Auditionnés par les députés de la mission d'information sur l'épidémie de Covid-19, l'Ambassadeur de France en Chine et le Consul de France à Wuhan sont revenus sur l'émergence et la gestion de l'épidémie dans le pays où elle est apparue et ils ont expliqué l'action menée dans la cadre de leurs fonctions. Ils assurent que compte tenu de l'absence d'information jusqu'au 31 décembre 2019, "il n’était pas possible d’avoir vent plus tôt de l’épidémie", date à laquelle les autorités chinoises ont officiellement communiqué sur le sujet.
Dix mois après le début de la pandémie de coronavirus venue de Chine et alors que la France connaît une flambée du nombre de cas et un nouveau confinement après celui décrété en mars, les députés de la mission d'information sur "l'impact, la gestion et les conséquences de l’épidémie de Covid-19", dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête, ont auditionné lundi 2 novembre Laurent Bili, Ambassadeur de France en Chine, et Olivier Guyonvarch, Consul de France à Wuhan, ville d'où est partie le virus. Ils sont longuement revenus sur la chronologie de la crise et le rôle de la diplomatie française en Chine.
L'Ambassade a été particulièrement mobilisée au début de la crise, lorsqu'il a fallu évacuer les ressortissants français présents à Wuhan. "À partir de fin janvier, les hôpitaux ne peuvent même plus accepter les autres malades. La vague a été très forte. C’est dans ce contexte-là que nous avons décidé du départ de nos ressortissants", explique Olivier Guyonvarch, qui salue l’équipe de volontaires qui a travaillé avec lui "24 heures sur 24" pour assurer les départs. Car tout s’enchaîne très vite dans la ville : à partir du 13 février, avec un changement des responsables des autorités locales, le confinement se renforce.
"La ville s’est retrouvée complètement barricadée. Dans certains quartiers, on est même allé jusqu'à fermer la porte des immeubles et à laisser une trappe pour passer de la nourriture. À partir du 19 février, les autorités apportaient tous les trois jours un sac de nourriture aux habitants", raconte Olivier Guyonvarch, seul Consul à être resté dans la métropole durant l’intégralité de la crise.
Dans le reste du pays, les mesures sanitaires se sont renforcées au fil des semaines, mettant peu à peu l’ensemble du territoire sous cloche. Simultanément, l’Ambassade se mettre à la recherche de masques, denrée rare qui a suscité la convoitise du monde entier.
"Sur l’achat de protections, on a localisé deux milliards de masques", explique Laurent Bili, en réponse à Éric Ciotti, rapporteur de la mission d'information. "On a aidé en allant voir les producteurs et nos consuls ont sécurisé des livraisons (...) On a commencé une première négociation sur les prix et les règles de comptabilité publique ont fait que parfois, les contrats ont été longs à boucler, mais je n’ai pas l’impression qu’on ait été défaillants", s'est-il défendu.
Sur les masques, il y avait une dépendance du monde entier à la Chine Laurent Bili, Ambassadeur de France en Chine, le 2 novembre 2020
L’Ambassadeur reconnaît toutefois une "dépendance excessive" de la France à la Chine sur les masques. "On a presque eu de la chance que les courbes se soient inversés entre nos pays. Car si la demande était restée au même niveau en Chine, on aurait eu probablement du mal à s’approvisionner sur le marché chinois : il y avait une dépendance du monde entier à la Chine", a-t-il rappelé.
L’Ambassadeur tempère par ailleurs les polémiques qui ont émergé sur la dépendance à la Chine concernant la production de médicaments. "Il y a une balance positive avec la Chine sur les médicaments déjà assemblés (…) mais on est très dépendants sur certains principes actifs", comme celui du paracétamol, précise Laurent Bili.
Interrogé sur l’hypothèse d’un éventuel vaccin, il explique que "plusieurs producteurs et laboratoires y travaillent". "Certains chefs d’entreprise, militaires et officiels ont déjà été vaccinés, mais on ne sait pas si des anticorps sont produits dans la durée, donc on ne peut pas se prononcer sur son efficacité", prévient-il.
Invités par les députés à revenir sur la gestion de la crise sanitaire par la Chine, les deux représentants français ont décrit les conditions du confinement, "géré uniquement en fonction dynamique épidémique, sans aucune autre considération économique ou sociale", comme l’a raconté le Consul. Olivier Guyonvarch a notamment expliqué que l’application de traçage "était obligatoire" et qu’il fallait indiquer deux fois par jour sa température, des patrouilles passant aléatoirement dans les habitations pour contrôler.
Cette application de traçage, "vous ne pouvez pas vivre sans", abonde Laurent Bili. "Personne ne m’a dit que je devais l’avoir, mais je ne peux pas aller dans un certain nombre de lieux publics (restaurants, hôtels, centres commerciaux, transports) sans". Ces lieux étaient aussi dotés de détecteurs de températures, et selon l’Ambassadeur, "c’est cet ensemble qui a fait que le traçage a été particulièrement important" dans la lutte contre le virus.
Depuis, les deux hommes observent un "retour à la normale". "Mais ce n’est pas la normalité d’avant la crise (…) Le pays est géré comme une résidence fermée, on ne prend pas le risque de remettre dans la nature quelqu'un qui n’a pas été mis sous quarantaine et testé", précise Laurent Bili.
Les députés sont aussi revenus sur le début de l'épidémie, avec une question posée à plusieurs reprises : les autorités chinoises ont-elles volontairement dissimulé des informations ? Laurent Bili reconnaît que si la "transparence" a augmenté à partir du 23 janvier, "elle était insuffisante avant", notamment lors de la première phase de la crise, jusqu’à la déclaration officielle du virus le 31 décembre. "C’est un moment où on peut considérer qu’il y a eu volonté locale de faire le moins de bruit possible et cacher des informations. J’étais à Wuhan 19 décembre et à aucun moment la covid n’a été mentionnée et je n’ai pas senti de précaution particulière", raconte l’Ambassadeur.
Rien ne nous a été rapporté avant le 31 décembre Olivier Guyonvarch, Consul de France à Wuhan, le 2 novembre 2020.
C’est Olivier Guyonvarch qui l’a alerté le jour de la Saint-Sylvestre, après avoir reçu un communiqué des autorités. "Nous avons des contacts avec le milieu hospitalier à Wuhan et rien ne nous avait été rapporté avant", explique le Consul devant les députés. À propos de Li Wenliang, médecin lanceur d’alerte, Olivier Guyonvarch rappelle qu’il a publié un message sur les réseaux sociaux le 30 décembre seulement. "L’information n’a été rendue publique que le 31 décembre (…) il n’était pas possible d’avoir vent plus tôt de l’épidémie", assure le Consul.
En revanche, du 2 au 23 janvier, "on n’a pas la mesure de la dangerosité de la maladie", reconnaît Laurent Bili. "On ne l’a pas avant la décision de confinement qui, décrété d’un coup, frappe les esprits (…) Lorsque je vois les chiffres et les prévisions dans l’ensemble du pays et que j’écris 'il y a quelque chose de dangereux', c’est un moment où on a déjà évacué les Français de Wuhan".
A propos de la période au cours de laquelle le virus est apparu - et si la prudence doit être de mise sur le nombre de décès - les deux représentants diplomatiques français sont pour leur part convaincus que la date du premier mort recensé a posteriori - le 8 décembre, ndlr - correspond avec la situation sanitaire de la période :
Si le virus avait commencé à circuler bien avant la fin de l’année 2019, le nombre de personnes contaminées aurait été probablement beaucoup plus important
Surtout, un immense banquet a été organisé à Wuhan quelques jours à peine avant le confinement . "Je pense que les autorités n’étaient pas conscientes du danger (…) Je vois mal le parti exposer 20.000 de ses membres en toute connaissance de cause s’il savait à ce moment-là que c’était dangereux".
Quant à l’origine du virus, l’Ambassadeur et le Consul expliquent qu’il n’y a "aucun élément" qui vienne appuyer l’hypothèse que la covid provienne du laboratoire P4 de Wuhan, affirmant que cette théorie "relève de la dimension du complotisme".