pour le secteur culturel.
L'article 3 du texte prévoit l'extension dans le temps, jusqu'au 1er avril, de la conservation des données des malades (fichier Sidep) et des cas contacts (Contact Covid).
Une prolongation injustifié pour les représentants de différentes sensibilités politiques, au nom du secret médical, ou encore de l'inefficacité supposée du traçage opéré depuis plusieurs mois. Ils ont réclamé l'abrogation de l'article :
Prolongation des fichiers des cas contacts et des malades du #Covid19 : @Deputee_Obono, Emmanuelle Ménard, @stephane1peu et @MartineWonner s'opposent à leur prolongation jusqu'au 1er avril 2021. #DirectAN pic.twitter.com/NGClptS7YP
— LCP (@LCP) October 24, 2020
"Supprimer un système de traçabilité, c'est impensable", a répondu la ministre déléguée auprès du ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, tandis que le rapporteur du texte, Jean-Pierre Pont (LaREM), a jugé "raisonnable" la durée de conservation des données, s'appuyant sur différents avis récents, dont celui de la CNIL.
Fichiers malades et cas contacts : "Ces systèmes sont déterminants pour assurer la stratégie 'tester, tracer, isoler', plaide @JeanPierrePont. Les durées de conservation (...) me paraissent raisonnables."#DirectAN #Covid19 pic.twitter.com/EQOxSnT6aJ
— LCP (@LCP) October 24, 2020
Patrick Hetzel (LR), a évoqué un "double-dessaisissement" au travers des dispositions prises par l’article 4, qui permet à l’État de légiférer par ordonnances, afin de mettre en place les mesures jugées nécessaires au gré de l’évolution de la crise sanitaire. "Cet article a pour objectif de dessaisir le Parlement, en considérant que c'est le gouvernement qui va pouvoir exercer le pouvoir législatif (...) mais de surcroît, le gouvernement va pouvoir se dispenser de toute consultation obligatoire", a dénoncé le député du Bas-Rhin. Pascal Brindeau (UDI et Indépendants) a, quant à lui, évoqué des risques à venir "car aujourd'hui nous sommes encore dans un système démocratique, mais demain, si les institutions sont entre les mains de gens beaucoup moins scrupuleux, que se passera-t-il ?" Le gouvernement a répondu par un amendement visant à limiter la période de dispense de consultation au 31 décembre 2020, consacrant selon Philippe Gosselin (LR), "une période de non-droit" pour les deux mois à venir.
Dans leurs explications de vote, certains parlementaires, dont François Ruffin (LFI), ont regretté le fait qu’il n’y ait pas de vote solennel sur le projet gouvernemental, et que le Premier ministre et les principaux ministres concernés, dont Olivier Véran, Gérald Darmanin ou encore Éric Dupond-Moretti, n’aient pas été présents au moment où les députés étaient appelés à se prononcer.
L'Assemblée nationale a finalement voté (à 71 voix contre 35) en faveur du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire qui sera soumis à l’examen des sénateurs mercredi 28 octobre.